UMP : Juppé-Sarkozy, la guerre des deux droites peut maintenant commencer
Traditionnelle contre décomplexée : qui va gagner ?
Ce dernier 22 novembre a été épique : deux ténors de la droite, Nicolas Sarkozy l'ancien président et Alain Juppé l'ancien premier ministre, tous deux candidats (l'un officieusement, l'autre officiellement) à la primaire de l'UMP pour les élections de 2017, réunis ensemble sur la terre du second : Bordeaux, où Juppé a été réelu triomphalement dès le premier tour, avec 60.97 % des voix : une performance rare pour un homme qui dirige une ville depuis vingt ans. Accueillir ainsi son rival dans son fief était sans doute un signe d'apaisement et de rassemblement pour Alain Juppé, mais cette initiative généreuse a tourné au cauchemar. L'image est incroyable : Juppé, l'un des hommes politiques les plus respectés de la classe politique française au-delà même de la droite, hué par des militants sarkozystes surexcités, alors qu'il fait la promotion d'un grand rassemblement de la droite et du centre. Mais le triomphe de Sarkozy (qui peine à cacher un rictus très "iznogoudien") ne fait pas long feu : en effet, son rival réussit à retourner la situation en improvisant une phrase incroyable lancé sur un ton très autoritaire alors qu'il est placé en minorité par la salle :
Je répète : l'UMP a été constituée sur la base de la droite et du centre. Je continuerai à le dire [...] Vous me connaissez, et je ne me laisse pas pour ma part impressionner par des mouvements de foule !
Magnifique retournement de situation pour le rusé maire de Bordeaux, qui réussit par cette pirouette à amplifier son image d'homme d'Etat, et à appuyer là où ça fait mal : en effet, Sarkozy, "pour sa part", avait été pris en flagrant délit de faiblesse, quelques jours auparavant, en cédant sur la question du mariage pour tous devant des militants de droite catho déchainés.
Ce samedi mouvementé est révélateur de la bataille implacable entre deux droites, représentées l'une par Nicolas Sarkozy et l'autre par Alain Juppé.
Commençons par la droite dite "décomplexée", "conservatrice", "dure" voire "extrême". Elle a connu quelques éphémères moments de gloire à chaque fois que le FN a monté dans les années 90 notamment, avant de ressurgir au début des années 2000 avec l'arrivée tonitruante sur la scène politique de Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l'Intérieur très critiqué. Cette droite décomplexée s'est peu à peu imposée jusqu'à l'arrivée à la présidence de la République de M. Sarkozy en 2007, où elle s'est installée définitivement dans la vie politique. Pour preuve : même après le vrai-faux départ de Sarkozy, elle est resté très présente à l'UMP, notamment par l'intermédiaire de la Manif pour tous. Aujourd'hui, elle semble majoritaire chez les militants du parti : on peut le voir au triomphe (terne, certes, mais tout de même triomphe) de l'ancien chef de l'Etat à la présidence de l'UMP, avec près de 65 % des voix dès le premier tour. Lorsque l'on élargit le point de vue aux simples sympathisants de l'UMP (autrement dit, ceux qui votent UMP aux élections sans avoir de cartes pour autant), il semble toujours majoritaire, mais est tout de même rejeté par la moitié des interrogés. On peut dire que cette droite-là est dirigée par Nicolas Sarkozy, et représentée par des gens comme Jean-François Copé (l'homme aux pains au chocolat), Nadine Morano (obsédée par les burqas et déplorant la présence de femmes voilées sur les plages françaises), Laurent Wauquiez (le fils spirituel du très très droitier Patrick Buisson) et Brice Hortefeux (le tristement célèbre Ministre de l'Identité nationale et de l'Immigration), ainsi que pour un certain nombre de cadres de l'UMP. Cette droite-là, préocuppée par des problèmes très "frontistes" (l'immigration, l'UE, le souverainisme, la laïcité) se reconnait essentiellement par son opposition au mariage pour tous ainsi que pour son attirance, souvent à peine dissimulée, par Marine Le Pen (une certaine partie de ces gens préfèrent d'ailleurs parler de Rassemblement bleu Marine plutôt que de Front national) et pour Eric Zemmour.
L'autre droite, dite "traditionnelle", 'modérée", "républicaine" et parfois appelée le "centre droit" se construit surtout sur l'héritage des anciens présidents de droite à l'exception de Sarkozy, étant repoussée par la lepénisation de celui-ci. Elle revendique notamment les talents de rassembleur, d'humanisme et d'apaisement de Jacques Chirac, ainsi que l'héritage politique du Général de Gaulle (elle est ainsi souvent qualifiée de "chiraquienne" ou de "gaulliste", même si ce dernier terme est parfois perverti par des souverainistes du FN). Elle est pro-UE, pro-OTAN, assez ouvertes aux questions sociétales (tels que le mariage pour tous) et populaire dans l'opinion publique, même à gauche. Elle est représentée, aujourd'hui, principalement par Alain Juppé, qui traverse une période de grâce sondagière et de hype médiatique qui semble lui augurer un encore bel avenir (aux plus hautes fonctions du pays ?), ainsi qu'une possible victoire aux primaires UMP au cas où le centre participerait. Les principaux représentants de cette droite sont, paradoxalement, assez jeunes et aiment parler de "renouveau" : Bruno Le Maire, fort de ses 30 % à la présidence de l'UMP alors qu'il était parti de rien, ainsi que Nathalie Kosciusko-Morizet, dont on ne comprend pas très bien l'obstination à vouloir soutenir Sarkozy vu leur différence de ligne (d'ailleurs, il semblerait qu'il y ait de plus en plus de l'eau dans le gaz entre les deux). Une partie des "anciens" de la droite préfèrent cette jeune genération ainsi que leur aîné bordelais : Jean-Pierre Raffarin par exemple, ou même le désormais très discret Jacques Chirac.
On peut éventuellement rajouter quelques personnalités qui restent dans le flou, c'est à dire qu'ils ont un programme de droite "dure" mais ne semblent pas aussi obsédés par les thèses marinistes que la droite décomplexée, tels que François Fillon ou Henri Guaino.
La rivalité entre ces deux droites semble avoir commencé avec ces huées à Bordeaux, et le pire attend l'UMP désormais : avec l'accession déjà prévue de Marine Le Pen au second tour en 2017, la droite doit tout faire pour éviter de se faire brûler la politesse par un PS qui n'est pas sûr de vaincre l'ascension frontiste. Et pour cela, il va falloir trancher entre ces deux lignes, faire le choix entre les deux candidats qui semblent le mieux placé pour gagner l'élection de 2017 : Sarkozy et Juppé (il serait étonnant qu'une troisième personnalité réussisse à s'imposer face à eux deux, mais tout est possible). La primaire de 2016 verra donc s'affronter ces deux lignes : le conservatisme représenté par un ancien chef de l'Etat qui tente de faire oublier les raisons de sa défaite en 2012, et la modération et le talent de rassembleur d'un vétéran de la droite, dont les Français semblent s'accorder sur son honnêteté, sa compétence et sa sympathie. Ces primaires de 2016 s'annoncent donc passionantes, mais un point semble désigner d'avance le vainqueur du scrutin : la participation ou non de l'UDI et du MoDem à ce scrutin. Si ces partis participent, Juppé devrait être favori ; sinon, ce sera très probablement Sarkozy. Attendons donc la suite de ce duel pour voir qui des deux sera sans aucun doute le prochain chef de l'Etat...
33 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON