Un tract de la Banque populaire ose vendre la dépendance sous le masque de l’autonomie
Si, si, il existe aujourd’hui un public si peu éveillé qu’une banque peut se permettre de diffuser un tract proprement insensé, sans craindre le discrédit ! Vendre, sous le masque de l’autonomie, la dépendance, c’est bête, mais il fallait y songer !

« Vous avez toujours manifesté votre envie d’être autonome », applaudit la Banque populaire en saluant la volonté de son lecteur pour justement lui proposer, s’il a entre « 16 et 28 ans », de « faciliter le financement de (ses) projets et de (son) installation ».
Deux métonymies complémentaires
Une photo accompagne les slogans. On reconnaît en plan américain un adolescent « rebelle » à en juger, par intericonicité, à la façon de porter un peu de poils sous le nez et au menton , comme Che Guevara. En outre, sommairement vêtu d’un tee-shirt et d’un jean, il revient « manifestement » d’une « manif » avec sa petite pancarte. Il est censé symboliser le client type à qui s’adresse l’offre désintéressée. Deux métonymies livrent les pensées profondes du personnage : accoudé main ballante sur une pancarte retournée, le pauvre, il a l’air bien las de la brandir dans des manifs sans issue, bien que la victoire contre le CPE ne soit pas si loin. Mais, miracle ! Le sourire lui revient : c’est forcément celui de l’espoir retrouvé à l’annonce de la solution que la Banque populaire propose à ses problèmes.
Une contradiction
Seulement, il faut être quasi comateux pour ne pas être heurté de front par le paradoxe du message. Il y a « manifestement » une contradiction apparente entre, d’une part, ce leurre de la flatterie qui salue chez le lecteur le désir viscéral d’autonomie depuis « toujours » et, d’autre part, l’assujettissement auquel le voue nécessairement l’appel à souscrire un crédit, même maquillé par l’euphémisme philanthropique, « facilités de financement ». Qui ignore, à moins d’être abruti, que le remboursement d’un prêt avec ses intérêts implique des revenus réguliers qui, à leur tour, dépendent d’un travail fixe ? Plus question devant sa hiérarchie de « manifester son autonomie » et la liberté d’expression qui va avec, fût-ce pour améliorer ses conditions de travail ! Fini les grèves et les manifs d’un « autre âge » ! Au feu pancartes et banderoles ! Primes et avancement, si utiles pour rembourser un crédit, dépendent désormais uniquement d’une soumission aveugle. La Banque ne peut même pas se prévaloir d’être la solution cachée du paradoxe : c’est son prêt consenti qui enclenche cet état de dépendance puisqu’elle n’attend qu’une chose : être remboursée aux échéances fixées et, si besoin est, par la contrainte. Or, sans solution cachée, un paradoxe devient une contradiction.
Pulsion et inexpérience
Mais une banque n’est pas à ça près pour appâter le client et l’égarer. Il s’agit pour elle de faire croire à une classe d’âge de 16-28 ans, qui pourrait être rétive à obérer l’avenir, que désir d’autonomie et dépendance par le crédit font bon ménage. Deux propriétés de "la cible" visée, de nature à l’auto-aveugler, facilitent d’ailleurs ce mariage de l’eau et du feu.
- L’une est la pulsion qui soulève l’adolescent impatient de voler de ses propres ailes sans en avoir les moyens économiques. Dans le désert des frustrations adolescentes, la Banque populaire fait donc miroiter proprement un mirage, comme ces nappes d’eau qu’on voit scintiller sous un soleil de plomb en plein désert de pierraille : un crédit n’apparaît-il pas - mais oui ! faut-il être bête pour n’y avoir pas pensé avant ! - comme la solution idéale d’échapper enfin aux contraintes familiales qui brident ses désirs ? Ça a même tout l’air d’être la clé de leur satisfaction immédiate.
- La seconde donnée, qui permet de faire prendre des vessies pour des lanternes, est l’inexpérience de l’adolescent dont la banque ne craint pas d’abuser : peut-il déjà savoir, le drôle, qu’un crédit souscrit si tôt peut décider de sa vie future à son insu ? Il est bien loin, l’imbécile, de soupçonner qu’une fois mis le doigt dans l’engrenage, il y passera tout entier.
Comment douterait-il à cet instant que la chape hiérarchique, dans laquelle il s’insérera l’esprit léger, ne pourra être soulevée ensuite à sa guise comme il s’est affranchi de l’autorité familiale ?
Solution libéraliste et solution sociale collective
Cette représentation libéraliste de la vie offerte aux jeunes, invités à ne trouver que des solutions individuelles à leurs problèmes, s’oppose évidemment, comme le jour et la nuit, à la représentation du syndicat étudiant UNEF-ID qui, en 2000, menait une campagne fracassante en faveur de la « construction de logements pour les étudiants ». La pancarte, non plus retournée, mais brandie, exhibait un joli leurre d’appel sexuel, dans la joyeuse tradition de l’humour et de la farce carabins, pour livrer une métonymie tonitruante résumant à elle seule le problème : l’effet montré - un couple d’étudiants en pleine étreinte amoureuse entre père et mère dans le lit conjugal - renvoyait à la cause dénoncée, la pénurie de logements pour étudiants. Il n’était pas alors question de demander aux étudiants de souscrire des emprunts dont ils ne pouvaient assumer les charges sans risques inconsidérés, mais de demander à la collectivité d’investir pour améliorer les conditions de vie de sa jeunesse étudiante.
Conditions de vie, conditions de vie ?, objecteront de sourcilleux moralistes ! Incitation à la débauche, vous voulez dire ! Il est vrai que les deux images s’opposent aussi comme la mélancolie et la joie.
Les partisans de l’ordre libéraliste, on le voit, ne craignent plus désormais dans leurs campagnes publicitaires de discréditer l’action collective ni les solutions collectives qui nuisent à leurs objectifs, même quand un problème collectif ne saurait être réglé par des solutions individuelles. « Chacun pour soi », assènent-ils avec aplomb, même quand « tous pour un » serait la solution que dicte la raison. Paul Villach
Documents joints à cet article

45 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON