Ultra-libéralisme à la sauce verte
Au bout de six mois de gouvernance de Sarkozy, que voit-on ? Des mises en place de "chantiers" où des experts sont appelés à réfléchir et à formuler des propositions sur l’écologie d’une part (Grenelle de l’environnement) et sur l’économie d’autre part (Commission pour la libération de la croissance française). Ces propositions sont débattues avec l’opinion publique. Au prime abord, on ne peut que louer cette démarche de réflexion et de concertation, cette ouverture, cette transparence... Mais regardons de plus près.
Le Grenelle de l’environnement a été instauré à la demande des associations qui tirent la sonnette d’alarme sur la gravité de la situation écologique. Ainsi, s’installent autour de la table des représentants de l’État, des collectivités territoriales, des employeurs, des salariés et des ONG. Ils "négocient" le climat, la biodiversité et les ressources naturelles, la santé, la production et la consommation, la gouvernance, la compétitivité et l’emploi. Bien entendu, il n’était pas pensable de parler d’écologie sans voir comment s’y inscrit une croissance économique. Cela va de soit, car si Sarkozy occupe son siège de président, c’est bien parce que son projet de "relance économique" de la France a su convaincre le plus grand nombre d’électeurs.
Poser la question de la compatibilité entre protection de l’environnement et croissance économique semble inadéquat. Interroger sur la part de responsabilité du mode de vie et de développement induits par l’économie de marché semble hors sujet. Cette responsabilité porte bien au-delà de la situation écologique, elle est indissociable de la question sociale. Le libéralisme, la quête de profit à tout prix et par tout moyen, conduit non seulement à la destruction de nos ressources naturelles, mais aussi vers des inégalités sociales de plus en plus contrastées. Ce Grenelle aboutira donc à des propositions consensuelles qui seront adoptées ou non par un gouvernement dont la priorité, disons même l’idéologie, reste celle de l’économie néolibérale dans un système productiviste.
Preuve en est : en même temps que la concertation au sujet de l’écologie bat son plein, la « Commission pour la libération de la croissance française » planche sur les moyens d’assurer une meilleure insertion de la France dans l’économie mondiale et européenne. Là, en revanche, on ne voit vraiment pas ce que l’écologie viendrait y faire... Pas un seul membre de la commission ne représente les questions environnementales, ni même le sacro-saint "développement durable" qui permet à tant d’entreprises de croître avec une conscience tranquille ! Non, il est question purement et durement de compétitivité. Parmi les premières idées qui émergent de cette Commission, il s’agirait de se débarrasser de deux "obstacles" au développement économique : les lois représentant une entrave à la liberté tarifaire dans la distribution et le principe de précaution qui serait un frein au progrès.
Analysons.
1 - Au nom du pouvoir d’achat.
L’augmentation du pouvoir d’achat permettrait de relancer la consommation, et ainsi de faire croître la production, qui, en théorie, développerait l’emploi et donc le pouvoir d’achat, et la boucle est bouclée (ou plutôt s’élève dans une spirale infiniment ascendante). Mais en pratique, la production est de plus en plus délocalisée ou mécanisée. La grande distribution cause la disparition des commerces de proximité, des petits producteurs locaux et de la paysannerie. Au nom de la croissance, ils sont définitivement condamnés à l’extinction. On va permettre aux riches de s’enrichir encore plus tandis que la population s’appauvrit, élargit les rangs des chômeurs, et est condamnée à se soumettre à l’idéologie des bas prix des hypermarchés qui revendiquent la "défense de son pouvoir d’achat"... et la boucle poursuit sa descente aux enfers. À ce rythme, la carence de charges sociales et d’impôts dans les caisses de l’État conduirait peut-être à pousser le raisonnement jusqu’au bout en privatisant les retraites, la protection sociale, l’éducation et l’ensemble des services publics... qui ne seront bien entendu réservés qu’aux plus solvables.
- Au nom de la machine progrès.
La Commission considère que le principe de précaution est un frein majeur à la croissance et qu’il devrait être retiré de la Constitution. Ce principe, qui affirme que des mesures doivent être prises lorsqu’il existe des raisons suffisantes de croire qu’une activité ou un produit risque de causer des dommages graves et irréversibles à la santé ou à l’environnement, est accusé d’immobilisme par ses détracteurs. Mais ce principe est un des trop rares garde-fous qui empêcherait les industriels à nous entraîner dans leur fuite en avant, commercialisant des produits chimiques, des OGM, des nanotechnologies, etc., sans discernement ni responsabilité. Les citoyens sont-ils prêts à courir un risque, voire à payer de leur santé et de l’environnement, pour qu’une poignée d’industriels se remplissent les poches ?
Depuis quelques années, on en est conscient : nous vivons dans un monde "fini". Cela ne signifie pas un monde "foutu", mais un monde dont les ressources sont tout simplement limitées, et il se trouve que de nombreuses limites ont déjà été atteintes. Dans un monde fini, les uns s’enrichissent forcément au détriment des autres. Lorsque certains se goinfrent à s’en rendre malade, ailleurs, des millions crèvent de faim ; lorsque certains remplissent leurs piscines et arrosent leurs terrains de golf, ailleurs, des millions se déshydratent gravement et voient leurs terres s’assécher ; lorsque certains ne savent plus se passer de leur voiture et s’entassent dans les embouteillages, ailleurs, des millions deviennent des réfugiés climatiques ; lorsque certains vivent "confortablement" dans un quotidien géré par des équipements électriques, plus tard, des millions se retrouvent avec des fûts de déchets radioactifs enfouis sous leurs pieds... etc., etc. Mais, il ne faut pas croire qu’un équilibre s’instaure entre ceux qui surconsomment et ceux qui sont démunis. L’humanité consomme déjà 25 % de ressources naturelles de plus que ce que la Terre ne régénère, ce qui veut dire que nous consumons notre planète, un peu comme si elle était jetable.
Alors la relance tant espérée de la croissance économique en France sera faite au détriment de qui ? Du tiers-monde ? Des classes ouvrières ? Des pauvres ? De la biodiversité ? Des générations à venir ?
Quelle peut être la portée de mesures envisagées pour la protection de l’environnement lorsqu’elles découlent d’un consensus accompli pour ne pas froisser et encore moins pénaliser les pollueurs et les exploitants ? Aux mesures contraignantes ou fiscales proposées au Grenelle par les ONG, le Medef et des syndicats préfèrent entendre parler d’incitation, d’autorégulation et de restriction des taxes pour ne pas compromettre la productivité et la compétitivité des entreprises. En d’autres termes, le statu quo.
La notion d’écologie est en train d’être récupérée par un gouvernement qui agit avec un quinquennat pour horizon et qui compte stimuler encore davantage la concurrence du marché et le profit des plus "méritants" en imposant aux citoyens un rapport consumériste avec l’environnement. L’écologie est même portée au rang de "nouveau moteur pour la croissance". À aucun moment, la croissance n’est remise en cause.
Les écologistes sont souvent considérés comme étant "extrémistes", mais les voies empruntées par notre gouvernement, entre volontarisme économique et "greenwashing", témoignent d’un véritable intégrisme ultra-libéral qui ne peut trouver de justification dans un monde qui a tant besoin de volontarisme écologique et social.
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