Sarkozy, fossoyeur de l’identité nationale
Faut-il que la gauche soit au fond du gouffre idéologique pour qu’elle fuie à ce point le débat sur l’identité nationale ! Même si l’initiative du gouvernement est avant tout une grossière manoeuvre médiatique pour détourner l’attention de la crise, elle constitue une excellente opportunité de clarifier des notions clés et de faire véritablement de la politique.
Depuis des années, le Parti socialiste mène campagne en expliquant que l’Etat ne peut pas grand chose. Impossible, d’après lui, de refuser les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui imposent le productivisme, le libre-échange et la concurrence entre les peuples. Impossible d’aller contre l’Union européenne, qui pratique au quotidien un libéralisme débridé. Impossible de remettre en cause les fondements du capitalisme que sont la logique d’accumulation et la privatisation des moyens de production, de transport et de communication.
Dans le même temps, Nicolas Sarkozy mène campagne en donnant l’impression que l’Etat peut. Brider les libertés individuelles, affréter des charters, développer des politiques répressives... Autant de (très) mauvaises réponses à une inquiétude légitime de la population : une régression sans précédent de l’Etat, de l’idée même de nation et un transfert accru des pouvoirs aux grandes puissances économiques masqué sous le terme avenant de « mondialisation ». Des réponses qui expliquent au moins en partie sa victoire de 2007.
Pourtant, difficile de concevoir une politique économique et une diplomatie plus anti-nationale que celles de l’actuel président et de ses amis. Ils ont privatisé ou privatisent à tour de bras des entreprises innovantes (France-Télécom, Total, GDF...) et les structures bancaires (Crédit Lyonnais, BNP, Société Générale...). Ils cassent avec application les services publics : le système de santé pour faire le bonheur d’assureurs comme AXA ou La Poste pour améliorer les profits d’UPS... Avec l’euro, ils ont renoncé à toute politique monétaire nationale pour la déléguer à la Banque centrale européenne qui n’obéit qu’aux lois du capitalisme néolibéral. Ils ont cassé l’image d’indépendance de la diplomatie française avec le désastreux discours de Dakar ou avec l’insertion de l’armée française dans l’OTAN. Ils découragent les travailleurs vis-à-vis de leurs métiers et de leurs organisations productives, public et privé confondus, par des méthodes de management brutales. Enfin, ils pratiquent la forfaiture en approuvant le Traité de Lisbonne après le non au référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, ce qui signe purement et simplement la fin de la démocratie en France.
Et après tout cela, voici donc le « grand débat sur l’identité nationale » ! Une imposture doublée d’une vision étriquée de la nation limitée aux symboles (hymne, drapeau...) qui, comme le dit très justement Laurent Dauré, ravale le citoyen au rang de supporter de football1. Il ne reste plus qu’à stigmatiser l’immigré qui s’intègre mal et à louer celui qui s’intègre bien grâce au nouveau concept de « diversité » qui vient, dans le discours sarkozyste, effacer la valeur républicaine de l’égalité. Mais aussi monumentale que soit cette escroquerie, la gauche reste aphone. Sans doute confond-elle depuis trop longtemps nation et nationalisme, souveraineté et souverainisme, Etat et étatisme. Remettons-donc certaines choses à l’endroit.
Qu’est-ce que la nation ? Pendant la Révolution de 1789, les sans-culottes avaient pour mot d’ordre « Vive la Nation ! » Pourquoi ? Parce que la Grande Révolution a transformé le royaume de France en nation française. Les sujets deviennent alors un peuple de citoyens. L’apparition de la nation n’est pas celle d’un principe abstrait mais d’une pratique politique qui permet l’élaboration des règles de droit défendant l’intérêt collectif face aux intérêts individuels. Une conception à l’opposé du nationalisme puisqu’elle n’affirme aucune supériorité ethnique, aucune agressivité envers les autres peuples. La souveraineté nationale, au sens révolutionnaire, est un principe universel qui ne sépare pas la formation de la conscience nationale de l’émancipation et de la liberté. Elle a d’ailleurs stimulé les combats pour l’indépendance de nombreux pays européens dès les XVIIIe et XIXe siècles. Il faut donc balayer les pseudo-justifications de type économique qui prétendent la rendre obsolète.
Qu’est-ce que la souveraineté populaire ? C’est cette transformation du sujet en citoyen et l’exercice de droits politiques comme expression de la liberté en société. En tant qu’association volontaire définissant un contrat social, la nation en est le cadre. Ce qui fait qu’un peuple est un peuple, et non simplement une ethnie, une communauté, les habitants d’un territoire ou un regroupement de consommateurs... c’est la politique. C’est bien cela que la stratégie néolibérale de la mondialisation vise à détruire.
Enfin, qu’est-ce que l’Etat ? C’est l’outil que se donne le peuple pour mettre en oeuvre son projet politique. Ce n’est pas nécessairement une machine au service des grandes puissances économiques ou un instrument qui écrase l’individu. Au contraire, replacer l’Etat au centre de l’économie, c’est redonner le pouvoir aux citoyens.
Or, plus de deux siècles après la Révolution française, le marché est devenu la nouvelle religion qui surplomberait désormais les souverainetés nationales et populaires. Comme l’affirmait Margaret Thatcher, il ne permettrait pas d’autre choix. Pour combattre cette régression, la question de la nation doit redevenir prioritaire. Rien à voir avec le nationalisme ou le souverainisme, notion au demeurant mal définie, mais dont on sent qu’elle n’est pas un compliment.
Pour reprendre la distinction faite entre autres par Jaurès, Sarkozy flatte la « nation inconsciente », obscurantiste, fataliste, pessimiste, qui enferme l’individu et les groupes sociaux dans les déterminants issus du passé, ceux de la race, du sang et du sol, celle qui fonde le chauvinisme. La vraie gauche doit défendre la « nation consciente », citoyenne, républicaine, optimiste, qui invite les citoyens à forger des projets d’avenir en commun. Ce qui constitue l’identité nationale française, ce n’est pas le drapeau ou l’hymne, c’est l’héritage des luttes sociales, les valeurs républicaines, et notamment l’universalisme. C’est le programme du Conseil national de la Résistance, la sécurité sociale, les services publics, la laïcité...
La thème de la nation n’a donc rien d’un tabou. Il s’agit au contraire d’un des principaux sujets de débat pour tout mouvement qui souhaite opérer une transformation progressiste de la société. L’identité nationale consciente est nécessaire pour construire un avenir commun, celui de la sortie du capitalisme néolibéral. A quel autre niveau que la nation existe-t-il un exercice de la souveraineté populaire ? Aucun. Certainement pas au niveau de l’Union européenne, qui mène ses politiques contre l’intérêt des peuples et pour les lobbies économiques. Pas non plus au niveau de l’OMC, structure anti-démocratique par excellence. Quant à imaginer un scénario où les nations devraient s’effacer devant un prétendu « gouvernement mondial », ce serait dangereux si ce n’était totalement illusoire, car potentiellement totalitaire. Par contre, un peuple comme le peuple français peut élire un véritable gouvernement de gauche, qui n’aura d’autre choix que de prendre des mesures nationales pour rompre avec l’ordre économique. Face au fanatisme de Bruxelles, par exemple, la désobéissance européenne est le seul moyen de mener une politique progressiste et de répondre aux attentes de la population, exprimées dans les urnes. Il faudra construire un droit national, forcément contraire au droit européen. Il faudra sortir de l’OMC et stopper le libre-échange, tout en adoptant des mesures fortes en matière de solidarité internationale comme l’annulation de la dette des pays pauvres, la reconnaissance de la dette écologique ou l’instauration d’un statut de réfugié écologique. Voilà ce qu’aurait pu répondre la gauche pour éviter le piège médiatique tendu par le gouvernement. Nul doute qu’elle en serait sortie largement gagnante.
Aurélien Bernier
Secrétaire national du M’PEP - www.m-pep.org
1Lire le très bon texte de Laurent Dauré, « Leurre identitaire », Bastille-République-Nations, n° 46.
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