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Retour sur le rapport Attali

Les réactions occasionnées par le rapport Attali ne doivent pas se contenter d’une analyse à la va-vite proposée par les journalistes : le rapport Attali constitue un projet de société dont il serait trop facile de rejeter toutes les idées sans même avoir pris le temps de lire l’ensemble. En effet, en prenant le temps de lire et de comprendre l’articulation des propositions entre elles, il n’y a pas que des idées hors de propos. Faut-il encore avoir le courage de ne pas céder aux intérêts particuliers et de ne pas réagir avec des décisions à géométrie très variable.

Les concessions électorales dans la continuité de l’inefficacité à la française sont caractéristiques de l’usage des nombreux rapports soumissionnés par le chef de l’Etat : lorsque certains intérêts proches ronchonnent, on cède sans discuter. Lorsqu’il s’agit d’intérêts appartenant au camp électoral opposé, on fait bloc. Ainsi les médecins, les taxis, les notaires voient leurs problèmes réglés dans la journée alors que les cheminots, les chercheurs, les enseignants, les fonctionnaires doivent eux se contenter de bras de fer et de négociations à couteaux tirés. C’est tout aussi valable dans le sens opposé.

Le contenu du rapport, véritable transcription d’une vision sans a priori (?) de la société française est pourtant clair, aussi clair que les rapports annuels de la Cour des comptes : si l’on veut changer la donne, il va falloir agir en cohérence et dans le sens de l’intérêt général. Il va aussi falloir innover, prendre des risques : on peut d’ores et déjà se demander s’il est possible d’aller en ce sens quand une commission est composée de membres dont la moyenne d’âge avoisine les 60 ans.

Exit donc les focalisations sur l’électorat adverse et les décisions à champ restreint : s’il faut casser du cheminot et du prof, il faut aussi casser de l’abus du capitalisme financier ainsi que les marges des pharmaceutiques et autres professions « numerus clausus ».

Quand on lit les rapports Attali (et ceux de la Cour des comptes), on est immédiatement frappé par la qualité rédactionnelle qui n’épargne personne. D’un coup d’un seul, voilà que les sociétés d’autoroutes (Vinci, Eiffage, etc.) sont révélées comme accroissant leurs marges à outrance (CdC), que les labos pharmaceutiques, les médecins, les pharmaciens deviennent eux aussi responsable d’une part du gouffre de la Sécurité sociale, que l’extrême concentration du système économique français (libéral-providence) explique sans doute la faiblesse des PME et surtout des « ME », que l’organisation des collectivités engendre des déperditions à n’en plus pouvoir...

On ne parle plus uniquement des fraudeurs au RMI, des étrangers irréguliers, des régimes spéciaux et autres patients gouffres à médicament : le « quidam » n’est donc pas responsable de tous les maux. Il y a aussi des gabegies à un autre niveau.

Quand on lit le rapport Attali, on est forcément pour et contre certaines propositions. Ce qui est le plus étonnant c’est de voir à quelle vitesse les propositions les plus intelligentes et finalement celles qui relèveraient des « moins intéressantes pour la droite » sont évacuées à grande vitesse.

- La suppression des départements - pourtant vitale pour alléger la pression fiscale et optimiser le rendement des fonctionnaires territoriaux - s’est heurtée dès les premières secondes aux intérêts particuliers des élus féodaux.

- La libéralisation des professions type taxi, pharmacie, notaire - dont on sait que le point dur est la prise en compte des licences/achat d’étude - s’est heurtée dès les premiers jours à des intérêts parfaitement bien organisés ne souhaitant pas une seule seconde avoir à revoir leur position quasi monopolistique et hors de la concurrence.

Lorsque le document Attali formule des propositions fortes sur la refonte de l’organisation et du financement du syndicalisme, la collecte de la taxe d’apprentissage, la professionnalisation des diplômes, la refonte de la structuration des échelons territoriaux (partie III.3 formidable), la remise à plat des statuts et missions des associations, conditionner les allocations familiales aux revenus des ménages, libéraliser les prix des médicaments et contraindre à un affichage clair et lisible, inciter à la fusion des organismes HLM, revoir le 1% logement, regrouper les CCI (etc.), il y a là une richesse de propositions à mettre tout de suite sur le métier.

Lorsque la Cour des comptes met le doigt sur l’inefficacité profonde des dispositifs d’aide au retour à l’emploi, sur la faiblesse des investissements sur les infrastructures ferroviaires, sur la mauvaise gestion du patrimoine de l’Etat, sur les excès de facturation sur les autoroutes ou les collectes d’ordure ménagères, sur les coûts de fonctionnement de l’Elysée ou de certains ministères (etc.), on ne peut pas être éternellement sourds à des retours de bon sens.

Et pourtant.

La faiblesse du pays ne se trouve pas dans le contenu des rapports, mais dans la qualité d’analyse et la capacité intellectuelle de nos dirigeants à s’extraire de leurs intérêts immédiats pour choisir en âme et conscience des dispositions déterminantes pour la croissance.

Ce n’est pas la faute aux étrangers, à l’Europe, à l’euro, à la mondialisation et à quiconque d’autre que nous-même si nous sombrons dans une croissance molle et l’effritement du pouvoir d’achat. Le pays dispose de puissants moteurs de croissance (tourisme, agriculture, santé, immobilier, luxe) que l’on s’attèle à mettre au placard médiatique pour mieux focaliser sur les faiblesses de secteurs que l’on a torpillés à coups de Forgeard, Messier, Bon, Tchuruk et autres prestigieux énarques/polytechniciens.

L’avenir ce n’est pas l’industrie, certes, mais on ne peut pas reprocher aux Français de ne pas produire suffisamment lorsqu’au sommet de la pyramide les garde-fous sont occultés et que certains partent avec les caisses des sociétés.

Il n’est pas possible éternellement dans le privé comme dans le public de fermer les yeux sur nos défaillances structurelles qui relèvent de notre seule et unique responsabilité.

On ne peut pas éternellement se dédouaner de ne rien faire sur les deux leviers principaux à disposition des pouvoirs publics que sont l’impôt et l’organisation de la sphère publique alors que ce sont là les principales défaillances du pays : nos boulets sont avant tout structurels, et ce, dès l’école.

Le rapport Attali est donc parsemé d’actions fortes, malheureusement fort peu développées dans la méthode pour agir, mais aussi de propositions contre-productives.

On pourra noter le concept de « détection » dès le plus jeune âge des jeunes en difficulté (comme si dès 2 ans tout était écrit), la construction d’Eco-Polis (comme si les ZUP n’avaient pas suffit), les dispositions relatives au travail le dimanche (on se demande bien « qui » travaillera le dimanche...), la suppression du redoublement (déjà qu’avec cela ne marche pas), le soutien aux mécanismes d’heures supplémentaires (dont on sait que bon nombre ne sont jamais payées), fusionner les parts salariales et patronales des cotisations sociales (ce qui revient à changer les salaires bruts et donc à exposer à plus de fiscalisation), réduire les cotisations patronales en compensant sur 0,6 % de CSG et 1,2 % de TVA (la TVA, toujours la TVA...)...

Il est donc toujours possible de ne retenir du rapport que certains paragraphes dans une sélectivité à caractère politique et donc orientée. Nul doute là encore que le contenu soit sacrifié à la forme et à la pression électoraliste de bas étage.

La question liée à ce rapport, et même s’il a de fâcheuses absences (notamment sur l’environnement, la régulation des excès de la finance, l’international, la justice), c’est de définir le sens profond de la politique qui sera menée : en cette période de désorientation et de perte de repères, il est toujours possible de persister à ne conserver que ce qui arrange les « puissants » tout en faisant payer les excès des uns sur la faiblesse des autres.

Mais si l’on regarde bien, n’en déplaise aux caciques du PS, il n’est pas possible de rejeter en bloc un rapport dont la richesse est bel et bien présente.

Ne faisons pas porter le poids de tous les maux à des rapports, mais plutôt à ceux qui en manient ou non les contenus : le rapport n’est qu’un outil, ce qui compte c’est ce que l’on en fait... ou pas.

Bilan :

Il serait facile de charger le rapport Attali de tous les maux (technique du bouc émissaire), d’autant plus qu’Attali constitue une cible de choix pour être chargé. Même si l’on ne peut pas tout cautionner, le rejet en bloc n’est pas une bonne réponse.

Ce qui compte c’est la capacité ou non à réaliser des choix raisonnés, quitte à affronter une partie de son électorat ou de ses pairs élus : qui aura le courage de le faire ?

N’est-ce pas là la vraie rupture que les Français attendent ?

Force est de constater, derrière les strass d’un mariage fantoche et sans avenir, que M. Sarkozy s’avère poursuivre dans la médiocrité agitée et la démesure provocante affichée, ce que l’ensemble de la caste politique s’empresse de ne pas faire depuis trente ans : changer le fond des choses pour tirer le pays vers le haut.

Il serait bien trop facile d’en remettre la responsabilité à ceux qui rédigent des propositions...


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8 réactions à cet article    


  • donino30 donino30 11 février 2008 13:15

    J’ai eu beau relire l’article, je ne vois pas très bien où veut en venir l’auteur, outre qu’il est globalement d’accord sur le diagnostic. Tout ce qui est dit est à peu près exact, sauf une chose et de taille : "Le rapport Attali est donc parsemé d’actions fortes". A quoi mesure t-on une "action forte", à de belles paroles ou à des chiffres ? L’ensemble de ces mesures "fortes" aboutiraient à une réduction de la dépense publique de un point par point par an, à condition que tout fonctionne pour le mieux au niveau de la croissance (autrement dit, au mieux une stabilisation de la dépense) !! C’est ce que l’on appelle des mesures fortes ? Le Portugal a fait beaucoup plus d’effort et beaucoup plus vite depuis deux ans, et en plus avec un gouvernement de gauche. Ou encore le canada il y a quelques années auparavant. La différence majeure étant que ces pays n’avaient pas à se heurter à des lobbies du même accabit que ceux que nous avons en France. Et tant que personne n’aura le courage politique nécessaire, tout rapport Attali et consors sera d’une inutilité affligeante.


    • non666 non666 11 février 2008 13:30

      1) Le rapport Attali ne contient AUCUNE Information ou idée nouvelle.

      Toutes les propositions ont deja été ecrite, sous ine forme ou une autre par des nombreux rapports, livres blancs, ecrits de journalistes economiques, chercheurs et autres hommes politiques (Rocard, Barre...)

      2) Demander quelquechose a Attali c’est chercher une marionette pour expliquer que les promesses de campagne doivent s’effacer devant les avis d’experts auto-proclamés par le président.

      Sarkozy de nagy Bosca avait déja utilisé la meme methode quand il etait ministre de l’Interieur.

      Ap^res avoir promis d’etre ferme avec les clandestins, il avait nommé Klarsfeld pour dire Oui aux clandestins à sa place...

      Sarkozy utilise toujours le meme lobby comme pretexte pour justifier le report de ses promesses electorales.


      • ronchonaire 11 février 2008 14:20

        Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec non666.

        Ce rapport n’apporte finalement pas grand chose de neuf sur le fond. Par ailleurs, comme je l’ai déjà écrit en commentaire d’un autre article sur le sujet, il y a une forme de schyzophrénie à vouloir "libérer" l’économie en prônant un fort interventionnisme et des grands projets publics.

        De plus, quand bien même ce rapport constituerait la solution à tous nos problèmes, le fait qu’il sorte quelques mois après les présidentielles (lors desquelles les candidats sont quand même censés avoir un programme économique et social) et qu’il ait été présenté comme étant "à prendre ou à laisser" le rend au mieux inutile, au pire illégitime. Et je ne parle même pas de sa publication : ces gens ont été payés sur nos impôts pour préparer ce rapport et il faudrait en plus leur payer des droits d’auteur ? La notion de bien public, ça leur dit quelque chose ?


      • Roland Verhille Roland Verhille 11 février 2008 16:43

        Un projet de société, le rapport Attali ? Oui, c’est peut-être l’illusion découlant d’une lecture à la va-vite. La réalité est tout autre. Pour cette Commission peut-être subjuguée par son Président, il s’agit de conserver la place du pouvoir d’état faisant des Français ses sujets. Le rapport Attali leur dit de cesser leur grève sur le tas entreprise faute par l’état de siphonner outrageusement le produit de leur travail. Il impute aux Français la faute de casser la croissance économique. Il attend d’eux qu’ils travaillent plus pour maintenir ses ressources financières, et attend du ciel une croissance accélérée.


        • Jason Jason 11 février 2008 20:31

          Vous avez du mérite de vous atteler au tri de ces quelques 316 propositions, lesquelles s’adressent à des domaines très variés.

           

          Mon objection générale au travail de M. Attali est 1. sa médiatisation. Si il est reconnu que les mesures les plus efficaces sont celles qui sont conduites le plus discrètement possible afin d’éviter l’action de ceux dont les intérêts visent à saboter leur application, alors, le rapport se saborde lu-même. De plus, on a l’impression d’une sorte de brocante politique.

           

          2. Il faut gagner du temps afin de pérenniser le système politico-économique tel qu’il existe. Jamais il n’est question dans ce rapport de redistribution des profits, peut être d’intéressement, mais ce dernier existe déjà, et de façon très limitée. Trop de données affectant la croissance sont liées à des facteurs extérieurs (pétrole, Dollar, mondialisation, volatilité du capital, marchés incertains). Excuses toutes trouvées.

           

          3. C’est une proposition "top down", càd qui vient d’un pouvoir, mais qui se couche dès que la rue se manisfeste (médecins, taxis, etc). Donc qui se focalise sur le lieu du pouvoir ("moi, je dis, j’ai promis"), et non pas tant sur son exercice et son efficacité in fine. Ce dernier devrait être tourné cependant, en théorie, vers l’intérêt général. Ce ne semble pas être le cas tant les propos sont divers et les résultats incertains. "On verra plus tard", voir point 2. ci-dessus.

           

          4. Tous ceux qui verront leurs intérêts corporatistes affectés par ces mesures feront deux choses : ils liecencieront, ils voteront autrement. Le système des urnes empêchera les réformes (apparentes) majeures.

           

          5. Il n’y a pas de capitalisme raisonnable, même si c’est ce que prêche le PS depuis 30 ans, et ce que voudraient faire oublier certains membres de l’UMP. Ca se saurait.

           

          Rendez-vous dans 3 à 5 ans. Je suis prêt à parier qu’il ne restera plus que 316 pétards mouillés. Il n’y aura même pas eu le plus petit feu d’artifice.


          • Thierry LEITZ 11 février 2008 22:17

            NS a été authentique quand il a dit qu’il pensait à être Président "le matin en se rasant".

            Il est l’homme d’une ambition personnelle, d’une revanche continue, mais pas d’un dessein élevé qui serait de nature à élever les français au-dela de la défense de leurs intérêts immédiats, lui-même étant littéralement obsédé par les siens...

            "Est-ce que çà fait bien ?" semble être la reflexion qui inspire chacune de ses décisions ou déclarations.

            Cà fait bien de nommer Jacques Attali à une commission de libération de la croissance...

            Cà fait bien de dire "tout ce que vous proposerez, je le ferai "(moi, j’ai les c. de le faire...)

            Mais à l’arrivée on a quoi ?

            Attali qui nous sort un sentencieux "c’est à prendre en bloc ou à laisser", difficile à assumer en SAV

            Des corporations (de "droite", ex electeurs de NS) pas du tout d’accord avec le libéralisme sauce Attali

            Des "seigneurs" départementaux outrés à la seule idée qu’on dilue leurs prérogatives dans la "region"

            Bref, que des emmerdes.

            Dommage, il y avait matière à avancer. Malgré des impasses majeures explicables du fait de l’âge et du niveau pécunier des participants. Les impasses, en voici quelques-unes :

            Rien sur le partage de la valeur ajoutée, orientée vers une hausse des salaires modestes

            Rien sur la répartition des profits nets, favorisant l’investissement et les salariés

            Rien sur la nécéssité d’un hausse dégressive des revenus salariaux les plus modestes

            Rien sur les dépenses militaires qui grèvent lourdement le budget (2éme poste avec les intérêt de la Dette)

            Rien sur un redéploiement de l’IR progressif vers TOUS les français (sauf ceux réduits à la survie)

            Mais bon, on lui a pas demandé de faire la révolution à Jacques, tout de même. Soyons sérieux !

            Donc, rien ne changera, vive la rupture-intox. Qu’est-ce que çà va être en 2012 !


            • Céline Ertalif Céline Ertalif 11 février 2008 23:05

              Bonjour,

              Sur mon petit territoire communal, on attend avec appétit la chute des lois Royer-Galland- Raffarin. Beau gros cadeau pour la commune la mieux placée pour bénéficier du développement commercial... Cela dit, dès qu’il s’agit de savoir précisément comment cela va se concrétiser, on s’aperçoit que le rapport est sommaire. Les SCOT et les PLU vont encadrer à la place des CDEC. Très bien sur le principe, et c’est logique en plus. Mais jusqu’à présent, le code de l’urbanisme ne connaît pas les codes APE et le dirigisme économique local pose des problèmes inédits. 

              La rapport Attali évoque très sommairement la question de l’administration territoriale : et en plus, c’est non d’avance !

              Personne ne dit rien du rapport Lambert. Pas médiatique. Pourtant, il y a sans doute plus à en tirer.


              • jipéa 12 février 2008 06:54

                Ne pas rejeter un rapport destiné à un autiste agité et français de fraiche date (marié à une étrangère cousue d’or) est une forfaiture.

                Refaire le vote des pleins pouvoirs au maréchal est malsain.

                Refusons le pétainisme des élites ( étalonnées seulement aux niveaux des stock-options) !

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