Quel duo célèbre du cinéma saute aux yeux sur cette photo ? Une intericonicité involontaire ?
On doit à Docdory, que l’on remercie, d’avoir eu connaissance du rapprochement de cette photo de MM. Sarkozy et Bertrand avec celle d’un duo célèbre du cinéma comique. Il ne semble pas qu’il y ait eu retouche. On ignore toutefois le lieu et la date de la photo du président de la République et du secrétaire général de l’UMP. On en a trouvé trace sur un site qui avait publié les deux photos côte à côte dès le 25 janvier dernier (1). Mais peu importe !

Ce qui intéresse ici, c’est le procédé d’expression qui saute aux yeux à l’insu et contre le gré sans doute des personnes représentées. Chacun l’aura reconnu. On y fait suffisamment référence dès lors qu’il s’agit d’analyser une image puisqu’il en est un des procédés structurels : il s’agit du procédé de l’intericonicité. En raison du très grand nombre d’images dont on a connaissance, une image nouvelle tend peu ou prou à devenir la citation d’une image ancienne.
L’intericonicité, un leurre à fonctions multiples
On est plus habitué à le voir employé comme un leurre par les stratèges publicitaires. Il consiste à faire reconnaître dans une image inconnue une image connue, mémorisée dans le cadre de référence du lecteur. Car il présente l’avantage de remplir plusieurs fonctions très utiles.
1- Il permet d’abord de capter l’attention. Quand EDF (voir photos plus bas) préfère escamoter le climatiseur sans attrait dont il fait la promotion, et le remplacer par une fille qui feint de retenir sa robe soulevée sous un souffle puissant venu du sol, il n’est pas difficile de reconnaître une image d’un film peut-être oublié de Marilyn Monroe, « Sept ans de réflexion », qui, elle, a fait le tour du monde. Elle la montre sur la grille d’une bouche d’aération dans une posture comparable en train, elle aussi, de feindre de vouloir retenir sa robe qui s’envole, car elle se garde bien, devant son partenaire qui n’en perd pas une miette, de s’écarter du souffle, ce qui résoudrait pourtant son problème de pudeur outragée. Il est certain que le triste caisson d’un climatiseur ne stimulerait pas le même réflexe d’attirance que ce sosie de la star hollywoodienne, d’autant plus qu’elle est en même temps un beau leurre d’appel sexuel.
2- Simultanément, cette reconnaissance d’une image déjà vue dans une autre toute nouvelle, tend à valoriser le lecteur qui se prouve à lui-même sa culture, même si c’est à peu de frais. Il en éprouve un petit plaisir, voire une fierté, qui le retient dans la contemplation de l’image offerte. C’est autant de chances de le voir prêter attention au contexte qui y est associé, comme la climatisation.
3- Pour maintenir cette attention, un paradoxe peut y être ajouté. La contradiction apparente entre, d’une part, la photo de Marilyn Monroe et celle de son sosie, et d’autre part, la climatisation, présente une énigme dont la solution demande un peu de temps de réflexion : un amalgame est, en effet, effectué entre le souffle du climatiseur et celui de la bouche d’aération sur laquelle se tenait la star. Quelle peut bien en être la raison ?
4- L’intericonicité fournit, en outre, un moyen d’apprivoiser le lecteur confronté à un produit nouveau, donc inconnu. Car l’inconnu suscite d’abord en général un réflexe de répulsion, avec méfiance et prise de distance. En associant au produit inconnu un contexte familier, l’appréhension du lecteur peut être dissipée. Cette défense levée, il devient plus accessible à l’information qui lui est adressée.
5- Enfin, l’association d’une image connue à l’image inconnue vise à faire bénéficier l’image inconnue des affinités affectives que le lecteur entretient avec l’image connue. La comparaison entre Marilyn Monroe, robe soulevée sur sa grille d’aération, avec celle de son sosie dans une posture voisine tend à transférer au souffle du climatiseur un peu de l’érotisme que la star diffusait autour d’elle.
Une intericonicité involontaire négative ?
Le rapprochement entre les deux duos, Sarkozy - Bertrand et Laurel - Hardy, qu’on a reconnus, ne semble pas s’inscrire dans la configuration d’un leurre prémédité par les premiers. Il est peu probable que MM. Sarkozy et Bertrand aient, au cours d’un meeting, cherché à mimer la posture d’un des duos les plus célèbres du cinéma.
Or, la ressemblance des mimiques respectives est frappante. Dans les deux duos, un gros est aux côtés d’un plus maigre. Si M. Bertrand approche seulement la corpulence d’Hardy, la grimace du Président Sarkozy pourrait même être prise pour un pastiche de celle de Stan Laurel, digne de Thierry Le Luron, tant toutes deux correspondent l’une à l’autre trait pour trait : tête basculée en avant sur le menton qui, pressé, se dédouble, large sourire bouche fermée écartant des ailes du nez les mêmes plis symétriques, yeux rieurs sous sourcils en accent circonflexe et front plissé.
Il ne manque que les chapeaux melon, mais on s’en passe. Il reste qu’on ignore la cause de cette mimique de demeuré. Chez Laurel, c’est la métonymie de son personnage de gaffeur incorrigible malgré lui ; le Président Sarkozy, lui, a-t-il été surpris par un spectacle insolite ? Mais ce peut être tout aussi bien la grimace fugace d’ une déglutition contrariée.
L’intericonicité est toutefois cruelle, car, dès lors qu’elle est perçue, elle remplit ses fonctions même à l’insu et contre le gré des personnes. Le duo de politiques peut maintenant être associé à son corps défendant au duo des deux comiques. Ce n’est pas très flatteur. Les comiques sont les derniers à qui veulent ressembler des politiques, même si parfois ils n’ont pas besoin de forcer leur talent pour y parvenir. La preuve ! Laurel et Hardy, par exemple, ont fait de la maladresse le ressort de leur rire : Hardy le gros qui a la direction des opérations, est sans cesse la victime des bévues de son compère Laurel, le maigre et grand enfant naïf, qui compromet ses initiatives.
Ce n’est d’ailleurs pas l’image que l’on se fait de la répartition des rôles entre les deux hommes politiques, c’est même l’inverse. Maintenant, qui sait si le Président Sarkozy qui surveille tant la diffusion de ses images, ne s’est pas amusé à mimer Laurel ? Car, pour être emprunté et maladroit, Laurel reste au fond un brave type pas méchant. Et dans ce cas, l’intericonicité voulue permettrait à l’image de Laurel d’imprégner de son aura sympathique l’image du Président Sarkozy. Paul Villach
(1) http://vinz-a.blogspot.com/  ; « C’est toi le gros et moi le petit », 25 janvier 2009
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