Une cryptomonnaie citoyenne pourrait-elle renverser le système ?
Inspiré des réflexions d'Etienne Chouard sur le thème « On fait quoi ? »
Constats préalables
Personne ne se satisfait du système dans lequel nous vivons, à part les 1% qui le façonnent.
A divers degrés, nous souhaiterions tous pouvoir le modifier ici et là.
Malheureusement, la fameuse proposition de Spinoza : « toute chose tend à persévérer dans son être » se vérifie ici parfaitement car le système actuel est d’une formidable inertie et ne cesse même d’accroître sa capacité à imposer ses objectifs de sorte que le citoyen voit bien l’impuissance à laquelle il se trouve réduit, et cela, surtout au plan politique.
En effet, comme dans la comédie des élections présidentielles étasuniennes qui font mine d’opposer deux partis pareillement soumis aux puissances d’argent, chacun peut constater que chez nous les majorités se suivent et se ressemblent en cela que d’un mandat à l’autre, rien ne change : la violence de la mondialisation se fait sentir toujours plus douloureusement, la situation économique et sociale s’aggrave, la crise s’accentue lentement mais sûrement.
Le hochet européen a fait long feu, il n’apparaît plus comme une solution d’avenir mais plutôt comme un problème vital pour des nations membres paralysées.
Nous avons surtout la conscience confuse mais de plus en plus ferme que le pouvoir nous ment constamment et que la psychose des politiciens et des médias quant aux théories du complot et des fake-news correspond avant tout à une peur panique que la vérité soit non seulement dite mais entendue ainsi qu’elle l’a été, par exemple, lorsqu’en 2005 Etienne Chouard a contribué à élever la conscience citoyenne en partageant ses réflexions sur le traité constitutionnel européen.
Le remplacement de ce dernier par le traité de Lisbonne ratifié en contradiction avec le vote populaire a parfaitement illustré l’idée nouvellement apparue que nous ne sommes pas et nous n’avons jamais été en démocratie. Nous sommes dans une « aristocratie élective » qui confine à la ploutocratie étant donné que, nous le constatons régulièrement, nos « élus » sont les laquais des puissances d’argent comme des lobbies de tous poils.
Face à ce tableau apocalyptique d’un Nouvel Ordre Mondial en marche (!) et inexorable, les personnes lucides recherchent désespérément une issue ou un moyen de dérailler cette machine monstrueuse avant la catastrophe qui avance sur l’horizon.
Elles cherchent donc des éclaireurs susceptibles d’indiquer des voies de passage vers une vallée plus heureuse.
Les candidats ne manquent pas. Internet regorge d’explications sur l’origine de la situation présente et nous n’avons, comme on dit, que l’embarras du choix.
Mais si nous retenons comme critère le fait de proposer une solution crédible pour renverser le système alors là, il n’y a quasiment plus personne.
Loin qu’il faille en faire reproche aux éclaireurs en question, il faut plutôt y voir un signe de leur sérieux et de leur honnêteté (tant qu’il est clair qu’on peut toujours trouver des exaltés du yaca faucon révolutionnaire).
De fait, les plus sérieux sont bien ceux qui se posent la question du « comment faire ? » et non pas ceux qui pensent l’avoir résolue sans voir qu’ils sont comme le lièvre de Zénon d’Elée qui ne peut jamais rattraper la tortue.
Des électoralistes
Parmi ces derniers, on trouve malheureusement Asselineau et l’UPR ainsi que ceux que j’appelle pour ma part les « électoralistes », c’est-à-dire, pour la plupart j’imagine, d’anciens fidèles de Chouard cherchant à instaurer une véritable démocratie via le processus électoral actuel. Les uns et les autres me paraissent comme le lièvre du paradoxe car le système est conçu pour qu’ils ne puissent réussir. Nul ne gagne actuellement une élection sans l’appui du pouvoir, j’entends par là cette sorte d’« état profond » qui, par l’entremise de réseaux occultes, met les politiciens et les médias au service des puissances d’argent. On a pu constater avec l’élection « miraculeuse » de Macron l’efficace de ce pouvoir et avec celle de Trump, l’exception fortunée à fort pouvoir médiatique qui confirme la règle.
Nous serons tous morts et enterrés avant que l’UPR n’accède aux responsabilités, si jamais il y accède. Car la mise en œuvre d’un processus électoral suppose une éducation des consciences, voire une évolution de la conscience collective et, donc, un processus d’autant plus lent que a) il s’opère au niveau de représentations sur lesquelles l’emprise du pouvoir médiatique reste exorbitante et b) les passages à l’acte électoral sont bien trop espacés dans le temps pour engendrer une dynamique populaire spontanée.
Autrement dit, pour rejoindre la logique mise en avant par Naomi Klein et qui constitue le b-a ba de l’ingénierie sociale, sans choc, sans événement particulier qui puisse engendrer un sursaut et amener le peuple à des révisions déchirantes qui se traduiraient par des actions collectives de grande envergure comme lors de révolutions, il n’y a, en l’état actuel des choses, rien à espérer de la voie électorale.
On fait quoi ?
Dès lors la question « on fait quoi ? » se pose dans toute sa brutalité étant donné le désarroi dans lequel se trouvent les personnes de bonne volonté qui ne s’en laissent pas conter.
C’est précisément cette redoutable question qu’a accepté d’affronter Etienne Chouard devant la caméra de Greg Tabibian sur J’suis pas content TV.
Bien qu’étant depuis longtemps un fidèle des fidèles de Chouard du fait que je me retrouve complètement dans ses prises de position les plus sensibles, je n’ai jamais vraiment pris le temps de le suivre dans ses nombreuses pérégrinations intellectuelles de sorte que je l’ai redécouvert ici avec un enthousiasme neuf.
Contrairement à un ami que je qualifierais de post-chouardien et qui, quelque peu blasé, a surtout reconnu dans cette vidéo les limites de la pensée et de l’(in)action de Chouard, j’ai été frappé par la fraîcheur de sa pensée au sens où il s’agit d’un véritable exercice de pensée, donc d’une recherche, pas d’un discours qui tient sa cible et fait mine de s’avancer pas à pas afin de susciter un maximum d’adhésion.
Pour tout dire, j’ai été frappé par le fait que Chouard, en dépit de son insistance presque monomaniaque sur la question de la constitution et des fameux ateliers constituants, est parfaitement capable, lorsqu'on lui donne une baguette magique pour changer trois trucs dans la constitution, d’écarter la proposition en déclarant : « la constitution, ça n'est pas l'important. » Et de donner l’exemple de la constitution soviétique de 1936 qui était, selon lui, excellente — car très protectrice de la souveraineté populaire, de la démocratie — mais s’est révélée incapable de faire obstacle à la dictature stalinienne.
Là où d’aucuns verraient, à tort, une forme de contradiction, je dirais que l'honnêteté intellectuelle à ce niveau-là, ça tient tout simplement du génie !
Complètement à l’opposé du très malhonnête « en même temps » de Macron.
Des ateliers constituants
J’avoue que mon enthousiasme est accentué par le fait que le principe des ateliers constituants ne m’a jamais vraiment convaincu. Il me semblait en effet qu’il n’y avait pas besoin d’en faire à perte de vue. Une fois qu’on s’est donné une bonne constitution, plus besoin d’en parler, on peut passer à autre chose.
Sauf que le peuple ignorant de la constitution ne peut veiller à son respect. Il se laisse aisément berner par ses « représentants. » D’où l’importance de l’éducation populaire que réalisent les ateliers constituants. Sans une population « édifiée » ou « éveillée », les professionnels de la politique auront tôt fait de reprendre les rênes du pouvoir.
Le problème, et c’était tout l’objet de la réflexion de Chouard, c’est que même s’ils transforment ceux qui y participent, les ateliers constituants ne font pas école, ils ne deviennent pas viraux, comme le constate Chouard à regret. Car on voit bien qu'il cherche de ce côté, il voudrait de la contagion, il est envieux des chansons qui font quatre milliards de vues sur Youtube.
Mon hypothèse est que les ateliers constituants, aussi intéressants et utiles qu'ils soient du point de vue de l'éducation populaire ne sont pas la solution parce qu'ils n'offrent rien de bien identifié comme désirable pour un groupe, une communauté ou même un peuple. Comme ils ne servent pas à chercher une constitution idéale mais seulement à s’entraîner, ils donnent au mieux de la lucidité, une certaine connaissance et même une intelligence de la chose constitutionnelle aux individus qui s’y consacrent. Ils ne donnent pas de pouvoir ou de liberté dont on puisse faire l’expérience, rien de concret qui puisse être exaltant pour un groupe et qui soit susceptible d’engendrer une contagion du désir, c’est-à-dire, de nouvelles recrues. Bref, pour dire les choses crûment et, peut-être, cruellement, ils ne donnent pas le sentiment d'appartenir à un groupe qui va pouvoir changer les choses à brève échéance. Ça ne peut pas être, comme disent les anglophones, the « real thing » (la chose vraie, réelle) vers laquelle tout le monde va se ruer.
Or, encore une fois, comme Chouard le voit bien, il faut absolument faire nombre car sans une large part de la population vigilante et politiquement active, la meilleure constitution du monde resterait vaine. Sans une dynamique populaire, la constitution resterait un texte sans vie, comme l'ADN d’un spermatozoïde égaré. Ce qui compte, c'est la vie, la vraie, qui s'incarne dans l'organisation cellulaire de l'ovule, la machinerie active qui peut faire sens du code génétique ou de loi. C’est l’action collective qui donne son sens aux textes de loi supposés la régir. Il faudrait donc que toute la société soient organisée à partir de et pour (le respect de) ce texte constitutionnel. Tant que cette boucle n'est pas bouclée, le texte est vain.
Alors, comment faire nombre autour de la constitution ?
Tous les couillons qui ont suivi Macron l'ont fait parce qu'ils ont bien senti qu'il y avait une dynamique porteuse, claironnée qu’elle était par tous les médias aux ordres. Ils se sont laissés séduire par l’espérance fallacieuse d’un air frais soufflant sur le vieux marigot politique.
Nous n’avons pas de tels moyens. La voie électorale classique pourrait sembler la seule issue, sauf qu’elle ne peut être la conclusion logique que d'un long et lent travail d'éducation des masses ; sauf qu’elle ne peut marcher que s'il y a iségorie, c’est-à-dire, égalité de parole. Comme le système tient les médias et que ces derniers ne constituent plus un quelconque contre-pouvoir, on peut se dire que c’est peine perdue. Toute avancée serait conquise de haute lutte et resterait minuscule. Nous retrouvons le paradoxe de Zénon d’Elée. En clair, nous n'avons ni le temps ni l'organisation des francs-maçons pour ce genre d'ingénierie sociale de longue haleine.
Comme Chouard le voit bien, il nous faut une dynamique explosive.
Or je pense l'avoir trouvée en écoutant sa vidéo car au moment où il prend ses distances avec la constitution, il évoque le pouvoir de la monnaie. Il en vient à dire en somme qu'il faut commencer par là.
Mais il ne sait pas dans quelle direction aller et on le voit flirter avec les lubies de Gérard Foucher — qui essaie de voir comment on pourrait se passer de monnaie.
Supposons ou, plutôt, disons pour faire simple qu’on ne peut pas, qu’on ne pourra pas se passer de (prendre le pouvoir sur la) monnaie.
Dans cette hypothèse — que pour ma part, je tiens pour certaine — le premier problème est que la monnaie est entièrement aux mains des banquiers.
Se saisir de la monnaie
Par conséquent, il est clair que les citoyens qui veulent VRAIMENT faire la révolution devraient commencer par se donner une monnaie entre eux et ensuite élargir le cercle, c’est-à-dire, comme toujours, faire nombre.
Même si la chose n'est pas forcément facile, le progrès technologique la rend tout à fait possible car si Chouard, avec ce qu'il draine de sympathie et de confiance, lançait une cryptomonnaie citoyenne et démocratique, nous pourrions espérer atteindre rapidement le seuil critique qui la ferait adopter par les marchands lucides ou cupides. Il conviendrait pour cela qu’elle crée rapidement son propre marché par exemple en assurant une convertibilité avec toutes les monnaies locales de France et de Navarre.
Comme Proudhon y songeait déjà, nous rappelle Chouard, il faudrait disposer d’une vraie et honnête banque populaire dont seraient clients TOUS les utilisateurs de ladite monnaie vu que les autres banques s'empresseront de la boycotter (et donc d'interdire des achats ou vente de cette monnaie comme Pierre Jovanovic l'annonce déjà sur son blog pour les autres cryptomonnaies). Par contre, en tant qu’elle serait légalement instituée et donc reconnue, elle ne pourrait pas, me semble-t-il, être boycottée par les autres banques. Dès lors, il deviendrait possible à chacun de couper les ponts avec ces dernières pour accéder enfin à une véritable autonomie citoyenne et une souveraineté collective.
Si cette banque véritablement populaire voyait le jour, elle le deviendrait.
En effet, son potentiel de viralité serait énorme si :
- elle pouvait effectivement bénéficier de l’aval, du soutien ou peut-être même de l’implication active d’Etienne Chouard car le critère de succès n°1 pour une monnaie, c’est la confiance.
- son « marché » — c’est-à-dire, ce que l’on est susceptible d’acheter et de vendre dans cette monnaie — est assez large.
- Sa convertibilité était assurée avec la plupart sinon toutes les monnaies locales de France et de Navarre
- Elle est laissée accessible aux investisseurs tout en ayant des dispositions la rendant inutilisable pour les spéculateurs — par exemple une énorme masse monétaire, se comptant peut-être en trilliards, de manière à éviter toute espèce de flambée induite par la rareté. L’existence et la généralisation des taux négatifs est en soi la preuve que des liquidités cherchent la sécurité et quoi de plus sûr qu’une population unie autour de SA propre monnaie ?
Force est de reconnaître que cela fait beaucoup de si. C’est pourquoi, me semble-t-il, le principe de cryptomonnaie citoyenne reste « une idée nouvelle en Europe ». Sur l’internet français, on ne trouve qu’un seul projet datant de 2014 et resté sans suite.
Conclusion
Bien qu’étant — faute de solides compétences en la matière — dans l’ignorance des obstacles et des détails diaboliques qui pourront apparaître, mon sentiment est néanmoins qu’il y a là une voie susceptible d’engendrer l’adhésion populaire dont nous avons besoin.
Mais il ne faut pas se leurrer, si cette stratégie de restauration de la souveraineté populaire sur la monnaie (puis sur toutes les institutions qui en dépendent) devait se révéler efficace, dès lors qu'elle apparaîtra telle au système, celui-ci n’aura de cesse d’en détourner les masses et visera ni plus ni moins que son anéantissement pur et simple, quitte pour cela à engager lesdites masses dans de grands sacrifices guerriers sources inépuisables de mythes à partir desquels les puissances de ce monde ont toujours réussi à établir leur emprise sur les peuples.
Chouard évoque cela avec les guerres voulues par les grands bourgeois à l'époque révolutionnaire afin de "calmer" les masses dangereuses.
Il résume l’idée en termes limpides : « Ils ne se laisseront pas faire. S’ils voient que nous arrivons à nos fins, ils vont nous massacrer. »
Car il est clair que le système a toutes les armes et tous les moyens de contrôle.
Bref, même si nous gagnons, il se pourrait bien que ce soit une victoire de courte durée car, tout bien pesé, vu le rapport de force, il semble assez probable que nous perdions.
Mais si, entre-temps, nous avons pu susciter l’espérance en montrant qu’il existe une alternative au système de domination financière et mentale actuelle, cela n’aura pas été en vain. Le nécessaire travail d’éducation et de mobilisation des masses aura été accompli. Tant que l’idée d’une pleine souveraineté populaire reste dans les esprits, il y a de l’espoir.
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