Ainsi la Suisse vient-elle enfin, ce 12 juillet 2010, de mettre un terme définitif, par son refus d’extrader Roman Polanski vers les Etats-Unis, à cet incroyable imbroglio qui mettait aux prises l’effroyable machine judiciaire de ce pays à l’un des plus grands génies cinématographiques de notre temps : un homme, de surcroît, âgé de 76 ans qui, après avoir croupi pendant plusieurs mois dans une geôle de Zurich suite à sa rocambolesque arrestation du 26 septembre 2009, était assigné à résidence depuis le 10 janvier 2010, contre une caution s’élevant à la somme astronomique de 3 millions d’euros, dans son chalet de Gstaad, mis sous séquestre. Le tout assorti, pour corser l’affaire, de la pose, sur sa personne, d’un bracelet de surveillance électronique : suprême humiliation !
On se souvient, du reste, du délit dont était accusé le cinéaste : une affaire de mœurs - une relation sexuelle avec une mineure d’âge - remontant, sans qu’il n’y ait aucune prescription quant à ces faits, à plus de trente ans. Si ce n’était pas, cela, de l’acharnement judiciaire, voire de la persécution !
D’autant que c’est Samantha Geimer en personne, cette même femme qui, le 11 mars 1977, à l’âge de 13 ans, fut la victime de ce « détournement de mineure », qui, soucieuse de tourner la page sur cette douloureuse expérience de sa vie la plus intime, demandait aujourd’hui, formellement, l’abandon des poursuites à l’encontre du mémorable auteur du Pianiste et autre Ghost Writer. Elle avait d’ailleurs, depuis longtemps déjà, retiré sa plainte, suite à un accord pris, contre une indemnité pécuniaire équivalente à 450.000 euros, avec un juge du tribunal de Los Angeles. Mieux : consciente que, le temps accomplissant son œuvre, un homme change en trente ans, elle l’aurait, selon ses propres mots, « pardonné » !
Une bonne et heureuse, quoique tardive, nouvelle, donc, que cette liberté qui vient d’être enfin octroyée à Roman Polanski, ainsi que vient de le déclarer très officiellement, lors d’une conférence de presse, Evelyne Widmer-Schlumpf, Ministre suisse de la Justice.
Les raisons de cette libération aussi inespérée qu’attendue ? Elles viennent d’être clarifiées par cette même Ministre. Ses services avaient demandé le 3 mars 2010 aux autorités américaines de lui faire parvenir, à titre de complément d’enquête, le procès-verbal d’une audition que le procureur Roger Gunson avait menée le 26 janvier 2010. Ce document était censé confirmer que le juge avait assuré aux représentants des parties, lors d’une séance tenue le 19 septembre 1977, que les 42 jours que Roman Polanski avait passés dans la division psychiatrique d’une prison californienne couvraient la totalité de la peine d’emprisonnement qu’il devait purger. Si ce faits étaient avérés, la demande d’extradition était donc dénue de fondement. Or, le 13 juin 2010, le Département américain de la Justice a refusé de donné suite à cette demande de l’Office fédéral de la Justice, arguant, pour cela, d’une ordonnance du tribunal concluant à la confidentialité de ce procès-verbal.
C’est sur ce flagrant vice de forme, sinon de procédure, que la justice suisse s’est donc fondée, aujourd’hui, pour restituer à Roman Polanski cette liberté que tous les véritables défenseurs des droits de l’homme réclamaient depuis maintenant dix mois. De fait, à déclaré très opportunément Evelyne Widmer Schlumpf : « Dans ces conditions, on ne saurait exclure avec toute la certitude voulue que Roman Polanski ait déjà exécuté la peine prononcée autrefois à son encontre et que la demande d’extradition souffre d’un vice grave. ». Et de conclure : « Vu ces incertitudes, la demande d’extradition doit être rejetée » !
Cette version qui vient de nous être fournie par la justice suisse ne fait que corroborer, par ailleurs, celle-là même que Roman Polanski nous avait déjà donnée récemment à lire, sous le très emblématique titre de Je ne peux plus me taire, dans la revue La Règle du Jeu, dirigée par Bernard-Henri Lévy. Car,à y regarder de près, cette auto-défense du cinéaste, rédigée depuis son chalet de Gstaad, semblait effectivement imparable, aussi bien sur le plan moral que juridique, tant elle s’appuyait sur une argumentation des plus solides : « Je ne peux plus me taire car mon affaire vient de connaître un énorme rebondissement : le 26 février dernier, Roger Gunson, le procureur chargé de l’affaire en 1977 (…) a déclaré sous serment (…), en présence de David Walgren, le procureur actuel (…), que, le 19 septembre 1977, le juge Rittenband avait déclaré à toutes les parties que ma peine de prison au pénitencier de Chino correspondait à la totalité de la peine que j’aurais à exécuter », y expliquait-il en effet. Et, dans la foulée, de développer, particulièrement convaincant là, ce dernier élément, capital pour comprendre la dynamique de ce procès et, par la même occasion, à quel point cet acharnement de la justice californienne s’avérait, comme le dénonçait Bernard-Henri Lévy, « une chasse à l’homme démente » : « Je ne peux plus me taire car la demande d’extradition aux Autorités Suisses est basée sur un mensonge : dans cette même déposition, le procureur Roger Gunson a jouté qu’il était mensonger de prétendre, comme le fait l’actuel procureur dans sa demande d’extradition, que le temps passé à Chino a été un temps consacré à des examens psychologiques. Dans cette demande, il est dit que je me suis enfui pour ne pas subir la justice américaine ; or dans la procédure « plaider coupable » j’avais reconnu les faits et j’étais retourné aux Etats-Unis pour exécuter ma peine (ndla : 42 jours passés donc, en 1978 déjà, en prison, derrière les barreaux). Il ne restait plus que de faire entériner cet accord par le Tribunal avant que le juge décide de renier l’accord pris pour se faire une notoriété médiatique à mes dépens. ». Edifiant, effectivement !
D’où, pour nous qui nous sommes tant battus afin que ce sacro-saint principe universel qu’est la Justice soit enfin respecté, par delà même l’insigne et individuel cas Polanski, ce seul mot, désormais, au vu de ce refus d’extradition et, parallèlement, de cette remise en liberté : victoire !