S’inventer le droit de tuer
Si l’on cherche un jour en histoire, dans les années à venir, ce qui aura amené Israël à sa perte, ce sera bien la religion, et même pas son gouvernement ou ses ministres, même si certains sont des clones évidents de Mussolini. Non, le grand mystère qui subsistera, c’est comment donc un pays qui se voulait laïc et plutôt socialiste a versé en aussi peu de temps vers le radicalisme religieux et la droite sectaire (voire l’extrême-droite) qui l’accompagne. En soixante ans à peine, c’est simple, Israël aura ruiné tous les espoirs de paix mis en lui en raison de cette rapide dérive, d’ordre sectaire. La notion de partage du territoire n’existe plus, au contraire même puisque depuis quelques années les israéliens grignotent chaque jour un peu plus le pays qui leur a été accordé par une décision de l’ONU. Or, aujourd’hui que se passe-t-il sur place, dans les faits ? Et bien chaque jour qui passe l’escalade religieuse monte d’un cran, et aujourd’hui on y entend même aujourd’hui des appels aux meurtres religieux, tout simplement. Les pro-israéliens, si prompts ici comme ailleurs à fustiger les élans guerriers du Hamas ou du Hezbollah, qui ne valent guère mieux, entendons-nous bien, savent-ils regarder chez ceux qu’ils supportent ce qui se passe là-bas et avec du recul ? Non, absolument pas, et l’histoire dont je vais vous parler en est la preuve éclatante : de cela, en effet ils ne parlent pas. Des meurtres de palestiniens, pensez-donc ! Aucun intérêt ! Pendant douze ans, un meurtrier dûment repéré a été laissé en liberté, pensez donc !
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Tout cela a commencé il y a quelques mois avec une arrestation, celle de Yaakov Teitel, un beau cas d’espèce que ce personnage, à lui seul représentatif de l’exacerbation provoquée par les colons israéliens et leurs méthodes plus que cavalières sinon sinistres. Vous vous souvenez de mon article sur « l’Antisémitisme de l’intérieur » proposé ici, en deux épisodes. J’y évoquais le cas de Zéev Sternhell, un homme dont les livres clairs et précis m’ont vraiment marqué. Le spécialiste du fascisme et de ses sources idéologiques. Incontournable auteur ! L’homme qui démontrera comment on glisse progressivement vers le fascisme avec des notions telles que… celles prônées aujourd’hui par Eric Besson (et oui, c’est bien pour ça qu’il faut s’en méfier !) : dès 1889, Barrès affirmera "que la nation est un corps. La nation est serrée autour de son église et de son cimetière. On ne devient pas membre de cette nation qui a plus de mille ans en recevant de la préfecture de Police juste une carte d’identité". Ce nationalisme outrancier dont certains ici se réclament, et qui en moins de vingt ans va devenir du national-socialisme. Autrement dit du nazisme. L’analyse de Sternhell est implacable et devrait faire l’objet de cours dans toutes les écoles : "il montre comment une « droite révolutionnaire » développe les bases de l’idéologie fasciste à partir des fondements génétiques du racisme, de l’union organique entre Capital et Travail, de la définition d’un régime antidémocratique, du culte du chef et de la nécessité, pour entretenir l’énergie des masses, de mythes, récits et images destinés à la propagande d’État. Ces composantes, à ne pas confondre avec celles de la droite conservatrice et réactionnaire, militent pour le bouleversement de l’ordre établi". Des choses dont on reçoit bien trop l’écho en ce moment, terrain propice à la résurgence d’un fascisme latent, dont les braises ne sont jamais froides, en France comme ailleurs. Lire du Sternhell en ce moment, ça vous glace…
L’historien capable de résumer le dilemme israélien actuel en une formule choc : « le choix pour Israël : la religion ou la démocratie ». Son analyse était en effet déjà très claire , en 2001, sous Sharon : « La génération qui a souffert du fascisme est en train de disparaître. Elle avait le sentiment que, au nom du droit des juifs à se défendre, tout était permis, que nous pouvions commettre des massacres sans qu’on nous fasse la morale, à nous, les victimes de l’Histoire. Aujourd’hui, les colonies représentent un facteur nuisible majeur. La nécessité de les défendre à tout prix et la conception annexionniste qu’elles incarnent conduisent à une fascisation de la société israélienne. Ce n’est pas irréversible, mais, dès lors que des centaines de milliers d’Israéliens ne voient rien de mal à ce que d’autres vivent sous leur domination et sans le moindre droit, le risque de gangrène est bien réel ». Il faut donc bien lire ou relire de toute urgence du Sternhell, c’est une évidence !
Car pour lui le danger est bien là : Il faut avant tout pour l’éviter, veiller à la séparation de l’Etat et de la religion, nous dit Sternhell. « Contrairement à une idée reçue, la société israélienne se révèle de plus en plus laïque et ouverte. Lorsque j’étais étudiant, Jérusalem était fermée du vendredi à 15 heures au samedi à minuit. On n’y trouvait ni café ni cinéma. La situation a changé. C’est pour cela que les haredim [ultraorthodoxes] se cabrent. Ils sentent que la société leur échappe et ont décidé d’investir la scène politique. De l’issue de cette guerre dépendra la nature de l’Etat d’Israël. La laïcité devra triompher car une société démocratique ne peut être que laïque. Cet Etat sera donc ou juif ou démocratique, mais pas les deux à la fois. C’est le sens de la révolution sioniste. C’est ainsi que pensaient les pères fondateurs ».
Bref, Sternhell a bien compris que certains en Israël ne désirent aujourd’hui qu’un archaïsme suranné qui mènera le pays à sa perte : « Notre société est anormale en ce sens que, plutôt que de se battre pour des enjeux sociaux, elle se bat pour les lieux saints juifs et le mont du Temple. Nous sommes au XXIe siècle et nous nous battons pour des valeurs auxquelles le monde occidental ne croit plus. Même en Bosnie, on a fini par se rendre à l’évidence. »
Et parmi ces archaïsmes et cette religiosité envahissante, notre fameux Yaakov (Jack) Teitel, de la colonie de Shevut Rahel en Samarie, qui a cumulé à lui seul toutes les tares de cette pensée nauséabonde : homophobe, il a été impliqué dans le meurtre survenu dans un centre homosexuel à Tel Aviv. Raciste, il est soupçonné d’avoir tué deux palestiniens, dont le berger, Issa Mahamra, et également d’avoir provoqué des attentats d’extrême droite dans le pays. Et parmi ces attentats, celui de la bombe déposée justement le 25 septembre 2008… devant le domicile de Zéev Sternhell ! Ce n’est pas un hasard, comme je vous le disais déjà : les nazis, comme argument, n’ont pas de mots, mais des couteaux, des pistolets ou des bombes. Ils n’ont jamais été des intellectuels, et ont toujours eu une défiance de ces penseurs qui démontaient leur système idéologique en moins de deux. Les nazis menacent, briment, tabassent : ils appellent ça leur débat.
Un attentat signé par les néo-nazis, avait-on dit alors à propos de celui de Sternhell : l’homme avait écrit contre eux, c’était bien leur seule réponse. Car il en existe, aussi là-bas, cela ne sert à rien de le nier comme d’aucuns veulent à tout prix le faire, et Yaakov (Jack) Teitel en est bien un, lui qui vient d’avouer avoir organisé cet attentat. Seul, affirme-t-il, alors que selon beaucoup d’observateurs, d’autres groupes néo-nazis lui auraient prêté main forte. Des néo-nazis ayant tissé des liens avec le BNP anglais, par exemple (**). Ce qui est fort étonnant mais indéniable : le site anglais le plus sioniste est celui du site néo-nazi du pays ! Un immigré en Israël venu des Etats-Unis il y a neuf ans seulement, que ce Yaakov Teitel, chez qui on a retrouvé un stock d’explosifs et d’armes : un de ces fomenteurs de haine, un de ces colons sans foi ni loi, qui tirent pourtant au nom de leur Dieu tout puissant ou de leurs convictions d’extrême droite sur tout ce qui bouge au bout de leur jardin…volé aux autres.
Un homme dont l’itinéraire américain ou israelien sidère, tout simplement : « Teitel est né en Floride et a passé de longues périodes en Israël au cours des années 90. En 1997, il s’est rendu une nouvelle fois en Israël pour, selon lui, venger les nombreux attentats-suicides qui étaient perpétrés à l’époque. Selon son témoignage, le 8 juin 1997, il a tué un chauffeur de taxi palestinien à Jérusalem-est. Deux mois plus tard, il a tué un autre Palestinien, près de la colonie de Carmel, au sud de Hébron. Selon lui, ces deux meurtres ont été commis avec un même pistolet qu’il était parvenu à introduire en Israël dans ses bagages. Peu de temps après ce deuxième meurtre, Teitel est retourné aux Etats-Unis, par crainte, entre autres, d’être arrêté. Il y a passé trois ans au cours desquels il a été impliqué dans des actes de violence et a eu des ennuis avec la police. C’est pourquoi il est retourné en 2000 en Israël. Soupçonné par le Shabak d’être impliqué dans le meurtre près de Carmel, il avait été interrogé par le Shabak et la police, mais ayant démenti, il est finalement libéré ». Des deux côtés, et surtout un, il semble que l’on soit resté bien passif devant les actions violentes perpétrées : la police israélienne et le Shin Bet auraient-ils fermé les yeux sur les agissements de Yaakov Teitel ? Pendant douze années de suite, l’homme soupçonné de meurtre a ou se promener librement et aller s’installer au beau milieu d’une colonie sectaire ? Cela y ressemble fort en tout cas ! Les colonies sont aussi des sortes de zones de non-droit où les fêlés du genre de notre homme peuvent faire ce qu’ils veulent. Y compris faire impunément du tir au pigeon palestinien… sans en être inquiété, car le père de Teitel a eu de bien étranges phases à propos de relations entre son fils et.. le Shin Bet (*). A-t-on un jour téléguidé la folie de Teitel ?
Gideon Levy l’a bien compris, en tout cas, ces liens entre l’extrême droite et les colons : « Oui, les colonies et en particulier les avant-postes illégaux où Teitel vivait et avait ses armes, de même que la colonie kahaniste de Kfar Tapuah où il a fait ses débuts, ce sont vraiment des endroits pour de dangereux fêlés comme lui. C’est leur refuge, là où ils peuvent cacher des armes sans être embêtés et partir pour des expéditions haineuses et meurtrières sans être vus ». Gideon Levy, l’une des rares voix apaisantes dans ce pays, qui assure qu’il y a bien un lien entre cette frange extrémiste de droite et les nombreux incidents qui jonchent l’existence de ces fameuses colonies : "Ce n’est pas une coïncidence : jamais un terroriste ou un tueur n’est sorti de La Paix Maintenant, de Gush Shalom ou de Yesh Gvoul. Par contre, avec l’aide de dieu, nous avons déjà vu deux terroristes assassins issus de Shvout Rachel. Jamais un gauchiste n’a appelé à la mort de quelqu’un qui n’était pas d’accord avec lui – c’est quelque chose que nous devons toujours nous rappeler quand nous parlons de gauche et de droite ». Comme il a compris la passivité de l’administration a son égard : « L’erreur fatale de Teitel fut de se tourner vers d’autres juifs. S’il s’était contenté d’actes meurtriers contre la population palestinienne, jamais il n’aurait été pris." Bref, tant qu’il se contentait de tuer du Palestinien, et non pas de l’homo, pensez-donc ! Toute la duplicité du gouvernement actuel emmené par des gens comme Lieberman (lui-même colon !) est là. Le droit de tuer, finalement, est accordé… en douce (***) , à des fêlés notoires dont on tolère les agissements criminels, pour tout dire. Aujourd’hui, l’avocat de Teitel plaide la folie… Des fous, armés, qu’on laisse envahir un territoire ? Mais c’est le meilleur moyen d’en arriver à des heurts ! Selon sa famille, il est "innocent" !
On avait déjà entendu exactement le même son de cloche et le même permis de tuer accordé lors de l’offensive de Gaza, avec des rabbins devenus curés de campagnes militaires, ou aumôniers pour tenir le même propos haineux, méprisants et infects. Notamment Yisrael Rosen ou Mordechai Eliyahu et leurs appels au meurtre en pleine offensive de Gaza. Aujourd’hui, c’est donc aux civils de prêcher l’élimination physique de l’adversaire…religieux : le « païen », équivalent parfait, en miroir, de « l’infidèle » du côté opposé. Et le 9 novembre 2009, comme aboutissement de cette incroyable dérive, à la fois mystique et idéologique, un rabbin encore pire que les autres déjà cités ici en rajoute la couche définitive : le rabbin Yitzhak Shapiro, à la tête du Od Yosef Chai Yeshiva, au beau milieu d’un territoire colonisé, à Yitzhar, comme par hasard, énonce sans sourciller dans son ouvrage, "Le Roi de la Torah" , que même les enfants ou les bébés palestiniens peuvent être tués, "s’ils posent une crainte pour le pays". Selon d’après lui des textes de la Bible, il est en effet "permis de détruire le juste parmi des nations même si ils ne sont pas responsables de la situation menaçante". Tout cela étant selon lui contenu dans un pan obscur de la Bible, qui affirmerait que "si nous tuons un païen qui a péché ou a violé l’un des sept commandements – parce que nous nous soucions de les commandements – il n’y a rien de mal à les assassiner." Bien entendu, nulle trace de ce texte dans le texte religieux, c’est bien d’une interprétation toute personnelle dont il s’agît. D’un de ces commentaires impensables, écrits pourtant noir sur blanc. De la pure folie, donnée comme parole religieuse. Teitel n’est donc pas le seul fou sur place, et le seul à faire verser le pays dans une folie religieuse.
Ce rabbin haineux et passablement dérangé vient de légaliser religieusement le meurtre de palestiniens : en résumé, il transforme les colons israéliens en kamikazes potentiels : protégés par l’immunité religieuse, ils ne craignent plus rien : à eux les pires exactions avec l’absolution divine au bout de leurs forfaits. Les "autres" héritent de vierges, paraît-il, eux héritent aussi du pardon divin : dans la balance de l’horreur, ça fera bien au final les mêmes ravages. Dieu, en définitive, d’un bord ou de l’autre, récompense donc les meurtriers. Je m’en doutais un peu, remarquez, à voir tous ces chefs de la Camorra sicilienne hanter autant les églises italiennes. Finalement, au Proche-Orient comme ailleurs le problème, c’est bien Dieu…
Des petits malins vont me faire remarquer que c’est plutôt ce que les hommes pensent de leur Dieu et là on sera bien d’accord, je pense. En tout cas, Israël, s’il veut s’en sortir, n’a qu’une seule solution : revenir à ses bases d’antan, et ne plus faire du pays l’otage d’une religion. Et encore, ce n’est pas sûr que cela suffise. Il pourrait aussi, au passage, revenir également à ses territoires de 1947, ce à quoi je suis entièrement favorable. Son existence à long terme en dépend : l’exagération religieuse on sait où ça mène au final. A provoquer une exaspération en retour, qui conduira, un jour où l’autre, à un conflit d’ampleur. Une guerre… de religions. Parmi les pires, l’histoire l’a assez démontré. C’est ce que prévoit Sternhell, car pour lui c’est plus sombre encore comme avenir : "un Etat colonial finira par provoquer une révolte terrible de la part de la population occupée, et un Etat binational ne mènera nulle part et débouchera sur un bain de sang". Israël, c’est simple, selon lui, n’a donc AUCUN avenir autre que dans le sang. La faute à qui ?
(*) « His father Mark recalled that « he was in Israel, and he had some issue with the Shin Bet, but I’m not well-informed in the details as I was abroad at the time. »
(**) »The BNP website is now one of the most Zionist on the web — it goes further than any of the mainstream parties in its support of Israel and at the same time demonises Islam and the Muslim world. »
(***) « Experience – and statistics – show that Israeli law enforcement is remarkably lax when it comes to tackling violence against Palestinians. Twelve years ago, Teitel confessed to killing two Arabs and then took a break from such activity. Sure, he was detained for questioning after the murder of shepherd Issa Mahamra, but he was released due to insufficient evidence. As with many other cases of murder and violence committed against Palestinians, the story of the shepherd from Yatta and the taxi driver from East Jerusalem disappeared into oblivion – until Teitel returned and attempted to harm Jews, bringing the wrath of public opinion, the Shin Bet security service and the Israel Police down on his head. »
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