Ségolène Royal : chronique d’une défaite annoncée
La défaite à venir du Parti socialiste n’était pas inéluctable. Il y a un an, sa candidate apparaissait même comme un adversaire redoutable. Pour de nombreuses raisons.
D’abord, parce que notre pays connaît depuis 1979 des alternances systématiques, dans le cadre d’un clivage centre droit / centre gauche qui a conduit un grand nombre de Français à ne plus faire de différences entre la gauche et la droite. Et à attribuer d’office un malus au sortant, bouc émissaire facile de tout ce qui n’a pas été résolu.
Ensuite, parce que le Parti socialiste manifestait sa détermination à présenter un front uni face à la droite, lequel s’était concrétisé lors du congrès du Mans par l’adoption d’une motion de synthèse de presque tous ses courants. Et le souvenir cuisant d’avril 2001 laissait augurer d’un vote utile maximal en faveur du candidat investi par le PS.
Mais surtout, parce que Ségolène Royal n’avait pas hésité à bousculer la litanie de cette "défaite injuste du 21 avril", pour pointer les insuffisances d’alors : critique des 35 h qui ont désorganisé les hôpitaux et fragilisé les salariés les plus faibles, fermeté en matière de délinquance des mineurs, remise en question d’une carte scolaire mille fois contournée. En déclarant que Tony Blair avait mis en place des réformes intéressantes, Ségolène Royal brisait le tabou du modèle anglais et ouvrait la voie à la modernisation du parti socialiste vers une social-démocratie assumée.
Enfin, parce que femme politique, parce que jolie, parce que présidente de région, parce qu’ancien ministre, parce que femme s’affichant résolument moderne, madame Royal avait su capter l’attention des médias et jouer du système pour devenir « Ségolène ». Face à deux éléphants historiques du PS, Ségolène s’affirma sans coup férir comme la plus apte à battre un Nicolas Sarkozy, candidat déclaré et déjà redoutable.
Et elle trouva en François Hollande un premier secrétaire tout dévoué à lui assurer, l’un après l’autre, les ralliements de toutes les plus grosses fédérations socialistes du pays.
Mais la blanche et lisse image sur papier glacé que Ségolène Royal avait construite se fissura peu à peu, sans que rien ne parvienne à relancer une campagne qui n’a en fait jamais pris.
D’abord, parce qu’après une longue procédure de désignation interne où les échanges avaient été verrouillés par un appareil socialiste soucieux de ne pas faire apparaître de division, et au cours de laquelle rien n’avait vraiment été éclairci, Ségolène Royal avait continué à refuser de prendre position, renvoyant à ses « débats participatifs » le soin de lui souffler une bonne réponse qui semblait systématiquement lui échapper.
Ensuite, parce que la tension créée par cette absence de programme avait focalisé l’attention sur la moindre de ses déclarations, au cours desquelles la candidate socialiste multipliait gaffes, déclarations fracassantes et tentatives de rattrapages peu convaincantes : sur le nombre de sous-marins français, sur la réforme de l’enseignement qu’elle ne « [voulait] pas crier sur les toits », sur la scolarisation obligatoire à 3 ans, sur les capitalistes qu’elle voulait « effrayer », sur la croissance "forte sitôt qu’elle serait élue"... Sans compter la politique internationale : sur la Corse, sur le Québec libre, sur l’Iran et le nucléaire civil, sur le Hezbollah, sur la justice chinoise... Chaque prise de parole réservant son lot d’approximations ou de dogmatisme, à mille lieues de ce qu’elle avait laissé espérer.
Et elle ne fut pas été aidée par François Hollande et son désormais mémorable : « Je n’aime pas les riches, j’en conviens »... quelques semaines avant la publication de leurs revenus respectifs et de leur assujettissement à l’ISF.
Mais surtout, parce que Ségolène Royal n’avait pas su embrasser la dimension formidable que se doit de prendre le chef de l’Etat français : déterminé, solide, ouvert, visionnaire. Au lieu de ça, face aux attaques qu’elle subissait suite à ses déclarations malheureuses, la candidate socialiste se drapa dans sa féminité, devenue son seul - et imparable - argument : « Ceux qui m’attaquent sont des machos » et « votez pour moi, parce que je suis une femme ».
Les dirigeants socialistes, conscients de l’incapacité de leur candidate à battre Nicolas Sarkozy sur le plan des idées, sur le plan du charisme, sur le plan de la stature présidentielle, se lancèrent alors dans une course de diabolisation sans précédent, tentant de faire passer leur adversaire pour un fasciste-eugéniste-ultralibéral-raciste. Ils publièrent un brûlot d’une centaine de pages aux relents xénophobes, au sein duquel Nicolas Sarkozy était décrit comme un « bushiste à passeport français ». Et leurs relais médiatiques oeuvrèrent à diffuser cette image d’un Nicolas Sarkozy inquiétant, imprévisible, dangereux. Et ce faisant, ils renoncèrent à défendre un projet alors même que les Français avaient manifesté le 29 mai 2005 leur ardent désarroi et leur désir de reprendre pied autour d’un projet politique clair et concret.
Et Ségolène Royal était là encore allée trop loin : Eric Besson, chargé du volet économique de son projet, et auteur officiel du brûlot susmentionné, ne put supporter l’amateurisme et l’hypocrisie de la candidate socialiste. Il tenta de démissionner de toutes ses fonctions d’abord discrètement, puis avec fracas lorsque les attaques fusèrent à son encontre. Ce social-démocrate convaincu annonça son retrait de la vie politique, tout en apportant désormais un soutien officiel à Nicolas Sarkozy.
Enfin, déroutant son électoral traditionnel sans parvenir à le déplacer vers un projet mobilisateur qu’elle n’avait jamais présenté, cherchant autour des thèmes sarkozystes les voix qui lui échappaient toujours plus sur sa propre gauche, dénigrant un jour les grands élus socialistes, les appelant au secours le lendemain, la candidate au blanc manteau ne rassemblait plus que par "vote utile", et très peu par adhésion. Brandissant le drapeau tricolore, elle se voulait l’incarnation autoproclamée de Marianne et étalait sur affiches en noir et blanc son rêve de petite fille : « Moi présidente ! »
Le 22 avril 2002, dans un contexte de mobilisation électorale inédit sous la Ve République, le peuple français au premier tour des présidentielles porta Nicolas Sarkozy largement en tête de tous les candidats, la gauche ne totalisant que 36 % des voix. Son score le plus bas depuis 1969.
Sur sa gauche, Royal ne dispose que d’un réservoir comparable à celui que Sarkozy conserve, lui, sur sa droite. Et au centre, l’extrême division règne en maître, tandis que François Bayrou tente de tirer le meilleur bénéfice d’une base nouvelle peu encline à suivre une consigne de vote et qu’il refusera de s’aliéner en prenant parti pour l’un ou l’autre des protagonistes du deuxième tour.
Le 6 mai prochain, Nicolas Sarkozy remportera nettement les élections présidentielles.
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