Un débat crispé mais convenable
L’exercice est difficile, voire périlleux, car la charte éthique des Primaires impose aux candidats de demeurer le plus fraternel possible.
Les candidats doivent se démarquer tout en préservant un sentiment général d’unité.
Chacun doit s’efforcer de laisser une bonne impression générale afin de ne pas passer pour un diviseur ou pour le « maillon faible » (la disposition des pupitres des candidats rappelait en effet un peu le décor du célèbre jeu télévisé).
Cette impression générale, ce n’est rien d’autre que la « crédibilité » de celle ou celui qui postule à la magistrature suprême. Autrement dit celle ou celui qui remportera l’investiture socialiste le soir du 16 octobre 2011 sera celle ou celui qui aura été jugé le meilleur et le plus crédible pour redresser le pays après dix années de droite au pouvoir dont cinq de sarkozysme. Les problèmes politiques, économiques, sociaux, diplomatiques et environnementaux sont nombreux et complexes.
L’exercice est d’autant plus difficile que les six candidats doivent s’exprimer en respectant le temps de parole qui leur est imparti.
Dans ces conditions, on ne peut malheureusement qu’effleurer les thèmes abordés : pouvoir d’achat, emploi, lutte contre les déficits publics, les inégalités et le chômage, lutte contre la délinquance, Europe, mondialisation, nucléaire et nouvelles énergies, etc. On ne peut pas entrer dans les détails.
Ce fut donc plus un grand oral austère qu’un débat politique vif et enthousiasmant.
A certains moments, on se serait même cru à l’oral d’un concours d’une grande école.
Ce qui est sûr, c’est que l’émission ne restera pas dans les annales de la télévision française.
Mais pouvait-il en être autrement compte tenu des contraintes que je viens d’évoquer ? Non.
Globalement tous les candidats se sont bien accommodés du cadre général de l’émission si bien qu’il est impossible de dire à ce stade que l’un d’entre eux a été le « meilleur » même si tout un tas de brillants experts vous expliqueront peut-être que ce débat a été décisif et a immanquablement révélé le futur vainqueur des Primaires, voire le futur président de la République.
Pour ma part, je suis satisfait de la prestation de Ségolène Royal qui a su judicieusement rester en retrait des duels à fleurets mouchetés entre Montebourg et Valls d’une part (les « petits candidats » faisant office d’outsiders), et Hollande et Aubry d’autre part (les « gros candidats » du moment).
Si elle s’était immiscée dans ces petits débats croisés, il n’est pas sûr qu’elle aurait tiré son épingle du jeu. Elle aurait pris le risque inconsidéré de favoriser la cacophonie et de s’y embourber. Elle serait passée pour une candidate qui divise ou qui passe son temps à faire des coups d’éclat (on le lui a assez reproché).
Fidèle à sa ligne d’action, elle a donc simplement martelé ses propositions tout en évitant donc la confrontation directe à laquelle les journalistes ont voulu la contraindre à plusieurs reprises (ex : sur l’expérience que doit avoir un candidat à la présidence de la République, sur les alliances politiques ; elle a pris soin de garder prudemment le silence au sujet de DSK, etc.).
Ségolène Royal a donc laissé Arnaud Montebourg et Manuel Valls à leurs abstractions idéologiques.
Montebourg a ainsi longuement disserté sur sa capacité à remettre en cause le système et à prendre des mesures énergiques à la seule force de ses petits bras musclés tandis que Valls a voulu se poser, une fois de plus, en candidat pragmatique au point de se réclamer à la fois de Pierre Mendès-France et Dominique Strauss-Kahn. Je n’ai pas compris l’utilité de l’hommage rendu à Sarkozy par Valls au sujet de la Libye. Pourquoi n’a-t-il pas rappelé que le Président de la République avait reçu le colonel Kadhafi en grandes pompes à Paris en décembre 2007 ? Certes, l’intervention en Libye a été une réussite (même s’il y a encore des combats dans ce pays), mais cette opération aurait très bien pu être un fiasco et, que je sache, nos troupes sont toujours dans le bourbier afghan (sans compter le nombre croissant de nos soldats blessés ou tués). Passons.
Ségolène Royal a également laissé Jean-Michel Baylet à ses monologues sur le radicalisme de grand-papa (celui-ci d’ailleurs est apparu dans ce débat comme un OVNI ; sans la présence de Joly et Mélenchon, la participation de Baylet n’avait pas grand sens).
Ségolène Royal a enfin laissé à Martine Aubry et à François Hollande le soin d’étaler devant la France entière leur profonde mésentente (c’est un euphémisme, car ces deux-là en réalité ne peuvent vraiment pas se sentir… En Avignon, l’été dernier, ils ont d’ailleurs passé leur temps à s’éviter pour ne pas devoir s’embrasser devant les caméras).
Hollande, lui, a voulu casser son image de personnage mou, indécis et inexpérimenté. Il a affirmé que Lionel Jospin l’avait associé à toutes ses prises de décision entre 1997 et 2002 (ce qui semble avoir déclenché la moue dubitative et narquoise de Martine Aubry). Conforté actuellement par de bons sondages, il s’est montré dominateur comme le sont parfois les bons élèves quand ils adoptent un ton professoral avec leurs petits camarades (ex : sur le nucléaire, sur les objectifs de croissance). Dominateur mais fébrile au point d’en devenir presque agressif et hautain.
Visiblement agacée par le changement de style de François Hollande et désireuse de relancer sa campagne, Martine Aubry s’est payée le luxe de tailler en pièces la proposition phare de l’élu corrézien (le fameux contrat entre les générations) dont elle a souligné le coût exorbitant en ces temps de crise et rappelé, sur la base de sa propre expérience au ministère du travail, qu’il ne marchait pas (cette mesure crée une incitation fiscale, donc un simple effet d’aubaine limité dans le temps et donc inefficace). Ce fut d’ailleurs pour moi l’un des rares temps forts de l’émission.
Qu’en conclure ?
Pour l’instant, pas grand-chose à vrai dire.
L’atmosphère de l’émission était tendue et les prises de parole corsetées par le chronomètre.
Tous les candidats étaient crispés. Ils se sont observés et jaugés, visiblement soucieux de ne pas faire un faux pas et de ne pas s’emporter, le tout sous les yeux de journalistes médiocres qui attendaient sans doute un coup de théâtre, voire des propos assassins.
Malgré certaines nuances exprimées, le sentiment d’unité a été préservé et tous les candidats ont rappelé qu’ils n’avaient qu’un seul adversaire : Nicolas Sarkozy et la majorité UMP-Nouveau Centre.
C’est probablement l’essentiel pour les militants socialistes durement éprouvés par des années de tensions internes, mais il n’est pas sûr que ce consensus (de façade ?) suscite l’enthousiasme des Français et favorise une participation massive aux Primaires.
Cependant, je reste persuadé que si des affrontements musclés entre les candidats avaient eu lieu durant l’émission, ceux-ci auraient certainement eu des effets dévastateurs et démobilisateurs.
Nous verrons bien.
En tous les cas, les candidats ont jusqu’aux 9 et 16 octobre pour convaincre un maximum de citoyens à participer à la désignation du candidat socialiste.
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Article publié initialement sur Le Blog de Gabale
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