Tout ce bordel pour deux ans de plus, vraiment ?
A celui qui n’a pas le temps, pas les moyens, ou simplement pas l’envie de passer le premier rideau d’information, le discours officiel sert un raisonnement relativement simple. La démographie évolue de sorte qu’il y aura de moins en moins d’actifs pour cotiser pour de plus en plus de retraités. Donc notre modèle de retraites par répartition ne tient pas la route en l’état actuel des choses, il faut à minima rallonger la durée de cotisation. D’après la fameuse technique du doigt mouillé, deux ans de plus permettrait de sauver notre régime, au moins jusqu’à plus tard, on va dire jusqu’à moyen-plus tard et ensuite on verra bien. De toute façon, la France a besoin d’être sauvée et réformée. On vit au dessus de nos moyens, le bon vieux temps d’après guerre est terminé. Les pays sont en compétition à mort pour qui survivra, nos revendications d’un État providence sont des caprices de bourgeois.
Face à ce discours, il y a plusieurs types de réactions. D’abord ceux qui versent abondamment dans le syndrome de Stockholm, les bons élèves, les plus royalistes que le roi, les rigoristes. OUI ! Enfin prenez en main ce tas de feignants et de fonctionnaires. Il faut bosser plus ! On n’a pas les moyens d’engraisser les inutiles. Oh oui, faites moi bosser, et fouettez moi s’il le faut. Je suis votre otage. Je veux de la sueur du sang et des larmes.
Il y a aussi la réaction honnête, pleine de bonne volonté et de courage. L’équation est simple, la retraite est une chose à préserver, pour la préserver, pour nos enfants, l’évolution de la situation nous oblige à travailler un peu plus. Deux ans de plus ce n’est rien. Bon j’ai quand même l’impression que l’honnêteté n’est pas partagée par tous. Il n’y a qu’à voir les derniers scandales politico-financiers, il n’y a qu’à voir l’argent qu’on a su trouver pour renflouer les banques, il n’y a qu’à voir comment les députés ne sont pas pressés de réformer leur propre système de retraite (il n’y a pas de problème de démographie chez les députés apparemment). Chez beaucoup c’est la lie qui a du mal à passer. Une réforme oui s’il le faut, mais une réforme juste.
Enfin certains s’accrochent tout simplement à un acquis social, pour eux l’adage comme quoi rien n’est jamais acquis ne s’applique pas aux luttes sociales. Toute remise en question est vue comme une agression inacceptable. Je m’accroche à mes deux ans et je me fous du reste du monde.
Quant au discours d’opposition officiel, il n’y en a pas. Le Parti Socialiste ne dit rien d’intelligible. Les directions nationales des syndicats ont d’abord été débordées par une contestation qu’elles pensaient juguler. Le plan était simple, on réclame quelques miettes, ou l’apparence de miettes, contre la menace d’une kermesse unitaire avec ballons et saucisses tous les 3 ou 4 mois. Les grands chefs parisiens ont maintenant rattrapé le mouvement, suivent tant bien que mal, surnagent au dessus d’une mêlée chamailleuse qu’ils peinent à contenir. Les sections locales de tous les syndicats ont pris le relais de la contestation depuis un bon moment déjà. Au moins depuis l’avalanche de plans sociaux qui a suivit la crise des subprimes, et qui n’intéressent personne à Paris s’il n’y a pas de mise à sac ou de prise d’otage spectaculaire à se mettre sous la dent. On est loin des dogmes officiels du bureau parisien. Qu’importe le nom du syndicat, en « province », on baigne dans le réel de la misère sociale d’un pays qui se désindustrialise tranquillement sans aucun projet de remplacement. La lutte ne se résume pas à quelques mots, quelques logos ou quelques slogans qui sonnent creux, quand le combat est là il faut bien s’y coller avec pragmatisme.
Quelle contre-proposition officielle alors ? Aucune. L’attitude du Parti Socialiste, présidentiable, est largement malhonnête. Il n’est pas possible qu’ils soient assez aveugles pour s’imaginer être à l’origine de la contestation. Par contre ils clair-voient 2012 qui arrive et l’opportunité à saisir. Opportunément certains vont reprendre la revendication d’un État providence, qu’ils avaient peu à peu mis en sourdine, pensant que c’était passé de mode. Nous sommes en plein marketing politique. L’offre politique répond à la demande. Alors Mme Aubry, vous nous le dites haut et fort votre âge idéal de départ à la retraite ?
D’autres propositions
Reprenons le problème de base. En 2000, il y avait 2.3 actifs pour payer une retraite. En 2040, il n’y aura que 1.5 actifs pour payer une retraite. Donc on allonge la durée de cotisation… Et c’est tout ? Les équations c’est bien, mais encore faut il préciser si on y met tous les termes, avec quel poids, et si on écarte des termes, pour quelles raisons.
Quid de l’augmentation de productivité ? Voici ce que prévoit l’INSEE, avec l’hypothèse d’une croissance de 1.75% par an en moyenne. En 2000, 26,8 millions d’actifs ont produit un PIB (Produit Intérieur Brut) de 1441 Milliards d’€. En 2040, 28,5 millions d’actifs produiront 2884 Milliards d’€ minimum (en Euro constant, valeur 2000). Autrement dit, en 2000, un actif produisait 53768 €. En 2040, il produira 101192 €. Ou bien encore, en 2040, 1.5 actif produiront autant que 2.8 actifs en 2000. Ah, voilà que la baisse du nombre d’actifs devient moins problématique ! Le nombre d’actifs seul ne fait pas tout, il faut prendre en compte la valeur qu’ils produisent. Mais vous remarquerez que ce calcul est plein d’hypothèses, on se base sur un Euro constant, on table sur une croissance du PIB. Si vous êtes décroissants, par exemple, tout se complique. Cela dit, le gouvernement ne fait ses prévisions sur des hypothèses décroissantes. Il devrait peut être. Mais le gouvernement n’ignore pas non plus l’hypothèse d’une augmentation de la productivité, au contraire, il compte dessus. Alors pourquoi nous matraquer avec l’indice de croissance à longueur d’années et d’un coup d’un seul, l’escamoter dans le débat sur les retraites ?
Le calcul des retraites, en fait la fiscalité en général, peut devenir un sujet vraiment technique, à ne plus rien y comprendre. Mais le principe à retenir, c’est que l’économie se base sur des hypothèses. A Euros constants, s’il y a croissance, toutes choses égales par ailleurs… Il ne s’agit pas de mots vides de sens. Il s’agit d’être rigoureux et honnête dans sa démarche intellectuelle en soulignant bien qu’on ne fait que des suppositions. Le résultat d’une équation ne vaut rien si on ne connaît pas les données de départ et les règles appliquées pour résoudre cette équation. C’est un principe mathématique de base. Alors seulement il est possible de débattre et de dégager un consensus.
Des propositions alternatives existent, certaines même plus avantageuses que la situation actuelle. Beaucoup insistent sur le fait que les marchés financiers confisquent une part importante des richesses. Cette part devrait être mise à contribution dans le financement de notre couverture sociale. Sans révolutionner totalement notre conception du travail salarié, certains proposent simplement d’uniformiser les régimes de retraite et d’indexer les cotisations sociales sur l’augmentation de la valeur de la production. Ce qui garantirait largement le financement de nos retraites par répartition. D’autres font le constat qu’on produit assez de richesses pour garantir à chacun un revenu universel de la naissance au décès. Les réflexions alternatives sur le travail salarié, le chômage, la retraite ne manquent pas. Un dialogue social sain serait un dialogue apte à faire émerger dans le débat ces propositions, contradictoires parfois, mais riches et fondées sur des visions différentes de la vie. Sont-elles meilleures, plus réalistes, sont-elles utopistes, chacun devrait pouvoir en juger. Ou au moins, dans l’état actuel de notre démocratie, elles devraient être débattues à l’Assemblée ou lors de réunions de négociation. Nous en sommes loin, nous sommes dans la situation ou une réforme a été décidée par quelques hommes qui tentent de l’imposer à tout un pays. Après 72 heures de pseudo-discussions à l’Assemblée Nationale, la proposition a été votée. Nous atteignons des records de célérité.
Pourquoi pas de débat ?
Débat, c’est le mot qui blesse. Notez qu’il n’est pas question de débat sur les retraites. Il est question de pédagogie, d’explication de la réforme. En guise de pédagogie on assiste surtout à un bourrage de crâne systématique. Le gouvernement nous dit ce qui est bon pour le pays, il consent éventuellement à faire des efforts d’explication de texte. Soit, admettons que nous mettions entre parenthèses la démocratie pour le temps des réformes (c’est bien ce qu’on fait en refusant qu’il y ait débat). Alors expliquons la réforme. Sans équivoque, avec pédagogie et en donnant clairement les hypothèses retenues. Expliquez nous, Mr Woerth, qu’il n’est pas question de toucher au capital que les actifs dégagent en augmentant leur productivité. Que ce capital ne participera pas à l’effort de redistribution des richesses, au financement de la retraite. Que ce capital sera confisqué, évadé au soleil d’un paradis fiscal. Expliquez nous que dans la doctrine libérale que vous appliquez avec le gouvernement, il faut libérer le capital de toute tutelle d’État. Dites nous clairement que votre but, c’est la fin de l’intervention de l’État sur les questions sociales, la fin des services publics, la fin de la santé pour tous garantie par l’État. C’est une conviction, une vision du monde, assumez la.
Ce qui est en jeux derrière la question des retraites
La destruction des retraites n’est qu’une facette d’une attaque généralisée de la classe qui s’accapare le capital mondial sur la classe laborieuse. Le capitalisme entretien un état de crise permanent. Il en a besoin pour vivre. Que s’est-il passé en Grèce après la crise des subprimes ? Le FMI a mis son pied dans la porte de l’Europe. Un fond commun Europe-FMI a été créé pour prêter de l’argent à la Grèce. Le FMI prête de l’argent aux états et vit ensuite des intérêts dus par ces états. En contrepartie de son « aide », le FMI exige que vous adoptiez une doctrine libérale, tout ce qui échappe encore à la spéculation dans le pays est cassé, confisqué aux contribuables qui l’ont créé, accaparé pour des intérêts privés. Son discours est clair : j’ai les moyens de vous aider, mais il faut que vous appliquiez mes recettes. L’Argentine en a largement fait les frais, totalement mise à sac par ces principes libéraux. Que le FMI pointe son nez en Europe est une bien mauvaise nouvelle pour ses citoyens. Que se passe-t-il en ce moment en Grande Bretagne, en Irlande, que veux-t-on nous vendre en France ? Une politique d’austérité. Basée sur ces mêmes principes libéraux défendus par le FMI. Pourtant la Grande Bretagne ne passe pas pour une zélée du socialisme. Elle a depuis longtemps fait sienne la doctrine libérale. La City se porte à merveille. Les citoyens anglais ont-ils bénéficié du libéralisme dans les mêmes largesses que leurs banques ? S’étant mis du bon côté du capital, n’auraient-ils pas du échapper à la tourmente ? Pas à en croire leur ministre des finances George Osborne qui a annoncé il y a peu une suppression de 490000 emplois publics d’ici 2015. Son plan d’austérité est pire que la cure imposée par Thatcher. C’est le seul moyen selon lui d’éviter la faillite du pays. Pendant que tous les yeux européens étaient tournés sur le vilain petit cochon grec, la Grande-Bretagne comptait aussi ses morts, dans la plus grande discrétion.
Sans même respecter un quelconque deuil, sans même l’ombre d’un soupçon de dégout pour ce libéralisme qui a provoqué la crise des subprimes, saigné à blanc des pays aux reins réputés solides, on profite de l’hystérie ambiante pour enfoncer au chausse-pied ces préceptes ravageurs pour les citoyens laborieux. La manière est voilée par une succession de sujets de crises provoqués puis soi disant résolus par les mêmes qui ont allumé l’incendie. C’est l’histoire du pompier pyromane. C’est une technique de manipulation de masse. Des rapports de l’OCDE (Organisation pour la Coopération et le Développement Économique) expliquent clairement et avec force schémas les recettes à adopter pour faire de « l’ajustement » politique. Sous couvert de réforme, abandon progressif et insidieux des services publics qui n’ont plus les moyens de remplir leur mission ; identification de groupes de population à avantager et qui serviront de soutient aux réformes dans l’opinion publique ; discours de désengagement au niveau du gouvernement (ce n’est pas notre faute, c’est la mondialisation)… L’ingénierie sociale et politique est un secteur qui ne connaît pas la crise.
Derrière l’agitation actuelle, c’est la retraite par capitalisation qui fait son entrée. Suivez bien la méthode. La retraite par répartition n’a pas d’intérêt en termes de spéculation financière. C’est un énorme gâteau sur lequel lorgnent avec avidité les vautours de la finance. On la casse en tenant un discours de père fouettard et on se déresponsabilise (c’est pas nous c’est la crise, c’est pas nous c’est la démographie, tous nos pays voisins font de même, vous êtes vraiment d’incorrigibles feignants…). En parallèle, on voit baver les Guillaume Sarkozy et consorts (oui vous lisez bien, le frère de l’autre, il fallait oser, les Sarkozy l’ont fait), à la tête de compagnies d’assurance et de mutuelles (Malakoff Médéric dans le cas de Guillaume Sarkozy). On voit se préparer des plans de retraite complémentaire par capitalisation. Confiez nous votre argent, l’État ne peut plus garantir vos retraites, nous nous chargerons de faire fructifier vos économies. Malakoff Médéric estime, selon les scénarios, c’est-à-dire selon l’issue de la réforme, qu’elle pourra s’accaparer un marché de 40 à 100 milliards d’Euros…
Une question purement politique
La question de la réforme des retraites est en fait beaucoup plus politique qu’économique. En France, la cible à abattre est le programme du CNR (Conseil National de la Résistance) qui a posé les bases de notre État providence. Les principes d’égalité devant l’accès à la culture et à l’éducation, d’accès à des soins de qualité à un prix abordable pour tous, de prise en charge des plus défavorisés sont devenus insupportables pour une partie de notre « élite » politique et financière. Le programme du CNR est brocardé dans les coursives de l’État, ils veulent lui faire la peau. Trop France de grand père, ça sent trop bon l’utopie et l’espoir dans l’avenir, le vin rouge et le camembert, pas assez marche ou crève pour l’époque actuelle. La mode chez les élites est au libéralisme, et elles se donnent les moyens de nous l’imposer.
Il ne s’agit pas de rester dans une posture de dénonciation au coup par coup, réforme après réforme. L’enjeu aujourd’hui est de construire une lutte de long terme, et de créer des pratiques alternatives. La politique actuelle est l’émanation d’une idéologie, belliqueuse envers tout capital qui n’est pas encore soumis à la spéculation. Il s’agit bien d’une guerre. Il faut en être conscient et mener cette bataille des retraites comme une bataille inscrite dans une guerre qui dépasse largement la simple question de savoir si oui ou non, nous devrons travailler deux ans de plus. Ce qui est profondément insupportable dans la situation actuelle, c’est de sentir en son for intérieur qu’on est pris pour un con. C’est de se découvrir en guerre, face à un adversaire qui avance masqué par des communiqués de paix. Mais sa paix sera notre calvaire.
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