Tentative...
Tentative
travelling personnel sur l'immigration.
Tentative hasardeuse, osée et peut-être risquée quoique j'aie toujours idée que des éléments opposés, qui déboulonnent et affinent mes analyses, sont les bienvenus.
Je n'ai guère de bagages officiels pour parler de tout ça, l'immigration, le regroupement familial, la déroute...
En 1975 et 76, j'étais détachée de l'université de Besançon au centre ILF de Boulogne-Billancourt, pour élaborer une méthode de passage à l'écrit, d'apprentissage du français, ayant comme public les travailleurs immigrés de l'usine.
J'assistais donc à des cours donnés par des profs, la plupart algériens, tous staliniens , ou toutes féministes militantes ( pour la petite histoire), et, en collaboration avec des universitaires ayant le statut de conseillers pédagogiques, et un collègue linguiste lui aussi, nous partions d'une méthode d'apprentissage oral et, analysant les problèmes des « élèves », nous fomentions d'ingénieuses inventions pour leur enseigner l'écrit de la langue française. Ces gens étaient analphabètes dans leur propre langue, l'arabe.
Je vous parle d'un temps où beaucoup d'argent était dévolu à cette tâche. Je précise que c'était Renault qui payait intégralement ces profs, ces pédagogues et ces intervenants extérieurs ; les ouvriers devaient avoir suivi pendant un an les cours hors temps de travail (HTT) avant d'avoir le droit de les suivre pendant le temps de travail (PTT) ; c'est pourquoi, je traversais le pont et me rendais dans des salles, toute proches des presses, où une vingtaine d'ouvriers venaient, une heure par jour, chaque heure du jour, perfectionner leur oral et, bientôt, passer à l'écrit. La hiérarchie de l'ILF et le nombre de personnes dévolues à cette tâche était impressionnants. Un bâtiment entier, en face de l'île Seguin lui était réservé.
Plus tard, j'avais des amies et connaissances, qui gagnaient leur pain à enseigner le français aux femmes et enfants des mêmes, ou plutôt de leurs pareils, puisque j'étais alors en campagne, dans le sud de la France. Je servais ça et là, d'aide théorique à leur pédagogie.
Et puis, la lecture d'un beau texte écrit par un très vieil ami pied-noir, et mes longues conversations épistolaires avec lui.
C'est tout ce que j'ai à offrir comme passeport officieux en ce domaine.
Plus, les relations avec , ici, les travailleurs marocains dans les vignes et quelques anecdotes racontées dans ces années-là ; c'est à dire la fin des années quatre vingt, début quatre vingt dix, au moment du gros du regroupement familial.
Mon amie d'enfance était biologiste et avait monté un laboratoire d'analyses médicales dans les suburbs de Rouen. Elle partait de chez elle vers 6 heures trente du matin, et faisait la tournée des prises de sang, à jeun, avant de rejoindre son labo, pour analyses. Elle me racontait l'horrible misère qui régnait dans les foyers français, où le père était souvent chômeur mais toujours alcoolique et vivait avec sa famille dans un appartement vidé de tout, même parfois du lavabo, mais surtout où la cohésion de la famille partait en vrille, misère et décadence, déglingue et pathologie. Dans les familles immigrées, au contraire, harmonie et propreté, dignité et accueil chaleureux.
C'était l'époque où les enfants récemment arrivés avec leur mère, retrouvant le père alphabétisé, étaient heureux d'aller à l'école, avaient conscience de cette chance d'être admis dans ce pays de cocagne si souvent vanté par leur père quand il rentrait au pays pour ses vacances. Les filles brillaient à l'école et j'ai souvenir d'une femme qui racontait qu'entre elle, l'aînée, et son plus jeune frère de quinze ans son cadet, le monde avait changé. Elle était avocate, avait joui pleinement de cette ouverture, tandis que plus tard, les jeunes, après que leur père fut au chômage, que la banlieue se fut ghettoïsée, traînaient dans les rues, ne trouvaient plus de repères, ces repères inhérents à leur culture d'origine, solides encore pour l'aînée, délabrés déjà pour le cadet.
Et puis, ces femmes fraîchement arrivées dans le Drôme pour rejoindre leur mari ouvrier agricole, et qui racontaient à ma sœur qui leur donnait des cours de français, combien elles avaient été déçues de ne pas trouver, comme elles l'avaient imaginé, des billets de banques dans les arbres. Et parmi ces femmes et ces filles, nombreuses sont celles qui ont trouvé leur autonomie, permis de conduire, petits boulots, ou carrière professionnelle pour les filles.
Voilà, nous étions à la fin des années quatre vingt, au début des années quatre vingt dix.
Cette loi passée en 1976 a mis quelques dix ans pour commencer à attirer en nombre les familles des immigrés en France.
Je n'ai aucune idée du pourquoi de cette loi, mais l'époque était florissante, encore, et j'y vois un relent de culpabilité de la France coloniale. C'était, somme toute légitimement humain de rendre à ces hommes leur femme, leur famille, eux qui jusqu'ici ne les voyaient qu'un mois dans l'année.
Il n'y avait aucun misérabilisme, aucun sentiment de bonne action ou autre chose de la sorte ; il y avait une mission, légitime et pas contestée, de donner à ces travailleurs les moyens de se débrouiller, de s'adapter dans la société à laquelle ils participaient pleinement. Je sais bien que Renault était nationalisé, certes, mais c'était Renault qui payait, pas le contribuable ; Renault développait alors de joyeux bénéfices. Mais je ne saurais vous dire quelle était la politique de Peugeot ou des autres à cette époque.
En tout cas, vue la conjoncture économique de ces années-là, , on peut la considérer comme légitimement généreuse.
Rappelons que la France est beaucoup, beaucoup plus riche aujourd'hui qu'alors.
Imaginons que cette loi n'ait pas vu le jour ; les travailleurs OS ou non qualifiés seraient à la queue leu leu rentrés chez eux au fur et à mesure que le travail s'amenuisait ; on peut même imaginer qu'ils auraient, de retour, apporté leur expérience, leur savoir faire, leur « changement » à leur pays. On ne peut, en revanche, guère imaginer la suite, je veux dire les bienfaits ou non de cet état de fait.
Mais, dans le même temps, il se passait autre chose sur le plan économique.
Il se passait la « virtualisation » du capitalisme, contraint, pour progresser, toujours plus , d'inventer d'autres subterfuges pour sa fuite en avant.
La suite, on peut la faire courte : désindustrialisation de la France, par délocalisation, transfert de dix points de capital de la poche des travailleurs à celle des spéculateurs, chômage de masse, restriction tous azimuts, dette exponentielle ; bref, notre quotidien aujourd'hui.
Imaginons un instant cette « masse » d'immigrés et de leur famille, dans un capitalisme qui aurait suivi sa route pépère pendant encore quelques années ; ou bien cette loi pour le regroupement familial se décidant plus tôt et s'actualisant plus promptement.
On garde la désillusion au sens propre des familles arrivantes, mais aussi la structure solide d'une famille maghrébine traditionnelle. On garde l'argent dépensé en vue de leur adaptation à notre monde, leur scolarité ; on jette les ghettos, les échecs scolaires en masse, l'inadaptation ; on garde le désir fou d'un mieux être, l'énergie de la jeunesse, la richesse d'un apport nouveau.
On jette les familles patriarcales déstructurées par l'anéantissement symbolique d'un père chômeur, et l'impossibilité des géniteurs de ces enfants-là, à réaliser le rêve d'un progrès, d'un mieux être pour leurs descendants. On jette cette politique idiote qui consistait à payer des vacances et des loisirs aux gosses des cités, alors qu'ils n'en avaient rien à foutre ! Canoë kayak, parapente et autres sports pleine nature ; c'est bien, un cadeau ; une voie ouverte pour l'avenir, c'est mieux ; et là, rien !
On garde cette histoire commune, là-bas, chez eux, eux qui ont partagé nos valeurs et qui ne sont pas, à proprement parler, des étrangers, si lointains, si différents, si hostiles à nous. Je parle du peuple, de ce peuple d'Algérie, bigarré, disparate et qui réussissait très bien à faire vivre ensemble autant de religions, de coutumes et de valeurs.
Qui dit déstructuration dit impuissance à faire passer quel héritage que ce soit. La famille traditionnelle ne peut plus être, du fait de la chute sociale du patriarche, et l'adaptation ne peut pas être, du fait de la classe sociale, la déclasse sociale plutôt.
Dans le même temps, et par une force d'inertie inhérente au maternage, les mères , et pères, continuent d'élever leurs garçons, comme des caïds, des chouchous, des gâtés, les petits dieux du foyer.
(Je sais que là je généralise, simplifie et caricature ; je connais assez d'hommes de culture – et non de religion- musulmane, pour savoir que tous les musulmans ne sont pas des machos.)
Mais ces caïds chouchous, une fois dehors, sont très désappointés ; à l'école ils sont plutôt regardés de travers, à la maison c'est la pauvreté, l'absence de re-pères, de structures constructives d'une identité ; alors ils s'organisent en bandes, avec chef, serviteurs et suiveurs, et dealent et volent et braquent pour, enfin, parvenir au rêve de fortune qui a dû bercer leur sommeil d'enfants, captant seulement le bling bling de cette société tout argent.
Un peu plus tard, on arrive au Djihad, école d'héroïsme qui se détourne de ce rêve impossible, rejette avec force cette « traîtrise », se revendique, pour une infime minorité d'entre eux, héros vengeurs de la disgrâce des leurs.
Mais avant d'en arriver là, ceux restés au pays, témoins de toutes les guerres que l'occident mène contre eux, rassemblent leurs troupes, dispersées, hagardes, et voilent les femmes, et ferment et coincent et étriquent un besoin encore d'appartenance à quelque chose, à une communauté, une dignité, un orgueil comme seul ferment de vitalité. Car « chez eux » aussi, les temps ont changé.
Une amie de Nîmes me racontait qu'elle avait revu récemment sa grande copine algérienne, jupe mini et un boulot, clope et tout le reste, quand elles étaient jeunes ensemble, il y a vingt cinq ans, et qu'elle ne la reconnaissait pas, voilée, éteinte ; lui demandant ce qui s'était passé, elle expliqua que des petits imams de banlieue les tenaient par la peur, une sourde menace, et qu'on s'y plie parce qu'on n'est pas tous des héros !
J'ai idée, que si tout ne s'était pas à la fois mêlé pour aboutir à ce désastre, le temps faisant, nous aurions réussi, nous, et eux.
Je ne sais juger la désinvolture d'une politique qui, de toute évidence n'avait pas assez réfléchi et n'avait pas anticipé.
De la même manière je ne peux pas juger de la réaction de tous ceux qui se sont retrouvés piégés dans une nasse dont la cause les dépassent entièrement. Les rustines ça et là qu'on veut bien tenter de mettre, sont cause, la plupart du temps, d'une réaction et d'un rejet, de la part de tous. C'est que c'est pitoyable de faire semblant de vouloir réparer l'irréparable, ménager la chèvre et le chou ; cela ne peut qu'agacer ou révolter tout le monde.
Il n'y a rien de naïf dans cette vision des choses ; je tiens pour dérisoires toutes les parlotes et politiques menées depuis des lustres, et je sais que tant de niveaux, d'être, de conscience, de culture, de croyances, de coutumes, se sont mêlées à tout ça, que la politique seule, et son corollaire le fric, ne sont pas « coupables » mais bien responsables ; n'est-ce pas, comme on le dit si justement depuis les aventures des vaches folles ou du sang contaminé. Une suite invraisemblable de maladresses, pour être polie, s'est établie, comme une spirale infernale dont on ne sort pas.
Au niveau psychologique, je mets ça sur le compte de l'ignorance ( de l'autre, ses priorités et racines), l'arrogance ( dont l'occidental n'a pas l'air de vouloir se défaire), mais aussi la culpabilité et cette incapacité qu'ont la plupart des gens, à aider l'autre, pour lui, à sa manière, mais de le faire pour eux-même, à leur façon.
Mais c'est dans l'air du temps ; des parents, pas maghrébins pour deux sous, élèvent leurs enfants de cette manière : seul l'apparence, les objets, les dépenses leur sont preuves d'amour. Ce n'est plus la conjuration des imbéciles, mais bien la fabrication, à la chaîne, d'imbéciles.
Néanmoins, une cohérence est flagrante : la dérive du capitalisme, sa chute, notre chute, sont intégralement responsables de tout ce gâchis. Et je ne veux pas dire que le capitalisme de papa est l'idéal, j'ai expliqué longuement ailleurs quel était le mien ; mais se plongeant un tant soit peu dans la réalité du monde, c'est ce que je constate.
La politique est au service de l'humain, si on oublie l'humain dans la politique, qu'est-elle donc ? Et quand la politique lèse tout le monde, à qui faut-il s'en prendre ?
Un survol est une simplification, mais une simplification synthétique n'est pas fausse ni mensongère, en cela, elle est plus honnête que la simplification que l'on trouve aujourd'hui, stigmatisant des gens, désignant un bouc émissaire. Nous sommes au pied d'un mur gigantesque, toutes les erreurs, les laisser-aller, les démissions, les paresses, les aveuglements qui poussent en force dans le mauvais chemin et qui, sans surprise, nous abandonnent, au bout. Notre seul sursaut, notre seule ouverture, c'est recréer l'espace de l'entreprise, même et surtout si celle-ci ne s'inscrit pas dans le moule mortifère de notre système. Et quand je parle d'entreprise, je pense aussi à l'entreprise humaine.
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