Surveiller, punir et castrer
Hier soir, je pensais que la déclaration de Frédéric Lefebvre au sujet de la « castration chimique » n’était qu’une saillie supplémentaire au milieu du flot d’injures qu’il adresse régulièrement à tout un chacun. J’avais choisi le parti-pris d’en rire. J’ai eu tort.
Mise en situation de la polémique
Je découvre aujourd’hui, que le meurtre de la femme assassinée dans l’Essonne est considéré comme un sujet de contre-attaque majeur par le président sur le front de la reconquête de son image. En effet celle-ci s’est beaucoup dégradée en septembre. « On ne lâche rien » : tel semble être le mot d’ordre et le credo de Sarkozy aujourd’hui. Et qu’importe le support, hier c’était Hadopi, aujourd’hui c’est la « castration chimique ». La machine industrielle de communication s’est ensuite emballée : le feu-follet médiatique lancé hier par Frédéric Lefebvre a été repris par MAM , puis par Brice Hortefeux , et aujourd’hui par François Fillon .
La castration chimique est donc le véhicule de l’indignation présidentielle, et le support potentiel à un rebond des sondages à son sujet. Et c’est bien cela qui me gène. Je passerais sur l’argumentation a posteriori et peu productive du manque de moyens des Juges d’application des peines, ainsi que sur le fait que le fait divers se transforme implacablement en loi aujourd’hui. Je passerais également sur le fait que l’émotion suscitée par cet assassinat soit récupéré à bon escient et instrumentalisée par une communication officielle maintenant rodée. Ces arguments ne sont plus recevables aujourd’hui puisqu’inaudibles. Ils sont qualifiés par certains à droite comme des arguments de pleurnicheurs. Alors alignons quelques lignes afin de ne pas laisser croire à cette contre-vérité.
La castration chimique est un retour en arrière en matière de justice
Je plaisantais hier sur ce sujet grave en me posant la question si il ne fallait pas faire une castration chimique à Frédéric Lefebvre. Ma réponse le concernant ou concernant le prévenu au sujet de l’assassinat de l’Essonne est la même : bien sûr que non il ne faut pas.
En effet, c’est un châtiment corporel, et l’évolution de la justice à travers notre histoire nous montre que ces châtiments corporels (écartèlement, torture etc…) ont peu à peu été remplacés par des peines d’emprisonnement en occident (démonstration implacable à lire dans Surveiller et punir de Michel Foucault). La société évolue d’ailleurs, puisque nous commençons à trouver (et à juste titre) la peine d’emprisonnement comme relativement barbare.
Alors il faudrait revenir sur un des acquis de l’évolution de notre justice au travers des âges sous le prétexte fallacieux que Nicolas Sarkozy veut redorer son blason médiatique ? Poser la question, c’est déjà l’éluder. Ceci dit, elle nous permet d’observer que nous serions capable d’aller ponctuellement, et pour des motifs peu reluisants, contre l’évolution à long terme de notre institution judiciaire. Notre société a décidément une curieuse façon d’aborder le long terme.
Je suis intimement convaincu que la société civile souhaite « encore moins de barbarie » dans les prisons. La meilleure preuve est le nombre de suicides en prisons qui a augmenté de façon dramatique. L’emprisonnement est certainement vécu beaucoup plus difficilement aujourd’hui qu’hier. L’opinion publique a de plus une réelle écoute à ce sujet maintenant, ce qui n’était pas le cas auparavant. Une nouvelle évolution est donc potentiellement en marche, celle-ci se fait lentement et au rythme des évolutions de mentalités. Et ce temps-là n’a rien à voir avec la comptabilité des sondages hebdomadaires.
La castration chimique : c’est la punition du corps et le rétrécissement du champ de la normalité
Ne pensez pas que je tente de minimiser la gravité des faits, loin de moi cette idée : nous avons affaire à une crime horrible comme malheureusement il en existe depuis que l’Humanité existe. Une chose est certaine, il y’ en avait beaucoup hier, il y’ en a beaucoup moins aujourd’hui, mais il y’ en aura encore demain. L’Humanité, celle de notre corps et de notre esprit ne se nourrit heureusement pas de ces comptes d’apothicaires.
Nous avons donc un groupe d’individus qui serrent les rangs autour du patron, et ils défendent non pas l’idée de la castration chimique, mais ils font allégeance, chacun pour des raisons qui leur sont propre, au patron. L’instigateur, quant à lui se targue d’arguments primitifs et faux pour avancer ce qu’il pense être une idée de génie.
La punition infligée, au nom de la société saine de corps et d’esprit, celle-là même qui décide de ce qui est a-normal serait donc la mutilation. La peine infligée par cette société, se disant saine de corps et d’esprit, le serait pour des motifs, comme nous l’avons vu, pas très catholiques.
La castration chimique, si elle s’applique, ne serait qu’une chasse aux sorcières de l’a-normalité. L’appliquer, c’est ouvrir la boite de pandore au rétrécissement du champs du normal, qui s’est déjà considérablement restreint dans nos sociétés actuelles.
Décider de cette castration chimique fait partie d’un projet de société auquel je n’adhère pas, qui de plus rompt avec une longue tradition historique.
Les ressorts de cette idéologie a-normale
Je considère que ce choix de société est une a-normalité au sens de la société telle que je la conçoit. Regardons donc de plus près les déviances de notre président pour arriver à de telles propositions. Il me semble que des nombreuses images d’Epinal préfabriquées dont il est le véhicule, malgré lui, son a-normalité la plus béante touche à son inculture au sujet des sciences du vivant. je cite Nicolas Sarkozy en avril 2007 :
- "Je ne suis pas d’accord avec vous. J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense."
La meilleure réfutation de ces arguments presque pittoresques a été donnée par Albert Jacquard. Mais peu importe la véracité de ces allégations notre destinée à court terme est de toute façon dictée par de tels arguments digne du XIXème siècle.
Ma démonstration ne voudrait pas écoper d’un point de Godwin mais la castration (chimique ou non) est un procédé qui a été largement utilisé au milieu du XXème siècle.
J’espère rassembler au travers de ce billet (certes long) des gens de sensibilités politiques diverses et variées. Je suis intimement persuadé que ce projet de "castration chimique" est une régression Humaine qui mettrait fin à un processus judiciaire long...mais cependant vertueux.
Encore une fois, au même titre que la peine de mort, mon propos n’a rien à voir avec une sous-évaluation de la gravité des faits qui laisse des proches ainsi que des amis démunis face à l’indicible.
21 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON