Sur la piste d’un tyran en gestation : Charles de Gaulle…
Dans la lettre adressée à Louis Lévy par Pierre Cot depuis les États-Unis, le 28 juillet 1941, qu’y avait-il, encore, qui pourrait nous éclairer sur le fond de la démarche de Jean Moulin s’apprêtant à venir voir, de ses propres yeux, le lanceur d’appel du 18 juin 1940 ?
Sans que nous puissions d’abord nous en douter – ni lui-même, bien sûr -, Pierre Cot, tout en analysant le comportement du De Gaulle de ce temps-là, anticipe largement sur ce qui devait se répéter jusqu’au temps de la Libération, et, plus tard, en 1958…
« Il est vrai qu’il s’est engagé à soumettre son action à la ratification du peuple français après la guerre. Fort de ses engagements, ses amis répètent : « Vous voyez bien qu’il n’y a rien à craindre. » Mais nous connaissons, toi et moi, ces engagements et ces ratifications. Dans l’Histoire de France, tous nos coups d’État se sont faits avec cette procédure ; dans l’Histoire contemporaine, Hitler et Mussolini ont fait couvrir leurs dictatures par l’approbation populaire. Enfin, le gouvernement de Vichy a pris les mêmes engagements. » (Éric Roussel, etc., page 239.)
Nous pouvons certes lire cela en manifestant une certaine incrédulité… Comment donc, le si célèbre De Gaulle !… Ce modèle de vertus en tous genres !…
N’empêche… À la date d’aujourd’hui (5 octobre 2024), nous sommes effectivement sous la coupe de cette Constitution de la Cinquième République qui s’inspire, pour l’article 16 et pour l’élection du président de la République, de la Constitution de la République de Weimar qui a permis à Hitler d’arriver au pouvoir dictatorial par la voie institutionnelle, tout simplement…
Voyons la suite de la mise en garde lancée par Pierre Cot dès le mois de juillet 1941, puisqu’elle nous éclaire sur ce que Jean Moulin avait en tête, et sur le pourquoi de son intervention au plus haut niveau de la Résistance du peuple français, sur son propre sol, et non pas dans la perspective impérialiste qui était celle de De Gaulle, ainsi que le général Catroux n’avait pas tardé à le comprendre pour le rôle qu’on lui faisait jouer en Syrie et au Liban :
« Ce qui me préoccupe davantage, c’est l’ignorance absolue de l’état d’esprit populaire français et européen que révèle une telle attitude. Après la guerre, nous aurons une explosion violente d’antifascisme. Il est impossible même de prévoir jusqu’où ira cette explosion. Mais il serait puéril d’imaginer une Europe dans laquelle on laisserait la France avec une dictature militaire. » (Idem, page 239.)
Et pourtant… l’affaire de Libye (2011) nous crie tout le contraire… Encore que, pour le comprendre, il faudrait avoir lu le livre d’un certain lieutenant-colonel De Gaulle : Vers l’armée de métier (1934), tellement prisé par… Adolf Hitler lui-même, dès sa sortie…
Quant à la suite de la lettre de Pierre Cot, elle nous permet de découvrir ce qu’allait être la ligne politique suivie par Jean Moulin lorsqu’il arriverait, quatre mois plus tard, à Londres :
« Après cette introduction, comment se pose le problème ? Premièrement, on peut concevoir l’action du général de Gaulle comme une action purement nationale, militaire et technique. Sur ce plan, nous devons tous l’appuyer. Il a rendu à la France libre et démocratique un immense service. Il doit, à cause de ce service, entrer dans la légende (qui me paraît une meilleure place, pour lui, que l’histoire). Il doit devenir une grande figure nationale, une sorte de symbole héroïque. Avec cela, on peut le consacrer ministre de la Défense nationale (du pays ayant réalisé le désarmement) ou président de la République (avec de bonnes garanties constitutionnelles). C’est la voie que normalement il devrait suivre. » (Idem, page 239.)
Malheureusement, la légende s’est inscrite dans l’Histoire pour y engendrer deux millions de morts, à ne tenir compte que de l’Indochine et de l’Algérie… Mais, là encore, il faudrait avoir pris la peine de se documenter au lieu de se laisser manger, au long des décennies, par la… légende, justement !…
Ici, nous pouvons, cependant, nous arrêter sur ce tout petit bout de phrase de Pierre Cot… Un De Gaulle « ministre de la Défense nationale (du pays ayant réalisé le désarmement ». De fait, ce ne serait pas du tout cela… bien au contraire, puisque, dès l’arrestation et la disparition de Jean Moulin (juin-juillet 1943), le général de Gaulle est parti dans la voie inverse, et n’a cessé de remplir ses discours et ses proclamations, du redémarrage de la production d’armements, de la dynamisation guerrière de l’ensemble de l’Empire, de l’avenir de grandeur qui attendait la France, toutes choses qui allaient ouvrir sur les neuf années de guerre qu’a connues notre pays en Indochine…, le relais étant immédiatement pris (du fait, en particulier, de la répression sanglante des manifestations à Sétif et ailleurs, le 8 mai 1945) par l’Algérie en 1954, le tout devant culminer avec le coup d’État militaire redoublé de 1958 et de 1962.
De Gaulle n’a donc pas suivi la première voie indiquée par Pierre Cot… Voyons les conséquences qu’il eût fallu en tirer selon l’ami de Jean Moulin :
« S’il ne suit pas cette voie, pour éviter ce danger, il faudrait faire comprendre à nos amis anglais et à nos amis américains, qu’il y a intérêt : ou bien de faire un véritable gouvernement démocratique, faisant appel à tous les hommes représentant les tendances de la pensée antifasciste – ou bien, qu’il faut demander aux militaires de donner leur avis sur les problèmes militaires ; aux spécialistes du droit constitutionnel (je crois être le seul en exil à avoir rempli ces fonctions, mais ce n’est pas ma faute !) de donner leur avis sur les problèmes de leur spécialité ; aux techniciens de la finance, de s’occuper de finance, etc. » (Idem, page 239.)
Il y a déjà là l’idée qui présidera à la création, par Jean Moulin, du Conseil de la Résistance (représentation des tendances de la pensée antifasciste), et de la mise en place, par lui, du Comité Général d’Études (études des questions institutionnelles par des spécialistes reconnus).
Pour finir sur ce point, ajoutons que la correspondance échangée par Pierre Cot avec Jean Moulin pendant la guerre étant restée secrète jusqu’à présent, il n’est pas interdit de penser que des propos semblables à ceux-ci ont été échangés par les deux amis. De toute façon, la synergie établie entre eux est incontestable, quelle qu’en soit l’origine.
Nous allons essayer de la considérer de très près…
Michel J. Cuny
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