Travailler plus pour... ?
La célèbre phrase de campagne de N. Sarkozy « travailler
plus pour gagner plus » se décline désormais en propositions concrètes :
allègements des charges sur les heures supplémentaires, monétarisation des RTT,
possibilité de travailler le dimanche, primes annuelles non imposables... Ces
rustines collées en réponse plus ou moins adaptées à l’actualité du « pouvoir
d’achat » suffiront-elles à combler le malaise des Français face à leur feuille
de paie ? Force est de constater que lorsque le problème est clairement de
donner un nouveau souffle au revenu du travail, particulièrement en regard au
revenu issu du patrimoine, les gouvernements qui se succèdent sont dans
l’incapacité intellectuelle de trouver des solutions adaptées.
Quand agir sur les salaires et les impôts serait trop
efficace et trop simple, il est tellement plus aisé d’agir à la marge sur les
avantages des uns ou des autres...
Que les bas salaires, les temps partiels, les retraités, les
seniors, les étudiants, les employés de PME... se rassurent : leur feuille de
paie évoluera à la marge alors que la concentration des profits se fera pour
une frange silencieuse qui sait pertinemment - et depuis longtemps - que
travailler rapporte tellement peu qu’il vaut mieux savoir faire travailler les
autres pour son compte et feindre d’être actif. Tous les gestionnaires de SCI
vous le diront...
I. Un peu de « logique » pédagogique
Raisonnons par l’absurde : nous avons en face de nous deux
choix de vie opposés.
- Le premier consiste à considérer que chaque minute de vie
est monnayable (le temps c’est de l’argent) et que, par conséquent,
mécaniquement, travailler plus rapporte plus.
- Le second consiste à penser qu’une vie où tout le monde
serait riche en travaillant peu voire pas (type rois du pétrole ou cheikh des
Emirats) est un paradis envisageable : l’essentiel étant dans une logique de
progrès à travailler le moins possible, le mieux possible et en dégageant le
plus possible de richesse.
La première voie est « aisée » puisque mécaniquement et
intellectuellement plus lisible. A priori, plus je m’acharne à empaqueter des
saucisses, plus je vends de saucisses et plus j’ai d’euros sur ma fiche de
paie.
La seconde est « complexe » puisqu’elle consiste en un
idéal, une voie de progrès, une incertitude dont la seule réalisation pourrait
être d’avoir un temps de travail limité pour un temps de « loisir » maximal.
Travailler mieux pour gagner plus, pourquoi pas donc.
La diversité des situations de vie, du chef d’entreprise à
son compte en passant par l’agent public et le salarié du privé à temps
partiel à la chaîne, dans le froid et à la mine, laisse à penser qu’il est
complexe de mettre tout le monde sur un même plan « d’égalité ». Cette
complexité se surajoute d’une mécanique générant avec le temps de plus en plus
de rentiers, générant eux-mêmes toujours de plus en plus d’intérêts de
placements et de moins en moins de production tangible.
En d’autres termes, il faut déjà distinguer ceux qui sont
dans l’obligation de travailler pour vivre de ceux qui peuvent se permettre de
vivre sans travailler (ceux qui vivent du patrimoine ou du Loto)
Ensuite, il est clairement nécessaire de distinguer ceux qui
sont dans un régime « libre à eux de faire ce qu’ils veulent puisque tout est
pour eux » de ceux qui sont tributaires d’un salaire issu de la santé, de la
volonté ou même des arbitrages de l’entreprise.
Entre celui qui « roule pour lui » et bénéficie de la
ressource « salaire », mais aussi de la ressource « entreprise » (c’est-à-dire
le capital) et celui qui ne jouit pour vivre que de son seul salaire, il y a
déjà la « lutte des classes » qui se dessine entre celui qui choisit pour lui
et celui qui n’a pas le choix.
Prenons encore le distingo de ceux qui travaillent avec pour
objectif de dégager du chiffre avec des objectifs clairs de productivité comme
dans le privé et ceux qui travaillent pour produire un « service public »
difficilement quantifiable et encore moins qualifiable, particulièrement
lorsque les objectifs sont flous et parfois contre-productifs puisque issus de
volontés politiques, il devient alors difficile de comparer la productivité de
l’un (privé) à la qualité de service de l’autre (public).
Ajoutons à cette liste la distinction entre ceux qui n’ont
qu’un seul travail et ceux qui peuvent cumuler avec des missions connexes, ceux
qui dépendent d’un aléa (comme le climat pour les agriculteurs), d’une
perfusion-subvention (entreprises, agriculteurs, tourisme, etc.), de la
volonté public (secteur parapublic et autres associations), ceux qui
travaillent à temps plein et ceux qui sont contraints au temps partiel, ceux
qui peuvent travailler 4 jours par semaine sur 9 mois (enseignants) et ceux qui
doivent travailler de nuit (hôpital, sécurité, grande distribution, routiers)
ou tous les jours (restauration, hôtellerie...), ceux qui peuvent prendre leur
retraire à 35 ans (sportifs, militaires) et ceux qui doivent 40 annuités en
ayant commencé à 28 ans après les études : il existe autant de situations que
de cadres d’emploi et même de personnes.
Pourtant, 2 choses au moins lient les travailleurs quels
qu’ils soient :
- Une feuille de paie et/ou l’équivalent du versement d’un
salaire, en équivalent annuel ou mensuel.
- Une contrainte à l’impôt
Tous les autres mécanismes sont parcellaires, des RTT aux
heures supplémentaires en passant par les retraites anticipées : il y a ceux
qui en bénéficient et ceux qui n’en bénéficient pas.
Cela est d’autant plus vrai lorsque viennent s’ajouter les
dispositions connexes - non négligeables - comme les chèques vacances, chèques
restaurants, CESU, comités d’entreprises, gains en nature... souvent plus liés
à la taille de l’entreprise (privée ou publique) qu’aux réelles capacités de la
personne à travailler « bien ».
En France, on cherche à donner du sens au travail, souvent
en produisant l’effet inverse, alors que l’essentiel du travail est rémunéré
sur des critères dimensionnant totalement indépendants des capacités
intrinsèques de l’individu.
Le pire des tocards des agents d’assurance aura sans aucun
doute une meilleure rémunération que le commun des bons employés de PME.
L’inertie de certains mastodontes couplée à la capacité des majors à absorber
les moyennes entreprises, génératrices d’emplois et de richesses
intermédiaires, efface les notions de compétences au profit d’une société
écartelée entre les « grosses boîtes où on a tous les avantages » et les «
petites boîtes où il faut trimer pour gagner sa croûte ».
La caricature ne serait pas si poussée si elle n’entraînait
pas dans son sillage des dommages collatéraux économiques majeurs.
En effet, un excellent diplômé n’aura que peu de chance de
se lancer auprès d’une entreprise innovante - ou même dans sa propre
entreprise - si des « majors » lui proposent un package rémunération/avantages
qui pèse bien plus lourd que la prise de risques incertaine. Cela est
d’autant plus vraie que les CSP sont élevée et/ou que les individus sont «
doués » dans leur branche de compétence.
On pourra également évoquer le problème du « management à la
française », c’est-à-dire l’absence de management ou pire encore, le management
« suivant la personne ».
Une enquête montrait hier encore le profond retard de
conception managériale du pays notamment parce que le management n’est guère
enseigné ou reconnu dans notre système éducatif.
Manager des « troupes » c’est notamment savoir faire preuve
de psychologie, d’écoute, d’humilité, de clarté, de force de décision, de
capacité à trancher alors que la plupart de nos dirigeants sont sélectionnés
soit sur leur savoir-faire technique (aux niveaux subalternes) soit sur leur
réseau et appartenance à une caste (école, titres, copinage, cooptation,
féodalité...).
On demande à des spécialistes d’avoir des compétences en
management : cela ne s’apprend pas en changeant de grade, c’est un travail en
soi.
Dans ce système où la remise en cause et l’esprit critique
sont absents, on veut privilégier les rentes de position plus que la
reconnaissance à la compétence, quitte à ce que cela se traduise par des
carrières « non linéaires ». Si seulement, au lieu de vendre du vide aux
enfants on essayait de leur apprendre à travailler en équipe avec la culture du
résultat ! Si seulement on redonnait du sens à la promotion par le terrain
plutôt que de jouer au jeu des chaises musicales ! Si seulement on faisait en
sorte de s’appuyer sur les talents plutôt que de s’en méfier comme d’une menace
sur la situation personnelle !
II. Du scotch pour colmater les trous d’eau
Le président du pouvoir d’achat autoproclamé comme tel se
doit donc d’avoir en tête ce type d’éléments avant de proposer des dispositions
fortes pour relever un pouvoir d’achat en berne et bien plus encore un
creusement significatif des écarts de rémunération entre les Français.
Première étape, le paquet fiscal dont on pourra retenir :
- La suppression des droits de succession pour les « grosses
successions » puisque les petites successions (80 % des cas) étaient déjà pour
tout ou partie grandement exonérées. Exonération pour la classe « moyenne très
supérieure ou aspirante riche ».
- Déduction des intérêts d’emprunts pour les primo accédants
sur les 5 premières années avec des plafonds avoisinants les 4 000 €. Plus vous
avez emprunté, plus vous pourrez en bénéficier. Et comme chacun sait, celui qui
emprunte beaucoup est déjà celui qui a les revenus qui peuvent suivre...
- Mise en place de la 1re phase du bouclier fiscal avec une
plafond à 60 %, concernant soit les RMIstes de la Réunion, soir les 5 % des plus
hautes tranches fiscales.
D’autres dispositions complètent ce « paquet » et succèdent
à la refonte de l’impôt sur le revenu, dorénavant plus abattu de 20 %, mais de
10 % et découpé en 5 tranches au lieu de 6 avec une hausse mécanique de
l’assiette de cotisants par tranche et de ratio revenu sur chacune des
tranches.
L’impôt sur le revenu est devenu à la fois :
- Un gruyère de moins en moins progressif et de plus en plus
jalonné de niches
- Un impôt plus lourd pour ceux qui ont à le payer
Dans le pays de « l’égalité », force est de constater que la
réalité devant l’impôt progressif imaginé par Vauban est très variable et
surtout très injuste : les foyers non imposables ne sont pas forcément les plus
modestes (effet « abattement au nombre d’enfants entre autres ») et pire
encore, le jeu de la défiscalisation est devenu si « professionnel » qu’il y a
ceux qui savent éviter l’impôt et gagnent même des « chèques crédits d’impôt ! »
et ceux qui payent pour les autres.
L’Impôt sur le Revenu (IR) est aussi aléatoire que les
autres impôts directs tels que la taxe d’habitation (base locative non revue
depuis les années 70), la taxe foncière (il y a ceux qui ont un siège
d’entreprise dans le coin et les autres), etc.
La prolifération des impôts, déductions, niches, abattements,
exceptions... tue l’impôt.
La défiance vis-à-vis de l’impôt est d’autant plus
importante que l’affection de celui-ci est pour le moins sujet à
questionnement, surtout quand on constate l’incapacité publique à réformer la
fiscalité locale (clarification, fléchage) usant le contribuable sans même
parler de la déperdition phénoménale de l’argent public dans la sédimentation
des structures, la prolifération des élus et du monde parapublic.
Retenons simplement que l’impôt est tellement inadapté qu’il
devrait être au cœur de toutes les attentions : l’argent public se devant
d’être un argent sacré plus qu’un argent pour les « frais de représentation ».
Seconde étape : La remise en question tranquille des 35 heures
Après une séquence de résolution par la crise et le blocage,
M. Sarkozy se devait de répondre au clientélisme de la veuve et de l’orphelin
en réponse au degré de puissance du cri d’orfraie le tout avec un idéologisme
non voilé.
Que les pêcheurs hurlent face au prix du pétrole, et voilà
que les abattements de charges pleuvent - contrairement à la législation
européenne - en dépit du bon sens et de la durabilité. Quand le pétrole sera à
1,5 € du litre, soit 1 € sans la TIPP pour les pêcheurs détaxés (tiens encore une
niche), il faudra un jour se poser la question de la viabilité de la pêche en
France et plus encore du prix de vente du poisson... Même réflexion pour les
agriculteurs et leur production bradée par une PAC contre-productive. Passons.
Voilà que le bras de fer sur la retraite à 55 ans et les 40
annuités s’engage. Exit les parlementaires, l’armée, les pêcheurs (encore), les
mineurs : focalisons plutôt sur ces salauds de nantis cheminots, sur la RATP,
sur EDF-GDF (le dernier étant privatisé pour le bonheur du prix du gaz et du
pouvoir d’achat, le précédent sur voie de l’être).
Un bon bras de fer avec les bastions syndicaux histoire de
fragiliser un syndicalisme qui n’a jamais été reformé sur le fond, c’est-à-dire
sur sa représentativité et son organisation.
Huit jours de blocage, une stratégie de division des
contestataires, une fermeté d’apparence et une incapacité à trouver une
solution négociée et partagée : dans 10 jours ça repart...
Afin de calmer les esprits, on « réforme » la carte
judiciaire dans un soucis de déménagement du territoire : au lieu de
rationaliser par le rapprochement des services de justice, on préfère éloigner
le justiciables de celle-ci au profit d’une concentration des services là où ils
croulent déjà le plus sous les dossiers... le tout sans prendre le temps
d’évaluer l’impact sur les villes ou même sur la gestion patrimoniale.
Grève, fronde, démobilisation des troupes, coûts faramineux
de la mesure, etc.
Dernière couche de poids, les fonctionnaires, avec une
mobilisation forte - particulièrement des enseignants - sur le motif réel de la
non-indexation des salaires sur l’inflation. La réévaluation du point d’indice
n’ayant pas suivi l’inflation depuis 2002, c’est environ 6 % de baisse de
pouvoir d’achat sur cinq ans. Quant à la progression d’indice à l’ancienneté, même
si on peut remettre en cause son aspect « automatique », on ne peut l’utiliser
comme outil pertinent d’évaluation de la rémunération sans omettre qu’un
agent/employé peut aussi espérer évaluer dans sa rémunération (en + comme en -)
dans sa vie.
N’oublions pas que les fonctionnaires catégorie C sont en
dessous du Smic pour les premiers échelons et qu’il existe une indemnité «
compensatrice » : c’est tout dire.
Quant aux rémunérations, les fonctionnaires compensent au «
régime indemnitaires/primes » sur lesquels ils ne peuvent cotiser pour la
retraire - que depuis peu - sur 20 % de l’assiette.
Les vrais gagnants étant plutôt les contractuels, mais vu
leur statut, c’est une autre histoire.
La liste des lamentations étant complète, à tort ou à
raison, un package de mesurettes compensatrices a été sorti du chapeau :
- Monétarisation des RTT avec capacité d’avoir en euros
l’équivalent des jours ouvrés. Cette disposition, bien qu’on puisse la
comprendre, ouvre une brèche dans les 35 heures en offrant à ceux qui bénéficient de
RTT la capacité de revenir aux 39 heures sous couvert d’une rémunération. Cela serait
audible si derrière ne se cachait pas la tendance lourde - que ceux qui
n’auront pas de RTT seront rapidement tenté de mettre en avant - de remettre
tout le monde à la même enseigne... à 39 heures ou plus. Par ailleurs, on imagine
bien que le temps partiel est bien heureux de savoir que celui qui peut avoir
des RTT peut en plus se les faire payer... suivant son statut : en effet la
valeur du temps n’est pas la même pour tous.
Ainsi un cadre A pourra se voir rétribuer 125 € par journée
(non imposée et majorée qui plus est !) ce qui risque non seulement de se
traduire par une vraie aubaine pour certains, mais en plus par un poids
financier supplémentaire sur la masse salariale... au profit des employés déjà
en place : cela ne va pas inciter à l’embauche.
- Défiscalisation de la part des charges salariales et
réévaluation des majorations (réduites en 2004 sous Fillon, il faut le
souligner) des heures supplémentaires. Outre la complexité « niche à excès »,
il y a là aussi les entreprises qui joueront le jeu et celles qui ne changeront
pas leurs manières de faire. Quant au mythe des heures sup’ payés dans le public
comme dans le privé, c’est une illusion : les employeurs ne paient déjà pas les
heures supplémentaires.
Pour le salarié, une entreprise qui ne paie pas les heures
supplémentaires ne les paiera pas plus - même avec l’incitation - et préférera
la prime à la production... nécessitant que l’employé bosse plus à « blanc »
en jouant sur l’espoir que celui-ci a de décrocher sa prime de chiffre.
Dépendant des employeurs, on offre à ces derniers une « compensation heure
supplémentaire » qui ne ramènera rien dans les caisses de l’État, mais qui en
plus bénéficiera plus aux « grosse boîtes » susceptibles de les mettre en place
vu leur complexité.
- Indexation des prix du loyer sur l’inflation ce qui était
déjà partiellement pris en compte par le précédent indicateur.
- Cautionnement du loyer à 1 mois ce qui n’est pas mal, mais
risque de « refroidir » les propriétaires dans certains cas : ne critiquons
pas, c’est peut-être la moins pire des dispositions.
- Primes annuelles défiscalisées dans des cadres encore «
flottants ». Outre le fait que tout le monde n’a pas de 13e mois, la
défiscalisation risque de coûter cher à l’État au profit des entreprises qui ne
donneront pas plus à leurs employés, mais auront moins à débourser. Ceci dit, ce
que perd l’État d’une main il faudra bien le reprendre de l’autre...
- Majoration des heures ouvrées le dimanche et hausse du
contingent de dimanche ouvré dans l’année. Seconde entorse majeure au droit du
travail en faveur d’une banalisation d’un jour préservé dans la vie des
familles. Si pour l’étudiant le dimanche « double » a du sens, pour la famille
ou la personne qui doit faire garder ses enfants, le samedi était déjà
difficile, le dimanche sera pire. Plus encore, cette brèche risque d’entraîner
une partie de la société à se fragiliser vers une « ouvrabilité 7/7 » puisque
seuls certains secteurs seront ouvrés le dimanche sans parler du fait que ce
sont toujours les employeurs qui ont le choix. Alors celui qui ne viendra pas
avec le sourire le dimanche pourra oublier sa promotion...
Bien. La liste est balayée.
Mais quoi de vraiment dimensionnant pour le Français moyen ?
On constate plus une liste de colmatages à géométrie
variable, bénéficiant plutôt aux cadres et aux employés bien en place et à la
marge à certaines catégories qui, ponctuellement, y voient un avantage.
Globalement, ces dispositions fragilisent le recours à de
nouveaux emplois en privilégiant la piste des « bons » travailleurs. Comme à
l’accoutumé, le prisme présidentiel se résume trop à promouvoir les élites
plutôt qu’à soutenir la moyenne et à relever globalement le niveau. Ainsi, une boîte
de SSII devant faire appel à un nouvel ingénieur privilégiera les RTT rémunérées
et autres heures au profit de son cadre « tout-terrain » plutôt que d’employer
un nouveau salarié : ces dispositions confortent les gens en place.
Travailler plus pour payer plus
Le volontarisme de ces dispositions ne serait pas aussi
contestable si l’on s’était donné au préalable les moyens d’agir sur les
vecteurs dimensionnant de la vie quotidienne des Français.
La hausse des énergies (pétrole, gaz, électricité) complétée
aux hausses de l’immobilier grèvent considérablement les salaires, et plus
particulièrement des tranches basses qui constituent le gros des troupes.
Si certains bénéficient de la manne, la grande majorité
subit une érosion de pouvoir d’achat en voyant ses dépenses incompressibles se
réévaluer. Même si la nourriture augmente, les principaux volumes haussiers que
sont le loyer, les énergies, le transport, les assurances, les impôts (tous
cumulés) croissent à des rythmes plus soutenus que l’inflation d’une part, et
encore plus soutenus que l’évolution des salaires.
La sous-pondération des revenus du travail en comparaison à
ceux issus du patrimoine - on n’a jamais autant parlé des retraités et des
rentiers - ne fait qu’alimenter la machine à déprime pour celui qui se lève tôt
et gagne peu voire pas assez.
Les mesurettes aideront peut-être certains, ponctuellement
ou à la marge, mais cela ne doit pas laisser entrevoir une brèche majeure dans
la durée légale du travail et plus encore la précarité actuelle d’une frange de
plus en plus large de Français. Ce n’est pas que le pays manque d’argent, loin
de là, mais que l’on porte le regard sur les mauvais leviers : travailler mieux
pour gagner plus, c’est possible.
Actuellement les 2 seuls leviers « homogènes et progressifs
» sur la population sont l’impôt et les salaires. Par conséquent, c’est ici que
se trouve la solution, celle de fond.
En complément il existe des postes « majeurs » en volume
qu’il est nécessaire de calmer quant à l’évolution du coût, quitte à proposer
de nouveaux systèmes de références comme vis-à-vis de l’énergie, du transport
ou de la construction. On ajoutera à ces éléments la « relation au travail »
dont les faiblesses du management à la française sont loin d’être négligeables
:
1. La feuille de paie est aujourd’hui trop faible, lestée
par une quantité de prélèvements qui, additionnés, coûtent trop chers aux
employeurs (qui compensent par des aides aux entreprises inefficaces et inégales)
et surtout aux employés.
S’il fallait donner des marges de manœuvre aux salaires ce
serait clairement sur les charges SALARIALES (CSG et Contribution de
rétribution à la dette sociale (CRDS : ça ne s’invente pas)). Les salariés
paient tous les mois une partie de leurs salaires à des impôts qui pourraient
et devraient être moins élevés.
Si l’Etat gérait mieux sa dette, ses dépenses, ses cadeaux,
ses effectifs et ses missions, il serait possible de se « passer » de la CSG et
de la CRDS au profit des salariés. En dégageant par exemple les tranches de
salaires jusqu’à 3 000 €/brut/mois on pourrait créer une CSG/CRDS uniquement sur
les hauts salaires afin de tirer vers le haut les bas salaires, puis les
moyens, puis les hauts à terme.
Parallèlement, les cotisations à l’URSAFF comme à la SECU
pourraient elles aussi se tasser si l’on arrêtait de donner aux médecins et
autres des prises en charges, allègements et autres. En déshabillant les fiches
de paie, l’Etat fait de l’interventionnisme - comble pour des libéraux de
façade - à contre-emploi pour habiller l’utilité de certaines politiques voire
de certains politiciens : l’inutilité et la distorsion de concurrence se paient
chères en France.
Quant aux cotisations aux mutuelles complémentaires,
celles-ci ne seraient pas si élevées si l’on avait pas laissé les opticiens et
autres dentistes pratiquer des prix prohibitifs en fermant les yeux et la
bouche.
Cette feuille de paie est d’autant plus faible qu’elle porte
à elle seule, et surtout celle du privé, le poids du pays. Si elle ne tient pas
le choc face aux hausses multiples et variées, et particulièrement face à celles
issus des velléités des possesseurs de patrimoine dont le revenu est
exponentiel, l’Etat doit assurer son rôle régalien et calmer les excès du
marché (exemple de l’immobilier).
Bilan : l’Etat ne joue non seulement pas son rôle, mais pire
encore, il agit là où il ne le devrait pas. On peut toujours continuer dans la
rustine, cela ne rendra pas la compétitivité aux entreprises. Quant à tirer sur
la corde, on risque de voir plus d’arrêts de travail que de gains à «
travailler plus pour payer plus ».
La logique productiviste du XIXe est dépassée : dans la
compétition mondiale il ne s’agit pas tant de travailler beaucoup que de
travailler mieux avec des rendus meilleurs que le voisin.
Si on veut alléger le coût du travail, il faut réduire la
pression fiscale sur les salaires (et donc sur le coût employeur) ce qui
revient à dire agir sur l’organisation de l’Etat et de la sphère publique. Il
ne s’agit pas là de réduire le nombre de fonctionnaires pour faire du chiffre,
mais plutôt d’optimiser leurs affectations là où il en faut (banlieue,
hôpitaux, justice...) et supprimer les strates qui en ont trop (FPE, FPT,
parapublic, associations de mission public...) sans a priori idéologique. On
rationalise point.
2. L’impôt en France est particulièrement inégal et non
progressif.
Les exonérations des uns se paient au prix fort par les
autres.
Le gruyère de l’impôt sur le revenu est caractéristique
d’une société qui peut se permettre de taxer 200 € une maison sur bord de mer en
termes de TH et demander 2 000 € de TH à un célibataire de banlieue parisienne
parce que les assiettes n’ont jamais été corrigées.
Cet exemple peut être démultiplié à l’infini compte tenu du
nombre de dispositifs, aussi nombreux que les ministres depuis cinquante ans, et
jamais remis à plat.
L’illisibilité fiscale est accroissement proportionnelle à la
productivité législative : plus on place de juristes/avocats à la tête de
l’Etat, plus on pond des textes, plus on crée des effets combinatoires imprévus
et plus on engage des niches fiscales ainsi que l’insécurité juridique. La
profusion de textes contradictoires aboutit à terme à une illisibilité
kafkaienne où mêmes les esprits les plus avisés viennent à ne plus rien
comprendre.
La conséquence immédiate du détachement au terrain, entre le
réglementaire, le décret d’application et la mise en application concrète, est
d’engendrer un système irrationnel où celui qui a peu n’est pas forcément celui
qui contribue le moins.
Certains paient donc pour que d’autres puissent jouir
d’avantages. En combinatoire, il y a donc ceux qui ont la feuille de paie, la
taille de l’entreprise et la subtilité fiscale qui entrent dans les cases et
ceux qui ne l’ont pas.
Rien à voir avec la méritocratie, encore moins avec la compétence : les règles du jeu sont pipées et l’on fait
croire à la plèbe que le pain que l’on lance répondra après le spectacle à la
faim de tous les jours.
L’argent, il existe. On vous le dit puisqu’Areva, Airbus et
EADS ont des grosses commandes. Mais où va cet argent ? A l’UIMM, Lagardère,
Bouygues, Johnny, Zacharias... sans aucun doute. Mais pire encore, il ne reste
pas dans le pays et bénéficie au final à un nombre restreint de mains. Cette
mécanique s’appuie sur 2 leviers forts :
- la faiblesse des Etats à réguler des entreprises
mondialisées qui échappent à tout contrôle ;
- la faiblesse de l’Etat français en particulier à dissocier
sphère public et privé, exposant l’argent public aux convoitises du privé. Ce
dernier est alors utilisé pour concentrer les bénéfices (sans vouloir faire une
fixette sur le CAC40, la moitié des entreprises sont les premiers prestataires
de service public/commande publique : Veolia, Bouygues, Vinci, Dexia, Suez ...)
et mutualiser les pertes comme dans les cas Crédit lyonnais ou Executive Life.
3. La culture du management doit changer vers un management
des compétences
Pour cesser de dilapider les énergies et les talents, il est
grand temps d’inclure des formations de « gestion d’équipes » dans les
formations initiales et continues des cadres.
L’incapacité des uns à savoir gérer une équipe ou des autres
à savoir se positionner clairement sur des objectifs est un mal très
franco-franchouillard : à force d’avoir peur de décider et surtout d’être dans
une féodalité qui ne dit pas son nom (celui qui décide est-il le dernier
maillon de responsabilité ?) on finit par alourdir tous les mécanismes de choix
et donc d’efficacité.
Dans le public, ce mal est prononcé à l’extrême dans les
circuits de signature, mais, dans le privé, la fragilité de certaines délégations
de responsabilité n’a rien à envier avec les pires non-décisions du public...
Quant à la gestion des individus, lorsqu’il s’agit de
reconnaître des valeurs ou bien de s’informer des situations de vie pour
optimiser le « moral des troupes », on préfère malheureusement bien trop
souvent s’en tenir à une gestion carriériste auto-centrée où les problèmes sont
à fuir même s’ils sont le contenu de tous les jours des vrais managers
d’équipe. En plus, si l’on peut critiquer celui qui fait...
La reconnaissance des compétences ainsi que de nouveaux
systèmes de « méritocratie » doivent voir le jour : on peut imaginer la
notation inversée des troupes envers leurs cadres ou bien même encore de
nouveaux mécanismes d’attribution de primes.
L’innovation en matière de management est à imaginer : la
France perd trop d’énergie à mettre à l’écart ceux qui « sortent du moule »
pour s’enliser dans le culte du moule de la médiocrité.
Le grand écart entre les discours et les actes
D’un côté, on laisse courir les pertes colossales de volume.
De l’autre, on cherche à remettre plus de temps de travail dans le temps des Français.
D’un côté, on occulte de faire le ménage là où ça fait mal.
De l’autre, on veut tirer sur la machine à produire pour tirer encore un peu de
mou, comme pour finir le Paic citron.
- Structurellement,
les réformes n’ont toujours pas été engagées.
- Ethiquement, les axes de force sont à l’inverse du
principe de réalité.
- Economiquement, la réponse à l’urgence est en efficacité
inversement proportionnelle à la gestion pour le long terme.
- Financièrement, la correction du trou béant est oublié en
faveur d’une dangereuse fuite en avant qui pénalise l’investissement national
au profit des intérêts d’emprunts, et donc des banques.
- Socialement, les crises de fond comme celles du travail,
de la qualité de celui-ci ou même des banlieues et des étudiants, aucune mesure
déterminante n’a été prise.
- Culturellement, la poursuite de logiques à l’encontre du
bon sens comme les lois DADVSI et « chasse aux pirates », la course à la
sécurité vidéo ou l’appauvrissement de la diversité sont autant de menaces sur
notre compétitivité.
- Mondialement, nos frasques avec la Lybie, le Tchad, la
Colombie et les Etats-Unis n’ont pas tendance à rehausser l’image déjà écornée de la
France après 2005.
Alors oui, on peut se poser la question : « Travailler plus
: pour faire ça ?! »
Quand l’Etat s’appliquera à lui-même les conseils qu’il
dispense,
Quand l’Etat sera humble, rationnel, rigoureux et stratège,
Quand l’Etat et son plus haut représentant donneront
l’exemple,
Alors, et seulement alors, on pourra discuter.
En attendant, coller des rustines sur un modèle inégal,
injuste et défaillant est, pour ma part, sans avenir.
34 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON