Rafeef Ziadah : « Je veux me battre pour une Palestine libre »
Pour la troisième de "Le Mur a Des Oreilles" nous recevons l'activiste et poète palestinienne Rafeef Ziadah.
Le Mur Des Oreilles – Conversation avec Rafeef Ziadah
Diffusion 17/11/2013
(conversation enregistrée le 11/10/2013, à Londres)
Interview complete (en anglais) ici.
Florent : Bonjour à tous, vous écoutez Le Mur a Des Oreilles.
Aujourd'hui, nous sommes à Londres et notre invitée est Rafeef Ziadah, poète et activiste palestinienne, et nous sommes ravis de la recevoir dans notre émission.
Bonjour Rafeef,
Rafeef : Bonjour.
Florent : Bonjour Frank.
Frank : Bonjour Florent, bonjour Rafeef.
Florent : Rafeef, je t'ai présentée comme une activiste et poète palestinienne, mais tu es bien plus que ça. Est-ce que tu veux bien te présenter plus en détails ?
R : Je suis une réfugiée de la Palestine occupée, ma famille s'est réfugiée au Liban. J'ai grandi en exil, dans différents pays et j'ai finalement atterri à Londres. J'écris de la poésie et du slam. Je travaille pour l'organisation War On Want qui est basée ici, à Londres, et suis également membre du comité national du mouvement BDS (Boycott Désinvestissement Sanction, ndt). Je jongle entre ces différentes casquettes pour organiser différents évènements, comme la Semaine de l'Apartheid Israélien et diverses actions BDS.
Fl : On a pris l'habitude de commencer ces émissions en demandant à nos invités pourquoi il s'étaient engagés pour la Palestine. Comme tu es Palestinienne, la réponse semble assez évidente, alors je ne vais pas te poser cette question. Mais, hier, lors d'une conférence à SOAS, une université de Londres, tu as dit que tu en étais venue à te demander non pas pourquoi s'engager pour la Palestine, mais pour quoi luttons-nous quand nous nous engageons pour la justice en Palestine. As-tu trouvé la réponse ?
R : Juste pour revenir sur ta première question, je pense qu'il est utile de la poser aux Palestiniens. Parce qu'il y a des palestiniens qui ne s'engagent pas dans la lutte pour la justice en Palestine. Et j'entends beaucoup de parents notamment, dire à leurs enfants : « Ne vous en mêlez pas maintenant, soyez prudents ». Et je pense qu'il est important que les Palestiniens, et plus spécialement la jeunesse palestinienne, s'engagent dans la lutte pour la Palestine, au-delà des slogans. Il ne suffit pas de se faire tatouer Handala sur le bras pour prétendre être un activiste pro-palestinien. Nous avons sérieusement besoin que les gens s'impliquent dans nos différentes campagnes, dans des actions, sur le terrain.
Ceci étant dit, hier soir je parlais des conséquences du processus d'Oslo.
Je viens d'une famille de réfugiés et nombre d'entre eux sont morts lors de l'invasion du Liban en 1982 et des guerres qui ont suivi dans les camps. Mon grand-père a refusé de quitter le camp de réfugiés parce qu'il disait que quand le bus viendrait les chercher pour les ramener en Palestine, il voulait être là, sinon ils l'oublieraient. C'est seulement deux mois après qu'il ait dit ça que les camps ont été envahis et que la plus grande partie de notre famille a été tuée.
Et je pense que c'est ce sens de la justice, que je tiens de ma famille, à propos de notre droit au retour sur notre terre d'origine, qui a été perdu à Oslo.
On n'a pas besoin de grandes recherches ou théories universitaires pour parler de justice en Palestine. Mon grand-père était un simple maçon et il savait qu'il avait une maison à Haïfa dans laquelle il voulait retourner.
Avec Oslo, la lutte est passée d'une lutte pour la justice et le droit au retour à une lutte pour un État, un État limité, même pas une souveraineté complète, juste sur de petites portions de la Palestine, qui sont maintenant entourées de murs et de checkpoints. Tout ce qu'il nous reste sont des bantoustans. Voilà le résultat d'Oslo. Alors, ça m'a fait me poser des questions : quand on parle de paix, quand on parle de lutte pour la Palestine, quel genre de lutte voulons-nous ? Dans quel genre de société voulons-nous vivre ?
Je veux me battre pour une Palestine libre, pas pour des lambeaux de terre sous contrôle total des Israéliens.
Fr : À propos des réfugiés, je pense que les personnes qui ne sont pas impliquées dans l'activisme pro-palestinien ne réalisent pas que c'est le coeur du problème. Avant la scission de Jérusalem, avant la question des frontières. La question des réfugiés est la problématique principale. En tant que réfugiée toi-même, tu rencontres évidemment de gros problèmes pour retourner en Palestine. Tu m'as déjà parlé du fait que tu étais née à Nazareth mais que tu n'avais pas de certificat de naissance qui dit que tu es née là-bas. Pourquoi ne peux-tu pas obtenir ce certificat ?
R : Il est intéressant de noter que lorsque l'on évoque les Palestiniens, on adopte généralement les catégories israéliennes : tu es soit de 67 soit de 48 soit réfugié. Mais quand on revient à la Nakba, à la manière dont ça s'est déroulé, ces frontières n'ont jamais été bien définies, ces catégories-là. Alors, tu peux être moitié 67 moitié 48. Et je suis dans ce cas-là.
Parce que la moitié de ma famille est Palestinienne avec la citoyenneté israélienne et l'autre moitié est réfugiée au Liban, ce qui n'est pas rare. Comme mon père voulait que sa famille me voit, je suis née là-bas et puis on m'a refusé mon certificat de naissance. Parce que si on me l'avait donné, ça voulait dire qu'un jour, peut-être, je pourrais demander la citoyenneté. Au jour d'aujourd'hui, je n'ai toujours pas réussi à obtenir ces documents.
Fr : Pour poursuivre sur la question des réfugiés, j'écoutais Suzanne Akram hier, professeure à l'université de Boston, qui disait que les Palestiniens étaient les réfugiés les plus nombreux au monde, avec six ou sept millions de réfugiés, je crois. Le concept de « droit au retour » est inscrit dans la loi, c'est un droit, ce n'est pas une faveur que l'on fait aux Palestiniens. Les gens parlent du droit au retour mais la plupart du temps on n'entend que la version israélienne, qui dit : « Vous voulez que six millions de personnes reviennent maintenant sur notre terre, qui est un État juif, et nous détruisent ? »
Des associations comme Zochrot ou Vizualizing Palestine essaient de changer la question théorique en une question pratique : Que se passerait-il, concrètement, si les réfugiés revenaient ? Quelle forme cela pourrait-il prendre ?
Rafeef, est-ce que pour toi, pour ta famille, le droit au retour existe toujours ? Est-ce que vous aimeriez retourner en Palestine si vous pouviez ? Et comment vous l'imaginez ? Comment ça pourrait se faire concrètement, alors que tous les villages ont été détruits ?
R : Je pense que pratiquement c'est assez simple. De nombreux universitaires ont déjà fait des recherches à propos des lieux où les réfugiés pourraient retourner. Les villages qui ont été détruits peuvent être reconstruits. Dans la plupart des zones qui ont été détruites il n'y a d'ailleurs pas de nouvelles constructions. De nombreuses maisons dans les grandes villes, comme Haïfa, ont été repeuplées par des familles arabes, par d'autres Palestiniens. Pratiquement, c'est donc, à mon sens, très faisable. Maintenant, les raisons qui font que ça ne peut pas se faire, les arguments de ceux qui s'y opposent, sont des arguments totalement racistes. J'ai débattu avec des sionistes, je les ai regardés droit dans les yeux et leur ai demandé en quoi mon retour en Palestine leur posait un problème. Leur seule réponse était : « Tu viendrais pour nous détruire, pour tout détruire ». Voilà un argument uniquement fondé sur un racisme anti-arabe extrême : l'idée que tout ce que souhaitent les Palestiniens est revenir pour tout détruire. Alors que nous voulons juste retourner chez nous. C'est le droit de tous ceux qui ont été expulsés de leur terre. C'est inscrit dans la loi internationale. Mais si on veut trouver une solution, réaliste, à ce qui s'est passé dans la région, qui a commencé avec la Nakba et le nettoyage ethnique, et la destruction de tant de populations, de maisons et de villages, il faut reconnaitre que l'État d'Israël a été construit sur les décombres d'un autre peuple. On ne pourra avancer que si Israël se résout à accepter cela. Mais pour l'instant ils ont choisi de poursuivre la solution des bantoustans et de l'apartheid, d'éliminer un maximum de Palestiniens, de contrôler le reste dans des bantoustans et de discriminer les citoyens palestiniens d'Israël. Voilà ce que nous propose l'État israélien. Je pense que la contre-offre la plus imaginative, la plus humaine et universelle est de demander : Pourquoi ne pouvons-nous pas avoir une région où vivre libres, dans la justice et l'égalité, sans discriminations raciales ? Je ne veux pas un État chrétien, islamiste ou bouddhiste. Fondamentalement, je crois que je n'aime pas les frontières. Pourquoi ne pas dire que nous voulons juste que tout le monde dans la région ait les mêmes droits. Et certaines personnes qui avancent cet argument, l'avancent comme si Israéliens et Palestiniens étaient sur un pied d'égalité. Ce n'est pas ce que je dis. Un dommage a été fait aux Palestiniens, si cela n'est pas réparé, il ne pourra y avoir ni justice ni paix dans notre région.
Cela implique que les sionistes qui veulent rester en Palestine doivent devenir anti-sionistes. Nous devons traverser un processus de décolonisation, une réhabilitation pour être capables de vivre tous égaux dans un État.
Fr : Et ça c'est une des choses les plus compliquées à obtenir, parce que parfois on a de la peine, c'est dur à dire mais parfois on a de la peine pour certains israéliens. J'ai discuté avec Nurit, tu connais Nurit Peled et la famille Elhanan, qui sont opposées à l'occupation, anti-sionistes depuis longtemps... Son plus jeune fils, quand il a eu 16 ans et a commencé à réfléchir à s'engager dans l'armée, voulait rejoindre les Forces de Défenses Israéliennes. Et Nurit n'arrivait pas à comprendre. Son fils a été élevé au côté de Palestiniens, il y a toujours eu des Palestiniens chez eux et pourtant il était impensable pour lui de ne pas faire l'armée.
Nurit a aussi écrit un livre sur la manière dont les Palestiniens sont décrits dans les livres d'école israéliens. Après un tel lavage de cerveau, comment tu t'en sors ? La vraie gauche du vrai mouvement anti-sioniste en Israël représente quoi, zéro virgule cinq pour cent ? C'est vraiment compliqué. Je sais qu'on ne va pas plaindre les Israéliens, enfin, on est surtout désolés pour les Palestiniens mais comment les dé-lobotomiser ?
R : C'est intéressant ce que tu dis sur la difficulté pour eux. Je me souviens au Liban, pendant que les bombes tombaient, les gens discutaient de...
F : Tu parles de quelle période ?
R : Oui, désolée, Israël a bombardé tellement de fois, je parle de 1982. Et beaucoup de gens étaient jaloux de la puissance militaire. Quand tu n'as aucun pouvoir militaire du tout et que tu vois cette armée sur-puissante. Évidemment tu deviens jaloux de ce qu'ils sont capables de faire et quelqu'un m'a demandé : aimerais-tu être de l'autre côté ? Si tu avais le choix, préfèrerais-tu n'être pas palestinienne ? Non, je n'aurais jamais choisi ça.
Je pense que ce que l'État d'Israël fait en ce moment, vivre en étant si raciste, ça détruit de l'intérieur. Tu ne peux pas construire une société qui en oppresse une autre quelques kilomètres plus loin. Une société où les enfants doivent faire leur service militaire, être en poste aux checkpoints et humilier d'autres personnes tout le temps, ne peut qu'être destructrice.
Et c'est là que je vois, si on veut changer cela, une des forces du BDS, parce que le changement ne viendra pas de l'intérieur d'Israël. Les Palestiniens ont tout tenté sur le terrain, et, je pense que la résistance doit venir des Palestiniens mais la campagne BDS est une bonne piqure de rappel, pour dire aux israéliens qu'ils ne peuvent pas continuer à agir de la sorte. Et ça commence à porter ses fruits. Je ne pense pas que sans cette pression extérieure on pourrait réévaluer ce que le sionisme a fait. Ce ne sera pas facile, ce ne sera pas simple mais parfois ce type de pression extérieure est nécessaire pour réveiller ceux pris dans un racisme si profond qui est, je pense, ancré dans la société israélienne aujourd'hui. Je trouve ça étrange qu'on nous demande toujours pourquoi on apprend aux enfants palestiniens à haïr alors que si on regarde ce qu'on apprend aux enfants israéliens, dans les livres notamment.... Quand la guerre au Liban a éclaté, celle de 2006, des enfants israéliens signaient des missiles qui allaient être lâchés. Avoir un tel niveau de racisme à un si jeune âge est très inquiétant. C'est pour ça que je pense qu'une pression extérieure est nécessaire pour secouer tout ça. Le mot intifada signifie littéralement « se débarrasser » (« a shaking off », ndt) , et je pense que cette société a sérieusement besoin de se débarrasser du racisme.
Fr : Tu évoquais la résistance, à l'instant, et on entend souvent dire que les palestiniens ont besoin de trouver leur Gandhi. Il faut qu'ils trouvent des moyens non-violents.... Personne n'a demandé ça en Afrique du Sud ! Mandela était à la tête d'un mouvement armé, les résistants de Papouasie-Nouvelle Guinée étaient armés contre les Indonésiens et les gens les soutenaient.
Alors qu'en ce qui concerne la Palestine, c'est impossible. La seule résistance possible doit être non-violente. Et cela se répercute même dans le mouvement de solidarité. Tu te souviens quand nous étions à Cape Town et que Leila Khaled a mentionné la résistance armée ? Bon, je n'étais pas d'accord avec tout ce qu'elle a dit mais on ne peut pas ne pas mentionner la résistance armée. Selon la loi internationale, en tant que peuple occupé tu as le choix de prendre les armes pour repousser l'occupant. Mais il semble que l'occident impose que la seule forme de résistance acceptable pour les palestiniens doit être pacifiste. La conséquence de cela est que les autres modes de résistance ne sont presque jamais évoqués.
R : Je pense que ce qui est important pour un peuple qui résiste est de savoir quels sont les meilleurs outils à sa disposition à un moment donné et la manière de les utiliser à ce moment-là. Est-ce que la résistance armée peut nous libérer aujourd'hui ? Est-ce que ça fonctionnera conjointement à d'autres actions ? Est-ce que le BDS associé à d'autres actions est la meilleure façon d'avancer ?
C'est comme avoir une boite à outils. Et il faut se demander quel est le meilleur moment pour les utiliser et de quelle manière.
Je pense, qu'aujourd'hui, la notion de non-violence a été récupérée et ce concept de résistance pacifiste, dont nous n'avions jamais entendu parler en Palestine avant, est un concept très récent, un concept créé par Oslo qui a été introduit dans le vocabulaire. La résistance pacifiste c'est ce qu'on avait toujours appelé jusque là la résistance populaire. Ça été largement récupéré par l'Autorité Palestinienne comme une méthode pour ne rien faire de plus. Alors ils disent aux gens des villages : si vous voulez résister, participer à ces manifestations non-violentes que nous contrôlons, dont nous savons tout. Et c'est comme ça qu'ils récupèrent le concept. Et ça c'est très inquiétant. Cependant, je pense qu'il ne faut pas critiquer ceux qui utilisent uniquement la non-violence. On a une boite à outils et il nous faut les utiliser de façon stratégique.
Fl : Est-ce que tu peux alors nous en dire un peu plus sur les actions que War On Want mène et utilise ?
R : Une des campagnes dans laquelle je suis impliquée vise la société G4S, qui est la plus grande société militaire et de sécurité privée au monde. C'est aussi le plus gros employeur en Afrique, aujourd'hui. C'est une immense société qu'on commence à voir partout dans le monde,
Fl : Où est-elle basée ?
R : Partout... C'est une société britannique, une société anglo-danoise ce qui nous donne une bonne raison d'en faire une cible ici à Londres. Mais ils sont implantés partout dans le monde. En 2007, G4S a signé un contrat avec l'administration pénitentiaire israélienne pour fournir des équipements et des services aux prisons, ils fournissent aussi des équipements aux colonies et à certains checkpoints. C'est donc une des sociétés que nous ciblons pour mettre un terme à sa complicité et à son soutien à l'occupation.
La société G4S a récemment déclaré qu'elle allait quitter la Cisjordanie avant 2015. Il n'y a, bien évidemment, rien qui les obligera à tenir leur engagement et ils ont dit ça uniquement pour satisfaire les différents groupes qui faisaient pression sur eux. Cependant, ils refusent toujours de communiquer sur leur implication dans les prisons israéliennes. Ce sont eux qui assurent le transfert des prisonniers palestiniens de la Cisjordanie vers les prisons israéliennes, ce qui va à l'encontre des conventions de Genève. On mène donc des actions contre G4S, la plupart d'entre elles visent à informer les gens sur ce que fait G4S partout dans le monde. En juin dernier, se tenait leur réunion annuelle, nous nous y sommes introduits, avons interrompu la séance, posé des questions et le lendemain matin tous les médias parlaient de G4S et des prisons palestiniennes. Et nous allons continuer jusqu'à ce que G4S quitte les Territoires Occupés et renonce à son contrat avec les prisons israéliennes.
L'autre grande campagne que nous menons s'intitule « Arrêtez d'armer Israël ». Cette action a été lancée en 2008 après la première attaque sur Gaza, parce que de l'équipement militaire britannique était exporté vers Israël et utilisé dans les F16 qui bombardaient Gaza. On a donc lancé une campagne pour mettre un terme à ce commerce militaire. Nous avons réussi à faire interdire certaines transactions en prouvant que des armes étaient utilisées pour commettre des violations aux droits de l'Homme. Cependant, le commerce continue et le Royaume-Uni a de nombreux accords de vente d'armes avec Israël. Et ce qui est peut-être encore plus grave c'est que les armes voyagent également dans l'autre sens. Le Royaume-Uni n'exporte pas uniquement des armes en Israël, il en importe également.
Cela est une problématique cruciale pour nous, car les Territoires Occupés sont devenus le terrain de jeu et d'expérimentations des équipements militaires israéliens. Les Palestiniens leur servent de cobayes pour tester leur équipement. Le système de répression et de surveillance hyper-sophistiqué mis en place en Palestine, est exporté dans le reste du monde.
La Suisse, par exemple, veut utiliser les drones israéliens pour surveiller ses frontières. Cela se propage un peu partout en Europe, en particulier à des fins de surveillance. La principale société impliquée dans ce commerce est Elbit, qui fournit de l'équipement pour le mur d'apartheid. Cette société est devenue un consultant pour la construction du mur de séparation sur la frontière entre les États-Unis et le Mexique, et intervient également dans les pourparlers d'un probable mur entre l'Europe et la Turquie.
On voit bien là comment cette conception du monde, basée sur une surveillance constante et sur la séparation entre les races par des murs, s'exporte partout dans le monde.
Nous travaillons donc beaucoup sur cette campagne « Arrêtez d'armer Israël », et c'est une action qui me tient particulièrement à coeur.
Fl : Je pense que les gens que ça intéresse peuvent visiter le site web de War On Want.
R : Tout à fait, toutes les informations sont sur www.waronwant.org
Fr : Concernant les moyens de lutte, les gens utilisent souvent le mot « radical », à mon avis dans son sens le plus péjoratif. C'est un « radical », tu vois, un punk avec une crête qui ne se lave pas. Alors que le mot « radical », étymologiquement, signifie prendre le problème à sa racine, c'est donc en fait un très bon mot.
Tu évoquais l'opération Plomb Durci et l'implication de sociétés britanniques, et pendant l'opération Plomb Durci, s'est menée une campagne « Détruisons EDO/ITT », pour laquelle des activistes de Brighton se sont introduits dans les bureaux de la société ITT et les ont saccagés, les mettant hors d'état de nuire pendant des semaines, parce que EDO/ITT fournissait des composants pour les F16 israéliens, entre autres. Ces actions, plutôt directes, impliquent que les gens qui les mènent soient prêts à aller en prison, à être poursuivis en justice. Est-ce que tu penses que c'est quelque chose qui peut être efficace ? À la conférence, hier, les gens ont beaucoup insisté sur le lobbying. Leur argument était : qui prend les décisions ? Les politiques. Alors le lobbying est la première chose à faire. Tu y as très bien répondu, en disant qu'effectivement le lobbying était un de nos outils. Je suis d'accord. Mais pour moi c'est plutôt une des dernières choses que nous devons faire. Parce que j'en ai fait du lobbying et tu connais les hommes politiques, ils disent : « Oh, je n'étais pas au courant de cela ! Oui, j'en parlerai à M. Cameron ! » , etc....
Mais tant qu'ils ne seront pas soumis à une pression populaire assez forte, ils ne feront rien. Et je pense que ces actions directes qui, d'ailleurs, quand elles ont été portées devant la justice, comme « Smash IDO » et RAYTHEON 5 en Irlande, ont gagné leur procès pour la plupart ; je pense que ces actions, donc, sont une manière efficace de faire pression et de progresser. On ne peut pas se limiter à signer des pétitions et parler à nos représentants politiques. C n'est clairement pas assez.
R : C'est toujours la même idée de boite à outils : qu'est-ce qui marche et à quel moment ? Mais il faut aussi penser à construire le mouvement vers l'extérieur. Parce qu'une fois que tu entreprends des actions directes, tu connais très bien les conséquences et tu es prêt à te faire arrêter, et c'est important mais on ne peut pas seulement compter sur des actions isolées menées par des petits groupes. Ils ont été forts et sont nécessaires, et je ne peux pas imaginer un mouvement sans ces groupes, mais nous devons aussi pouvoir parler aux gens qui ne connaissent pas très bien la Palestine, et en fédérer assez pour pouvoir faire des actions de grande envergure. À mon avis, c'est d'ailleurs à ce point que nous en sommes, nous devons élargir notre discours jusqu'à ce que tout le monde dise aux gouvernements, aux multinationales : « vous ne devez pas entretenir de relations avec l'Etat d'Israël, il ne faut pas équiper les prisons israéliennes, où vous risquerez d'être confronté à des actions directes de masse ». Je pense qu'il faut chercher la meilleure manière de communiquer avec les gens, de les impliquer, d'arriver à faire d'eux des activistes prêts à prendre le risque, à aller plus loin. Je pense que c'est de cette manière qu'il faut avancer, avec cette idée de boite à outils.
Le lobbying pose un problème parce que la gauche est faible d'une manière générale, nous n'avons pas conscience de notre pouvoir de changer les choses par le biais d'actions de masse et les gens pensent qu'il suffit d'interpeler leurs hommes politiques. Et même en Afrique du Sud, les politiciens n'ont réagi que face à la pression de la masse. C'est ce rassemblement que j'ai envie de créer. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne doit pas faire de lobbying. Nous devons utiliser la force du collectif. Mais si en ce moment précis le lobbying est le meilleur moyen de faire bouger les choses, utilisons-le.
Fl : Je propose qu'on fasse maintenant une pause musicale. Rafeef, tu as bien voulu choisir deux morceaux pour nous aujourd'hui. Est-ce que tu peux nous présenter le premier et peut-être nous donner les raisons pour lesquelles tu l'as choisi ?
R : J'ai choisi un morceau d'une très bonne amie à moi, une talentueuse musicienne palestinienne qui s'appelle Terez Silman. Elle est palestinienne citoyenne d'Israël. Ensemble en ce moment, nous tentons de mélanger du slam en anglais avec de la musique arabe. C'est une expérience qu'on tente. En tout cas c'est une des plus jolies voix que j'ai jamais entendue et j'ai beaucoup de respect pour elle et son engagement politique.
Intermède musical
(http://www.youtube.com/watch?v=i7B_uv80Fv4)
Fl : Vous écoutez toujours Le Mur a Des Oreilles – conversations pour la Palestine et nous sommes toujours avec Rafeef Ziadah, notre invitée aujourd'hui.
Rafeef, tu es donc une poète et tu fais aussi du slam. Tu as sorti un Cd en 2010, intitulé Hadeel.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de l'outil culturel en général et de l'usage de l'écriture en particulier dans la lutte pour la Palestine ?
R : Le projet sioniste a toujours cherché la destruction de la culture Palestinienne et pour les sionistes, les palestiniens n'existent pas. Ils s'en tiennent à ça : les palestiniens n'existent pas. Montrer notre culture et, donc, la résistance culturelle est une des façons les plus évidentes d'affirmer notre opposition au sionisme en revendiquant notre existence. J'ai commencé à écrire très jeune, surtout parce que nous devions toujours fuir et nous cacher, alors écrire est devenu le moyen le plus simple d'être en moi-même et de communiquer sur le papier. Je ne suis pas montée sur scène avant d'arriver au Canada. L'anglais n'est pas ma langue maternelle alors je faisais beaucoup d'erreurs qu'on n'est pas censé faire quand on est Palestinien. Par exemple, j'étais incapable de prononcer la différence entre « touriste » et « terroriste », les « p » et les « b » . Alors, j'ai toujours eu peur de monter sur scène en anglais. Jusqu'au jour où on a organisé une action directe à mon université et que j'ai été frappée par un sioniste qui m'a dit : « Tu mérites d'être violée avant d'avoir des enfants terroristes ». J'étais tellement furieuse à ce moment, c'était la première fois que je montais sur scène et j'ai présenté « Shades of Anger » qui est devenu un peu un hymne pour moi.
Je n'ai pas cessé de monter sur scène depuis. À mon avis, c'est très utile par la manière dont ça change le point de vue des gens sur la Palestine. La plupart du temps dans les médias la Palestine est associée au mot « terroriste » et on a de la chance si on entend trois mots d'arabe. J'aime que les gens commencent à voir quelque chose de différent et je pense que la culture les touche différemment. Dans les mouvements de lutte, en général, on se souvient des chansons, des pièces de théâtre, des poèmes. Je n'ai jamais entendu quelqu'un dire s'être engagé dans un mouvement après avoir entendu un discours – à part, peut-être, le discours de Martin Luther King – après avoir été ému par telle ou telle statistique....
Les statistiques et les faits sont évidemment importants, mais pour que l'on puisse continuer une lutte comme celle-ci, qui n'est pas un sprint mais un marathon, nous avons besoin d'autre chose, de nourriture spirituelle. C'est en ce sens que la culture est une forme de résistance, parce qu'elle donne aux gens le courage de continuer.
F : Fais attention parce que tu sais que le gouvernement israélien a tendance à éliminer les icônes culturelles comme Ghassan Kanafani, par exemple.
Je voudrais juste ajouter quelque chose, un commentaire personnel. Tu sais, les vidéos de « We Teach Life, Sir » et « Shades Of Anger » (deux poèmes de R. Ziadah, ndt : http://www.youtube.com/watch?v=aKucPh9xHtM ; http://www.youtube.com/watch?v=m2vFJE93LTI) ont été énormément vues sur Youtube, avec environ 300 000 vues pour « We Teach Life, Sir », par exemple, qui est un texte qui retourne les gens, les bouleversent totalement. Personnellement, je l'ai regardé à d'innombrables reprises et à chaque fois ça me fait le même effet. Ça me remplit de force. Il y a tellement de choses à retirer de ce poème ! Je pense que ce genre de création est très utile parce que ça permet d'ouvrir une fenêtre différente sur la Palestine pour les gens qui ne sont pas forcément intéressés par le conflit ou par la politique en général. C'est un texte très politique. Tu y évoques les bombardements de Gaza, les camps de réfugiés, la façon dont les médias fonctionnent, ... Et comme tu le disais, c'est un outil supplémentaire : une porte différente pour aller toucher ceux qui autrement ne l'auraient pas été. D'ailleurs, la scène artistique palestinienne est en plein essor avec toi, DAM, The Dark Team in Gaza, de nombreux rappeurs. Vous dépassez les barrières de la culture et du conservatisme.
C'est extrêmement positif, notamment parce que ça donne à voir un côté de la Palestine que l'on ne voit pas si l'on n'y va pas : sa beauté, son humour, son intelligence, sa créativité. Ça fait du bien. Lorsque j'étais au Canada durant la « Semaine de l'Apartheid Israélien »...
Tiens, d'ailleurs, parlons un peu de la Semaine de l'Apartheid Israélien.
Tu es une des fondatrices de cet évènement, est-ce que tu peux nous dire qu'elle en a été l'évolution depuis sa création en 2009, pour la première édition, c'est ça ?
R : Non, bien plus tôt. C'était en 2005, ça ne me rajeunit pas.
F : Comment et pourquoi est née la « Semaine de l'Apartheid Israélien » ? Et quelles évolutions as-tu pu observer depuis ?
R : Ça a commencé un an avant que nous arrive l'appel BDS de Palestine. À cette époque, une poignée d'entre nous, réfugiés palestiniens étudiant à Toronto, réfléchissions déjà à ce que nous pourrions faire après l'Intifada, après l'échec d'Oslo, pour lutter contre la solution de bantoustans que prônait Israël. Et dans nos analyses, le mot « apartheid » revenait toujours. Nous voulions populariser cette conception et de nombreuses personnes ont pensé que nous étions fous. Les gens ne voulaient parler que de la colonisation, de 67, surtout ne pas mentionner les réfugiés, ne pas aller au-delà des concepts standards. Mais on était jeunes, donc audacieux, et nous avons lancé cette campagne, portés par notre jeune insouciance. Nous avons immédiatement été attaqués par les lobbies sionistes qui ont tenté de tout faire interdire. Et la meilleure chose à faire pour galvaniser la jeunesse, c'est lui poser des interdits. Au fil du temps, la Semaine de l'Apartheid a pris de plus en plus d'ampleur, jusqu'à un point que nous n'aurions jamais imaginé. L'année suivant le lancement de notre campagne, l'appel pour le BDS est arrivé de Palestine et ça a été le complément parfait pour appuyer notre analyse. Nous pouvions dire : « Voilà ce qui se passe et voilà ce que vous pouvez faire ».
Avant cela, nous réagissions aux massacres perpétrés en Palestine et nous pouvions en informer les gens. Mais on ne pouvait pas leur dire qu'ils étaient complices et qu'ils devaient agir. L'appel pour la campagne BDS nous a permis d'associer ces deux aspects. L'année dernière La Semaine de l'Apartheid s'est tenue dans 216 villes et elle continue de prendre de l'ampleur au fur et à mesure que le mouvement de solidarité se développe.
Fr : Encore une fois, il est primordial que les personnes qui ne sont pas impliqués activement dans la lutte pour la justice en Palestine comprennent que le succès de cette campagne est une victoire. Parce que certains disent, même parmi les activistes pro-palestiniens, que ce combat dure depuis quinze, vingt, trente ans et que sur le terrain rien ne change. Mais les choses changent. Lentement, ça prend du temps. Comme toutes les luttes de ce genre. Le régime d'apartheid en Afrique du Sud n'a pas été renversé en cinq ans. Je pense que c'est symptomatique du monde dans lequel nous vivons. Un monde où tout doit aller vite, un monde de l'immédiateté. Mais les gens oublient souvent les petites victoires qui, additionnées entre elles, aboutiront à quelque chose d'envergure. C'est pour cela qu'il est très préjudiciable que quelqu'un comme Norman Finkelstein dise que le BDS est une secte et qu'il peut en compter les victoires sur les doigts de la main. En faisant ça il joue le jeu des médias de masse qui nous font croire qu'il faut que tout arrive tout de suite. Mais les choses arrivent. Le fait que plus de 210 villes ont une Semaine de l'Apartheid Israélien, c'est énorme. Et nous devons rendre cela public. Nous devons faire savoir aux gens que des choses se passent, que des choses changent. Dans un livre de John Berger, « De A à Z », Javier, le personnage principal, écrit à sa partenaire : « Le combat sera sans fin ». C'est, à mon avis, un concept clé. Ce « combat » englobe tous les combats comme celui pour devenir une meilleure personne, par exemple, et effectivement il n'a pas de fin. On ne s'engage pas dans la lutte pour la justice en Palestine comme on signe un contrat avec un employeur. Ce n'est pas un contrat de trois ans, à plein temps ou à temps partiel : c'est l'engagement d'une vie. Et si nous arrivons à expliquer aux gens que c'est en fait la vie, elle-même, et qu'il vaut mieux se battre que mourir à genoux, nous aurons réussi en quelque sorte. Même si la Palestine n'est pas libre dans dix ans.
R : Et même si la Palestine est libre. On ne va pas retourner vivre en Palestine et tout ira pour le mieux.
J'ai beaucoup voyagé ces derniers temps, puisque j'ai enfin obtenu des papiers qui m'ont permis de le faire, après avoir été « sans papier » la majeure partie de ma vie. Je pense qu'en tant qu'activistes pro-palestiniens on a tendance à penser que la Palestine connait la pire exploitation au monde. Il est certain que la situation y est insoutenable et que l'occupation est terrible mais il y a de l'exploitation ailleurs. Alors, oui, le combat sera sans fin. Parce que nous ne nous battons pas uniquement pour la justice pour la Palestine ou en Palestine, mais pour la justice partout et pour tous. Il est évident pour moi que pouvoir retourner en Palestine ne signifiera pas la fin de la lutte. Je pense même que la lutte commencera une fois que je serai sur la plage d'Haïfa, en train de réfléchir à la prochaine action à mener.
Fr : Pour moi, la Palestine est un « instantané » de ce qui va mal dans le monde. Mais c'est aussi, si nous réussissons, l'opportunité ce qu'il serait possible de mettre en place dans une société et un monde plus justes. C'est pour cela que c'est une cause si symbolique. Il est difficile de faire plus injuste que ce qui se fait en Palestine mais si on arrive à en ouvrir les portes et les frontières, on pourrait voir la possibilité d'une nouvelle société.
R : Je dis toujours qu'Israël aujourd'hui est un microcosme du genre de monde que nous ne voulons pas. Quand on voit le mur d'apartheid, le traitement infligé à la main d'oeuvre palestinienne, totalement sous contrôle israélien, avec des checkpoints uniquement ouverts à certaines heures pour laisser passer les travailleurs qui n'ont aucun droit dans les zones industrielles. C'est similaire à ce qui se passe dans les maquiladoras à la frontière entre les USA et le Mexique et dans d'autres zones industrielles du monde. Mais dans le cas de la Palestine c'est tellement brutal et dans une région tellement petite, associé, en plus, à une occupation militaire. C'est vraiment le genre de monde dans lequel je ne veux pas vivre.
Fl : Qu'est-ce qui te fait écrire : la colère, la haine, l'espoir, ... ?
R : Certainement la colère et l'espoir. À une époque, j'étais dans un schéma de pensée très occidental, où l'on ne doit pas dire qu'on est en colère. Parce que, au début, on me disait que je parlais d'une manière trop agressive, trop passionnée. Et puis j'ai décidé de répondre : « Oui, je suis en colère. Contre beaucoup de choses. D'ailleurs je ne comprends pas pourquoi vous n'êtes pas aussi en colère que moi. Et j'ai besoin que vous vous mettiez un peu en colère aussi ».
J'ai donc assumé ma colère, et je pense que c'est sain.
Et j'ai beaucoup d'espoirs.
À un niveau très très personnel, toutes les histoires que j'ai rassemblées, dans « Hadeel » particulièrement, sont les histoires de palestiniennes. Les miennes, celles de membres de ma famille mais aussi celle d'une jeune fille dont la famille a été massacrée sur la plage de Gaza, ou celle d'Hadeel, cette petite fille tuée pendant les bombardements, qui a donné le titre à l'album. L'impact réel des violences israéliennes contre les Palestiniens, et les femmes et les filles en particulier, est généralement effacé. Parce que ces violences ne se limitent pas aux bombardements mais restent inscrites dans nos os, dons nos peaux. Au sein de ma famille, par exemple, les ramifications du traumatisme subi se multiplient et se manifestent par des problèmes psychologiques notamment. La violence se répercute donc, résonne et se poursuit, et cet aspect de la vie des femmes palestiniennes ne transparait jamais. À chaque fois que je vois ce genre d'histoires à la télévision, c'est comme revoir ma propre histoire encore et encore. Ça me rappelle que les Palestiniens sont sous le joug de l'État d'Israël depuis sa création. Et je pense que sur le plan le plus personnel, mon écriture vient de là.
Fl : C'est ce que j'aime particulièrement dans tes écrits. Tu remets des noms et des histoires individuelles devant les chiffres. On nous annonce qu'un millier de Palestiniens est mort et toi tu leurs rends leurs noms. Hadeel, ce n'est plus une palestinienne parmi mille mais ce pourrait être ma soeur, ma fille.
Fr : C'est cela que l'on comprend quand on se rend en Palestine. Il est important d'y aller. Et quand tu y es, les Palestiniens te disent : « Tu es venu ici, maintenant quand tu retourneras chez toi tu pourras agir ». Aller voir la situation sur le terrain vous fait ouvrir les yeux, vraiment. Arundhati Roy a dit un jour : « Une fois que tu as vu, tu ne peux plus ne pas voir ». Ma première visite a engendré une réelle transformation chez moi. J'étais activiste depuis quelques années avant de m'y rendre en 2007 pour une dizaine de jours, j'avais lu des dizaines de livres sur le conflit, vu et entendu presque tout ce qui traitait du sujet. Quand je suis revenu, je ne pouvais plus ne plus voir. J'étais encore plus en colère mais aussi plus confiant pour défendre la cause des Palestiniens. Un des arguments majeurs avancé par les israéliens dans les débats consiste à dire : « As-tu été là-bas ? J'étais à Tel-Aviv, moi, on a été bombardé ! As-tu vu la situation sur le terrain ? »
C'est vrai qu'il est plutôt difficile de répondre à cet argument si on n'a pas été voir par nous-mêmes. Tu peux toujours dire que tu as regardé une dizaines de documentaires ou assisté à toutes les conférences possibles, ça ne marche pas et c'est normal. Mais une fois que tu es allé en Palestine, tu reviens plus fort.
Tu connais les personnes et les palestiniens deviennent un peu ta famille. Cela permet de personnaliser le combat, qui devient le tien. Je pense que ça a fait de moi un meilleur activiste et que quiconque ira là-bas en reviendra meilleur.
R : La nécessité d'aller voir de ses propres yeux est un sujet récurrent et il est évident que la perception des gens est différente quand ils sont allés en Palestine. Même si la notion de « voir la Palestine » me pose problème. Parce que la Palestine est totalement fragmentée et qu'il y a des Palestiniens partout, aujourd'hui. En Cisjordanie, à Gaza, bien sûr les Palestiniens maltraités en Israël, et les camps de réfugiés, et les exilés qu'il ne faut pas oublier. Un jour, un activiste Sud-Africain m'a dit qu'on n'avait pas besoin de voir l'injustice de ses propres yeux pour la combattre. Parfois, j'ai peur qu'on en arrive à penser que seuls les gens assez riches pour aller en Palestine devraient faire quelque chose. Nombreux sont ceux qui se sont battus pour l'Afrique du Sud sans jamais y être allés et il faut que la même chose soit possible dans le cas de la Palestine. Évidemment, si vous avez les moyens d'y aller, allez-y.
Fr : Ce que je voulais dire c'est que ceux qui ont besoin d'une piqure de rappel, ceux qui sont des activistes passifs, devraient se rendre au Checkpoint 300 entre Bethléem et Jérusalem et voir les milliers de Palestiniens obligés à faire la file pendant des heures, comme du bétail. Ça, ça rend malade. Et ça aide à comprendre. Pour moi, c'était comme de la science fiction, c'était orwellien. Quand je suis revenu chez moi et ai expliqué ce que j'avais vu, ce que j'avais entendu, des palestiniens qui se faisaient tirer dessus pendant une partie de football dans le camp d'Aïda, par exemple, les gens n'arrivaient pas à me croire, ou ne voulaient pas croire que de telles choses étaient possibles. À mon avis, si la population était informée, vraiment informée, si les médias faisaient leur travail, la situation serait complètement différente.
R : Je pense qu'il est difficile pour les gens de croire ce qu'il se passe parce que ça tient effectivement de la science fiction. La brutalité est telle et le système de surveillance tellement sophistiqué. Par exemple, un Palestinien ne peut obtenir un permis de conduire qu'après l'accord des israéliens, tout est subordonné au système de sécurité israélien. La liberté de circulation et la vie tout entière des Palestiniens sont sous le contrôle total d'Israël. Et puis vous avez ce mur d'apartheid que les travailleurs palestiniens doivent traverser en passant par des halls de contrôle, ces halls dont la Banque Mondiale vante les bénéfices pour les travailleurs et annonce qu'ils vont y installer la climatisation. Ça tient de la science fiction la plus perverse et c'est un modèle qui s'exporte un peu partout dans le monde. Il faut continuer à mettre cela en lumière, à en informer les gens : ce système s'exporte dans le reste du monde.
Fl : Je suis désolé mais il va falloir conclure. Rafeef, je pense que ceux qui veulent écouter ou voir certaines de tes performances peuvent trouver les vidéos sur Youtube mais peuvent-ils également commander ton CD quelque part ?
R : Oui, il est possible de le commander en ligne, en mp3 ou CD, sur CDBABY. Il suffit de taper Rafeef Ziadah + CDBABY dans un moteur de recherche pour trouver le site.
Fl : N'oubliez pas de visiter également le site www.waronwant.org
Vous pouvez également visiter le site dédié à cette émission www.lemuradesoreilles.org sur lequel vous trouverez les Podcast et transcrits de toutes nos émissions et de nombreuses conversations exclusives.
Rafeef, tu as choisi un second morceau avec lequel nous allons nous quitter. Peux-tu nous le présenter, s'il te plait ?
R : Il me semble très approprié de terminer avec Marcel Khalifeh qui interprète « Carte d'Identité », un poème de Mahmoud Darwich. C'est la combinaison de ma musique et de mon poète préférés. Et comme j'ai grandi sans papier d'identité, c'est une chanson qui représente bien ma vie et j'espère que vous l'aimerez.
Fl : Merci à Jeanne d'avoir assurer la partie technique de cette émission. Frank, merci beaucoup.
Fr : Merci à tous.
Fl : Et encore un tout grand merci Rafeef. Au revoir.
R : Merci à vous. Au revoir.
Conclusion musicale
http://www.youtube.com/watch?v=NIirqJ1Ow8Q
Transcrit et traduction : R.K-B
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