Qui cherche la guerre la trouve
"La France est en guerre" semblait découvrir Valls le 25 mars dernier au lendemain des explosions de Bruxelles. "La France est en guerre", martelait-il pourtant déjà le 14 novembre 2015 après les mitraillages de Paris. "Nous sommes en guerre contre le terrorisme", avait-il auparavant déclaré le 9 janvier 2015 après les tirs contre les journalistes de Charlie hebdo. Le bégaiement du discours trahit la constance de l'intention. Il s'agit de montrer que la violence et l'horreur des attentats subis impose une riposte d'envergure avec les moyens exceptionnels que seule la guerre permet. Le "nous sommes en guerre" veut dire : on nous fait la guerre, on nous impose la guerre donc nous devons riposter en faisant la guerre à notre tour. Vulgairement ça se résume en : "on nous cherche, eh bien on va nous trouver."
Proust disait que les "quoique" sont souvent des "parce que" méconnus. Dans le langage politico-médiatique tenu depuis deux ans par le pouvoir, on pourrait dire que les "parce que" sont toujours en réalité des "de sorte que". Nous ne sommes pas en guerre parce qu'il y a des attentats, nous sommes en guerre de sorte qu'il y a des attentats. Ou, si l'on préfère, c'est parce que nous sommes en guerre qu'il y a des attentats.
Cette guerre dans laquelle nous sommes et qu'on fait semblant de découvrir de temps à autre comme un fléau imposé à notre innocence, nous l'avons déclarée il y a plus de trois ans, nous l'avons menée constamment depuis lors sur plusieurs théâtres d'opération de façon directe ou indirecte mais toujours brutale et meurtrière sans réel souci des lourdes conséquences que cela pouvait avoir pour nous.
Bien sûr derrière ce "nous" qui se réfère proprement à l'ensemble des ressortissants français, il y a des êtres bien divers, il y a surtout un acteur en chef qui, dans notre pays, est le président de la république, en l'occurrence François Hollande. C'est lui qui a décidé de lancer le 11 janvier 2013 l'attaque contre le Nord Mali et, au-delà d'elle, la lutte à mort contre le djihadisme. L'opération Serval qu'il a déclenchée aurait pu être une opération extérieure scrupuleusement inscrite dans le cadre de la légalité internationale fournie par la résolution de l'ONU 2085 et où l'ingérence dans la complexité des affaires intérieures maliennes aurait été limitée au maximum. Elle aurait pu être une simple démonstration de force pour servir de tampon entre l'armée régulière du Mali au sud et les combattants djihadistes et indépendantistes du Nord qui menaçaient Bamako.
Ce n'est pas ce qu'a voulu Hollande. Le coup d'arrêt mis à la supposée volonté d'invasion du sud Mali s'est rapidement transformé en une entreprise de reconquête du Nord et de massacre quasiment systématique des combattants djihadistes assimilés à des "terroristes à détruire". Dans son livre : La guerre de la France au Mali(1), Jean-Christophe Notin nous montre un François Hollande transformé dès le début 2013 en chef de guerre impitoyable. Il écrit :"Le chef de l'Etat ne demande pas seulement d'arrêter les djihadistes, ni même de les refouler mais bel et bien de les "détruire", verbe à peine moins dur que celui qu'il implique et que même les armées ont la pudeur de ne plus employer : "tuer". Au conseil de défense du 11 janvier , il aurait déclaré : "Dans le quadrilatère Léré-Diaboly-Sévaré-Konna, puisqu'il n'y a pas de forces maliennes, vous avez tir libre et j'assume." Tir libre, commente Notin, c'est à dire la possibilité pour les militaires français d'ouvrir le feu dès qu'ils ont repéré un véhicule suspect sans avoir à attendre l'autorisation de leur hiérarchie." Et "ouvrir le feu", ce sera dans la quasi totalité des cas balancer sur un pick up par hélicoptère ou par mirage une bombe qui ne laissera pratiquement ni au conducteur ni aux passagers aucune chance de s'en sortir vivant.
Evidemment cette volonté de tuer a toujours été cachée. Et, dans Les tueurs de la République(2), Vincent Nouzille le souligne en rapportant les propos d'un officier supérieur : "Les états-majors et le ministre ont parfaitement verrouillé la communication en ne montrant aucun combat ni aucun cadavre". Le même Nouzille laisse cependant entrevoir l'ampleur du massacre : " Le nombre des victimes dans le camp ennemi n'est pas connu : officiellement il est question de deux cents morts. Selon le général Barrera, commandant de la brigade Serval, le bilan officieux est plutôt de six cents à mille morts du côté des rebelles, sur un total estimé à deux mille combattants. Ce chiffre, peut-être sous évalué, est impossible à vérifier. "Lorsqu'on balance des bombes incendiaires sur des véhicules et que la température monte à deux mille degrés, il est difficile de compter les cadavres, même si nous avons envoyé des équipes sur place pour contrôler après les frappes", explique un ancien haut responsable du ministère de la défense."
A cette mise à mort en quelque sorte "à l'aveugle" des combattants islamistes se sont ajoutés des assassinats ciblés mais parfois lourds de "dégâts collatéraux" des chefs djihadistes localisés. C'est ainsi qu'Abou Zeid, commandant d'AQMI, est tué avec 43 autres djihadistes après repérage de son convoi dès le 23 février 2013. Bien d'autres "exécutions" suivront. Parmi elles, on peut évoquer au début mars 2014, celle d' Omar Old Hamaha, natif de Kidal, et porte-parole du Mujao. Le 18 mai 2015 c'est Hamada Ag Hama émir d'AQMI et Ibrahim Ag Inawalen émir d'Ansar Dine (tous deux également maliens d'origine) qui sont surpris lors d'une rencontre et assassinés...
L'opération Serval ne s'est terminée officiellement en juillet 2014 que pour élargir à tout le Sahel le cercle meurtrier de l'action militaire française à travers l'opération Barkhane. Des djihadistes ont été abattus en Mauritanie, au Tchad, au Burkina Faso ou au Niger. Et, en plus de combattre les membres de l'AQMI, d'Ansar Dine, de Al Maurabitoune, du Front de Libération de Macina, l'armée française se heurte directement à l'Etat islamique en combattant Adhane Abou Walid Al-Sahraoui qui y a fait allégeance avec ses hommes.
Ce heurt direct avec l'Etat islamique a bien sûr progressé de façon cruciale avec l'opération Chamal à partir du 19 septembre 2014. Là l'aspect asymétrique de la guerre jusqu'alors menée contre les djihadistes atteint son avatar le plus net. Au Mali la confrontation pouvait encore prendre le nom de combat et entraîner des pertes françaises. Au dessus de l'Irak les frappes meurtrières sont sans riposte possible de la part des forces armées djihadistes qui n'ont pas de batteries antiaériennes adaptées. Elles ne peuvent compter que sur le sens de la retenue de leurs agresseurs pour échapper au carnage.
Le 21 janvier 2016 le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian déclarait que 22000 djihadistes avaient été tués par les frappes de la coalition. Voilà bien le bilan provisoire d'un réel carnage. Quelle part est de la responsabilité de la France et donc singulièrement du chef de l'Etat ? Rapporter cette part au pourcentage réduit des frappes françaises dans le total serait peu significatif. La volonté homicide de François Hollande qu'on a évoquée dès le début de la guerre au Mali, son choix des opérations "homo" (autre nom des assassinats ciblés) en parallèle ou en complicité (3) avec les opérations américaines dans toute l'Afrique, son activité déployée pour réunir début septembre 2014 la conférence de Paris et mettre en place une coalition offensive dans le but de "détruire l'Etat islamique", tout cela témoigne de la responsabilité majeure de François Hollande d'avoir placé la France au centre des objectifs à atteindre par le djihadisme international mis en position défensive. Comment n'aurait-il pas pu en être conscient à la veille de l'attentat de Charlie Hebdo en janvier 2014 alors qu'il avait commencé à bombarder l'Etat islamique depuis quatre mois quand, dès la première attaque contre les djihadistes du Mali en janvier 2013, il faisait passer vigipirate de "rouge" à "écarlate" ? Il témoignait ainsi clairement qu'en attaquant pour les tuer des combattants islamistes, il allait révolter et dangereusement ne serait-ce qu'une minorité infime des six à neuf millions de musulmans français.
Le lendemain des attentats de Bruxelles, soit le 23 mars dernier, Jacques Baud, ancien officier des services de renseignement suisse et expert en terrorisme, disait ce ce qui suit au journal du matin de la première chaîne de télévision helvétique : "Tous les attentats ont une cause initiale. Il est très facile de comprendre cette cause car les revendications des attentats nous la disent très clairement mais nous refusons de l'écouter. La cause ce sont les bombardements que la coalition occidentale fait en Irak et en Syrie. Or aucun expert ne la mentionne. " Interrogé sur le point de savoir si les attentats cesseraient au cas où on arrêterait les bombardements, le même expert répondait : "Très vraisemblablement. Après les attentats de Madrid en 2004, le nouveau gouvernement a décidé de se retirer de la coalition. L'Espagne est totalement sortie de la menace terroriste et ils n'ont plus eu d'attentats depuis." (4)Comme quoi on peut être un expert, même suisse, et parler simplement et avec bon sens !
Ce bon sens commence tout juste à trouver un écho chez nous avec la constitution du collectif : "Ni guerres ni état de guerre" (5) qui appelle à la cessation des bombardements et des opérations extérieures françaises. Je n'ai pas cité celle en Centrafrique (6) pour ne pas alourdir cet article, mais elle est aussi déplorable que les autres. Hollande qui semble avoir voulu porter les habits d'un Bush français guerroyant en chef impitoyablement contre le terrorisme pourrait peut-être revenir à une humanité accessoirement pas dépourvue de bon sens. Qui cherche la paix...
1-Editions Tallandier 2014
2-Editions Fayard 2015
3- http://www.slate.fr/story/99473/operations-homo
5-https://www.google.fr/?gfe_rd=cr&ei=8ydhU9X6JImA0AWv7YCYBA#q=ni+guerres+ni+%C3%A9tat+de+guerre
6- opération sangaris lancée le 5 décembre 2013. Se renseigner sur les graves accusations portées devant l'ONU à propos d'exactions commises sur des enfants centrafricains par les soldats français.
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