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Retour de voyage

Carnet de voyage ou bien de naufrage ?

N'est pas touriste qui veut …

Je dois me faire à l'évidence ; je ne suis pas fait pour être touriste au long cours. J'ai bien trop de cailloux dans mon bagage pour me glisser dans la peau béate des arpenteurs du monde, le passeport collecteur et la faculté à se couler dans la masse comme paravent protecteur. Les uns diront que je suis un vieux grincheux, les autres un affreux misanthrope et certains ne manqueront pas de clamer à la prétention et à la morgue. Il ne faut tout de même pas exagérer : je ne suis pas philosophe en chemise blanche …

Il y a d'abord cette incapacité à parler convenablement une langue qui est devenue l'ouvre-boîte de la mondialisation. Ceci relève du handicap indépassable, de la tare impardonnable : sans la maîtrise du globish anglophone, il est préférable de rester à la maison. Il y a encore ce refus de la foule, un mal-être dans la multitude qui n'autorise pas de fréquenter les endroits qui comptent pour faire comme tout le monde !

Puis il y a le programme du touriste : ces obligations qu'il convient de respecter pour pouvoir se prévaloir d'un voyage réussi. Toutes ces étapes incontournables qui sont officialisées par les guides et les agences de voyage, ne pas s'y soumettre c'est prendre le risque du quolibet ou de l'ironie moqueuse et pourtant, c'est au-dessus de mes forces de remplir le carnet de route du touriste patenté.

Je préfère traîner dans les rues étroites, les lieux à l'écart de la gent étrangère ; j'aime observer les gens du pays dans leur réalité quotidienne, humer le parfum de la vie, loin des images glacées. Mais pour ce faire, j'ai la conviction que le regard n'est pas suffisant ; le voyeur n'est pas un témoin crédible, il est nécessaire d'échanger avec ces gens de rencontre, d' écouter leur récit, d' entrer en communion avec eux. La langue est alors un obstacle insurmontable.

Mon ailleurs, ce sont les autres et non les paysages et les monuments, les saveurs ou bien les couleurs. Chacun a sa lecture du monde, la mienne passe par essentiellement par l'écoute des individus. Pour moi, plonger dans un bistrot de campagne et écouter les conversations est un plus grand voyage que parcourir toutes les merveilles du monde. Je n'y peux rien et je dois me résoudre à limiter mon champ d'investigation à la seule francophonie.

Mon aversion de la multitude réduit mon champ d'investigation aux zones délaissées par les inévitables consommateurs de soleil et de mer, de sensations fortes et de rendez-vous incontournables. C'est dans les endroits les plus banals que je dois faire mon miel, trouver les perles qui se dissimulent dans quelques personnages hors du commun. Ce voyage-là, il est au plus profond de l'intime, il n'a pas besoin d'avion et de visa et je suis certain que c'est mieux ainsi.

En voyage, je ne vois que les simagrées de mes homologues : les curieux occidentaux qui transforment la planète en théâtre de leur ego. Ils focalisent mon attention, ils attisent ma colère et mon dégoût d'être de ceux-là. Ils me font honte tant ils se conduisent mal, imposent leurs manières détestables et leurs exigences standardisées à des autochtones réduits à de simples pions pittoresques.

J'en perds ma capacité d'émerveillement car leurs excès ne cessent de me révolter, de me pousser à l'indignation. Je rentre de voyage et je découvre que j'ai passé mon temps à noter les abus de toutes sortes, commis par mes pareils, honteux du spectacle imposé par eux à ceux qui nous faisaient l'honneur de nous recevoir. Pourtant ceux-là méritaient un regard débarrassé des grimaces que nous leur infligeons. Leur volonté de satisfaire nos caprices peut se comprendre mais elle les enlaidit quelque peu par notre seule faute.

Je me rappelle ces touristes sans vergogne se photographiant devant des mémoriaux avec des gestes obscènes alors que ces lieux étaient chargés de sens et de souffrance pour les gens du pays ; je les revois méprisant les plats locaux pour se gaver des mêmes saloperies qu'ils mangent habituellement chez eux ; je les entends parlant fort sans se soucier de savoir s'ils peuvent indisposer ceux qui les entourent ; je les vois claquant l'argent facile pour montrer combien leur niveau de vie est supérieur à celui des miséreux qu'ils côtoient ici.

Si voyager c'est d'abord devoir se colleter tous les travers de nos voisins, de nos semblables, de nos, hélas, si pareils, cela est au-dessus de mes forces. Je renonce à l'aventure lointaine et reprends mes semelles pour aller à la quête de l'exceptionnel à deux pas de chez moi. Il faut accepter l'évidence : je ne serai jamais du nombre des clients fidèles des compagnies aériennes. Ne me jetez pas la pierre ; vous aurez ainsi plus de place pour votre insatiable soif d'exotisme calibré et sécurisé.

Honteusement vôtre.


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11 réactions à cet article    


  • eric 7 septembre 2015 10:29

    Comme on vous comprend ! Vous êtes tellement supérieur à l’essentiel de vos contemporain chez vous ou à l’étranger qu’on se met à votre place. Enfermé chez vous ou ans l’immédiate proximité, vous risquez moins de croisez tous ces gens qui ne vous valent pas...


    • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2015 17:12

      @eric

      Que nenni
      Je ne suis rien qui vaille et j’observe ceux qui ont su s’adapter à la société de consommation. Ce sont eux qui sont dans le vrai, je ne fais qu’exercer mon droit à la bonimenterie ...


    • bakerstreet bakerstreet 7 septembre 2015 11:09

      Pas besoin de faire beaucoup de kilomètres pour être intelligent, ou très bête, c’est sûr. Le voyage potentialise souvent.....Son avantage n’est pas là. Enfin, chacun en aura sa définition.

      il en est qui appelle voyage, le déplacement de leur serviette de bain d’une plage du Touquet à l’autre des Baléares ou de Bornéo. Le monde s’est rétrécit d’ailleurs comme une serviette de bain, autre cliché. Mais il n’y a plus de clichés, au fait, plus d’argentique, de souvenirs qu’on développait après. Plus que du numérique. On n’attend plus. Déplacement de l’instantané. Je m’égare encore une fois....
      Tiens voilà ma définition à moi du voyage. Etre dérangé, justement, une sorte d’aventure. Par exemple de devoir réinventer mes gestes, de perdre mon confort. Je ne vais pas vous dire que c’est la solution, cela appartient sans doute à mon histoire. Déjà le camping, quand j’étais gosse. Un jour je part, presque sans projet, à l’aveugle, je ne veux pas trop en savoir, je referme les livres, je veux garder les secrets, les découvrir, me tromper. 
      Il y a huit jours ainsi, je décide de partir avec ma compagne dans la manche. En tandem. Trente kilos de bagages, les voies vertes, les encouragements des boulangers. Le camping sauvage dans le bocage normand. Le spectacle des canards et des oies dans les mares à sept heures du matin. Le brouillard qui lentement monte au dessus de la vallée de la vire, le plus beau spectacle du monde assurément à ce moment là.... L’oratorio de Bach dans la tête. Et puis le mal de dos, le mal aux fesses. Etre dérangé par la pluie inopportune....La choucroute le soir qu’on mange froide car même plus de camping gaz et on trouve ça excellent. 
      Juste quatre jours, mais pourtant infiniment plus de temps dilaté.....
      Depuis deux jours, c’est le retour de voyage. Ma maison me parait immense, trop confortable. La peau me cuit toujours. Une espèce d’ivresse me parcourt encore. 

      La vie est un matelas à mémoire de forme. 

      • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2015 17:13

        @bakerstreet

        L’aventure est au coin de la rue pour qui sait la saisir

        Je vous remercie pour ce témoignage


      • juluch juluch 7 septembre 2015 11:45

        En effet..... smiley


        Fuir les voyages organisés, respecter les lieux, respecter les valeurs des locaux, manger se qu’ils mangent et surtout se l’a fermer !

        « C’est mieux chez nous » !, « on mange mal ! » « c’est cher » etc !

        On va pour découvrir pas pour se plaindre.

        Merci à vous Nabum.

        • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2015 17:14

          @juluch

          Vous remercier alors qu’un autre commentateur aurait tendance à me méprise

          Vous voyez, ce doit être ça la diversité des points de vue ...

          Merci à vous


        • marmor 7 septembre 2015 18:02

          Ca ne va jamais !
          Je lis tous vos billets. Ce ne sont que plaintes, critiques, diatribes.
          Vous êtes un persécuté


          • C'est Nabum C’est Nabum 7 septembre 2015 18:19

            @marmor

            C’est formidable !
            J’en trouvé en vous un persécuteur, voilà qui me ravit


          • bakerstreet bakerstreet 7 septembre 2015 18:37

            @marmor
            Si vous les lisez tous, c’est que ça doit vous plaire quelque part. 

            Reconnaissons à Nabum une belle constance dans ces billets, se fichant des avis et de la fréquentation, cultivant son sillon. Une sorte de force tout de même, qui dénote la vigueur du mollet et de l’esprit. Un reproche : Qu’il ne s’attarde pas sur les autres articles, y allant de son commentaire. Mais enfin, au vue de la prise de tête imbécile de certains, dont je suis, peut être bien a t’il raison de préférer son voyage à la rumeur imbécile de la foule....
            Ce qu’il y a bien quand on voyage, c’est qu’on s’extrait du quotidien, de ses habitudes, de la rumeur sourde. On est ailleurs, l’étranger....Un confort qui s’il dure peut être périlleux, à moins qu’il ne devienne un domaine qu’on cultive, et qu’on ne veut plus pour rien quitter. 
            La seule fois où je suis vraiment parti longtemps, un an, j’ai eu vraiment du mal à me remettre dans le moule. Le déplacement était devenu une addiction. Mais la jeunesse et ses fièvres, la fuite pour tout dire, en était au moins aussi responsable, que l’envie de voir d’autres horizons. 
            Rousseau se plaignait beaucoup aussi. Mais enfin ses souvenirs de voyage et de jeunesse dans les confessions sont fastueux. On s’y croirait...Tout comme sur le dos de Modestine quand on lit stevenson et son admirable voyage à travers les cévennes. 
            Comme récit de voyage qui m’a vraiment marqué, je retiendrais aussi celui de Nicolas Bouvier : L’usage du monde. ...« Voyage avec Charley » de Steinbeck qu’il faut que je me rachète. Les meilleurs livres, c’est plus fort que moi, il faut que les possède pour les relire encore et encore. Ah j’oubliais « par les monts et par les grèves », de l’ami Gustave Flaubert, qui s’est arrêté dans son coche, pour regarder la rivière le Blavet, à cinq cent mètres de chez moi. Ce qui fait que chaque fois que je me retrouve en cet endroit, j’imagine les silhouettes de l’ami Gustave, flanqué de son copain de marche, Maxime Du Camp.

          • marmor 7 septembre 2015 19:06

            @bakerstreet
            Je suis obligé de lire tous les billets, même les vôtres, en tant qu’ethnologue de mon quartier !
            J’analyse, je dissèque, j’introvertis, j’extravertis, je crée le personnage, je l’imagine, et je le vois !
            Nabum est, pour lui, le centre du monde, comme la gare de Perpignan. Je l’ai suivi partout, à l’école, sur la loire, dans l’aveyron, à la plage, à Montauban, en Hongrie.... C’est con, ces hongrois, ils ne parlent pas français, les aveyronnais non plus dailleurs etc etc..
            Nabum a la plume alerte et le verbe maîtrisé, on aimerait qu’il exprime ses talents dans d’autres domaines que ses rancoeurs et son nombril, il en a les moyens... Mais si sa thérapie passe par là, il ne m’appartient pas d’en juger.


          • C'est Nabum C’est Nabum 8 septembre 2015 07:33

            @marmor

            Merci docteur

            Et le pire c’est que vous avez raison

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