Tourlou – tourlou
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C’est une expression grecque d’origine turque que l’on emploie pour signifier les assortiments, surtout en cuisine. Et c’est de cuisine que je voudrais parler ce matin, mélangeant l’actualité comme un plat où courgettes, aubergines et pommes de terre fusionnent lors d’une cuisson lente pour ne laisser in fine qu’un goût légèrement amère enlevant à chacun de ces légumes leur propre identité et texture. Florange, la guerre des chefs, les colonies juives qui repartent crescendo comme un geste enfantin et orgueilleux faisant fi de la sagesse parentale, le rachat de la dette grecque par son peuple au profit des usuriers « investisseurs », la dérive européenne qui demande à Chypre de tout privatiser en commençant par les entreprises les plus rentables, la place Tahrir qui reçoit à nouveau la révolte populaire, les démêlés juridiques de l’Argentine avec ses « créditeurs » nord-américains, le conflit syrien qui s’embourbe dans le sang d’une population exsangue tandis que ses dirigeants chargent leurs comptes offshore au cas où, les tribulations autour d’un aéroport inutile, sauf pour les intéressés, cuisent dans la marmite des news avec des dosages aléatoires où l’on confond sciemment important, secondaire et insignifiant.
En fait, même si tout cela a, éventuellement, un sens, le traitement journalistique le lui enlève. Celui de l’UMP nous bassine de loups mâles incapables de mener la meute et de loups garous pointés ou auto – désignés qui les remplaceraient. Il y en a même qui parlent d’une révolution des agneaux qui tireraient les marrons du feu en contribuant à l’extinction des dinosaures. Trouve-moi la petite phrase qui tue, extorque-là si nécessaire, crie dans son i phone - et devant moi - un rédac chef bien connu. Il me croit du sérail et me fait un clin d’œil. Pour lui, la bataille des chefs est du pain béni, et il ne pense pas une seule seconde que mettre de l’huile sur le feu participe à la déliquescence d’un des piliers structurant notre République. Pour lui, la phrase assassine c’est plus important (et plus facile) que l’analyse qu’il aurait dû devoir à ces lecteurs portant sur cette Cité à la dérive qu’est devenue la droite française : sa dite radicalisation n’est en fait qu’un effort avorté de trouver une expression politique au laisser-faire et aux abus de la mondialisation de la finance. Le politique voudrait être aussi décomplexé que le financier dans sa capacité à couvrir ses abus et de les faire payer aux les autres. Or, cette tentative mimétique n’a pas l’air de marcher comme sur des roulettes. Que ce soit aux Etats-Unis ou en France ce « projet » politique a trouvé ses limites et la crise actuelle à l’UMP devrait être analysée comme une des conséquences de cette limite tout comme la défaite des Républicains en Amérique et celle de Sarkozy en France.
La logique « jusqu-à-boutiste » et inique n’est possible que dans une dictature. Le corollaire d’une politique financière libérée de toute contrainte d’Etat de droit est justement la fin de l’Etat de droit. Si je décide et j’ordonne peut s’épanouir au sein de l’environnement financier, cela devient un exercice périlleux dès lors que l’on parle de politique. En Grèce, il faut tempérer : un pas de plus et la gauche gagnera les prochaines élections même si on cultive de manière hydroponique un parti néo nazi génétiquement modifié pour y faire face. C’est dans tous les cas ce qu’affirme le premier ministre grec face à ces protecteurs de la Troïka et il semblerait que la chancelière allemande aurait fini par entendre le message. Payer les ouvriers en cacahuètes et vendre leur labeur en dollars c’est possible en Chine ou à Madagascar mais pas (encore) partout dans le monde et encore moins dans la vieille Europe. Par contre, faire travailler plus les salariés français et autres européens pour financer la retraite des allemands, c’est toujours possible. Le conflit Copé-Fillon se résumant ainsi entre le possible et l’impossible (pour l’instant). A Florange, le Medef ne s’est pas trompé : il a préféré et sans doute imposé la solution mesquine mais sonnante et trébuchante d’un status quo, plutôt que l’élargissement du champ du possible que représentait le spectre de la nationalisation fut-elle provisoire. Les petits arrangements entre amis ayant fait le reste. La financiarisation de l’économie aux dépens de l’économie réelle n’ayant rien de positif à proposer sinon la peur, tout espoir d’une solution qui pourrait la contester doit être étouffée dans l’œuf. Voilà pourquoi à Florange, comme un joueur de poker déstabilisé, on a préféré payer plutôt que d’étaler son jeu. Voilà pourquoi aussi la presse, d’où qu’elle émette, s’obstine à restreindre autant qu’elle peut les choix, faisant sienne une soi disant fatalité qui consiste à répéter inlassablement que le système est fermé.
Et c’est au nom de cette fatalité factice que l’on préfère jeter par la fenêtre des milliards en Grèce, en Italie, en Espagne ou ailleurs, plutôt que de remettre la réalité au vu et au su de tout le monde.
Voir le monde tel qu’il est consisterait à dire au monde entier qu’en à peine cinq ans plus de trois cent cinquante mille femmes d’Amérique centrale ont été violées lors de leur traversée du Mexique et plus de cent mille personnes ont été assassinées par les réseaux de passeurs qui leur promettaient de pouvoir franchir le mur de la frontière américaine. Qu’un mur similaire en Palestine affame des milliers de personnes et octroie un droit de vie ou de mort à un Etat aux dépends d’une entité qui se réjouit d’être enfin reconnue comme « observateur » à l’ONU.
On commence déjà à nous insinuer qu’un dictateur par la grâce de l’occident c’est mieux qu’un régime autoritaire, de surcroit islamique, issu d’urnes imparfaites, en oubliant que chez nous elles le sont aussi. Mais la place Tahrir, du fait même de son statut inviolable de symbole acquis, prouve que le citoyen, à condition de faire sienne la notion de possible et de faire fi de cette notion anti historique d’un monde fermé peut toujours changer la donne.
Tourlou - tourlou donc mais sans oublier les saveurs des épices insoupçonnés, invités surprise de l’Histoire, sans oublier non plus la substantifique moelle, qui coule désormais de ces os, oh combien, calcinés en Amérique latine mais aussi un peu partout dans le monde.
photo de topsyntages.gr
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