Ségolène Royal avait-elle la moindre chance de gagner ?
À en croire certains, cette élection était « imperdable » pour la gauche. Elle s’inscrivait dans une série de scrutins systématiquement perdus par la majorité sortante. Le nouveau président de la République ne pouvait donc qu’être issu des rangs de la gauche.
Et chacun d’incriminer, selon ses inclinations, le choix d’une candidate inapropriée, les dissensions entre les familles politiques de gauche et au sein même du Parti socialiste où les perdants de la primaire n’ont jamais digéré leur défaite, une doctrine de parti jugée archaïque, les chausse-trapes délibérément semées sur la route de la candidate socialiste, sa prétendue incompétence, ou encore son ouverture vers le centre de M. Bayrou. Une défaite, c’est l’usage, incite à l’examen de conscience afin d’identifier les carences qui l’ont précipitée, ou au règlement de comptes pour écarter un concurrent.
Une inconnue impensable avant l’élection
Pourtant maintenant, avec le recul des faits, la question qui se pose ne doit-elle pas être inversée : la gauche avait-elle même une seule chance de gagner la présidentielle ?
- Une donnée, déterminante mais impossible à imaginer avant l’élection, n’a été connue qu’au terme du second tour : c’est le ralliement massif de l’électorat d’extrême droite au candidat de droite. Ne tenait-on pas pour acquis l’adage sans cesse rabâché par M. Le Pen : "Les électeurs préfèreront toujours l’original à la copie" ?
- Le premier tour a été un premier signal. M. Sarkozy montait à 31 % et M. Le Pen dévalait à 10,44 % des voix. Comparés aux résultats de 2002, il ne faisait aucun doute que ces résultats signaient un premier transfert important des voix d’extrême droite sur M. Sarkozy. M. Le Pen avait approché les 17 % au premier tour de 2002 puis dépassé les 18 % au second. Il est probable que les émeutes de banlieues de novembre 2005 et la piqûre de rappel des émeutes de la gare du Nord en mars 2007 lui ont fait gagner quelques poins supplémentaires : n’eût-il gagné que 2 points, c’est 50 % des électeurs d’extrême droite qui se sont reportés directement au premier tour sur M. Sarkozy.
- On pouvait alors penser que les 10 % que totalisait M. Le Pen représentaient le noyau dur soumis aveuglément à son chef, comme c’est la règle dans un tel parti autoritaire, et que sa consigne d’ "abstention massive" serait strictement suivie. Las ! On estime à plus de 60 % ces électeurs d’extrême droite du premier tour qui sont venus s’ajouter aux électeurs d’extrême droite du premier tour ralliés au candidat de la droite. 20 % seulement se seraient abstenus.
La fin d’une époque ?
À ce compte, quels que soient son courage, son engagement et sa détermination, Mme Royal n’avait aucune chance d’être élue avant même le premier tour.
- Nul ne pouvait imaginer que les trois quarts de l’électorat d’extrême droite allaient rejoindre M. Sarkozy, sauf lui-même peut-être. Un peu plus de deux millions de voix séparent les deux finalistes. Or les voix d’extrême droite qui se sont ralliées à M. Sarkozy représentent plus du double au bas mot.
- Un cycle vient-il de se clore ? Dans un premier temps, l’électorat d’extrême droite qui s’est développé dans les années 80 à la faveur, il faut s’en souvenir, de la désaffection « des masses populaires » envers le Parti communiste, compromis par l’exercice du pouvoir avec les socialistes, a été instrumentalisé un temps par le président Mitterrand pour gêner l’accès de la droite à une majorité. Dans un second temps, cet électorat a réussi, à 200.000 voix près, à écarter le candidat socialiste du second tour de la présidentielle en 2002. Voici que, dans un troisième temps, contre toute attente, cet électorat s’est massivement reporté sur le candidat de la droite, pour assurer son élection.
- Ce report massif a été cependant activement recherché par M. Sarkozy puisqu’il n’a cessé d’envoyer à cet électorat d’extrême droite les signaux qu’il souhaitait entendre en banalisant les thèmes ressassés par son leader depuis vingt ans et dont la promesse d’ "un ministère de l’Immigration et de l’Identité" reste aujourd’hui le symbole.
Une crispation politique
Mme Royal avait-elle la moindre chance de rallier cet électorat ? Pouvait-elle sans se renier reprendre à son compte les schémas simplistes dont M. Le Pen l’avait imprégné ?
- Même avec un Parti socialiste et une gauche unis, elle ne pouvait convaincre les électeurs d’extrême droite que ces méthodes fondées sur le dialogue social amélioreraient les choses.
- Les circonstances historiques depuis le 11 septembre 2001 ont, du reste, favorisé une crispation généralisée. Quelque lecture qu’on fasse des émeutes de banlieues de 2005 et de celle de la gare du Nord, il n’est pas douteux que celles-ci ont jeté dans les bras de l’extrême droite des centaines de milliers d’électeurs qui jusque-là s’en tenaient à distance. Mais de là à penser que les trois quarts de l’électorat de M. Le Pen iraient aussi facilement grossir les rangs des électeurs de droite, c’était un pari que M. Sarkozy a risqué... car il n’avait pas d’autre chance de l’emporter.
Le problème est qu’il est devenu pour partie l’élu de l’extrême droite, avec toutes les conséquences inquiétantes que la situation implique. Il reste, cependant, un paradoxe qu’on aimerait interpréter comme une promesse d’apaisement et de renouveau : sauf erreur, cet électorat d’extrême droite dont on connaît les aversions irrationnelles, ne vient-il pas de voter massivement en faveur d’un petit-fils d’immigré et d’origine juive de surcroît ?
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