Une France de vieux riches suffisants contre de pauvres jeunes irresponsables ?
Les élites politiques françaises étaient avant-hier racistes par esclavagisme et colonialisme, hier, misogynes par phallocratie ; aujourd’hui, anti jeunes par gérontocratie. Mais pour toujours, la marque essentielle de ces élites semble être l’amnésie. Lorsque les Nègres, « grands enfants » et « sous humanité » se sont émancipés par leurs luttes séculaires, ces élites ont trouvé leur victime de substitution en la femme, être inférieure et mineure par nature. Quand les femmes, encore par leur lutte, ont arraché leur émancipation en même temps que le droit de vote, dans les années 50, il leur a fallu trouver une nouvelle victime. C’est naturellement le jeune, qu’il faut désormais maintenir définitivement dans la minorité.
Voici pourquoi, à leur entrée dans les manifestations contre la « réforme », saccage à vrai dire, des retraites, on a assisté à un mouvement général de lynchage politico-médiatique du jeune par le régime en place. Du président, en passant par le premier ministre, les pontes de l’UMP, les ministres Woerth et Chatel, on est tombé à bras raccourci sur ces pauvres lycéens et étudiants qui se sont cru obligés de s’occuper d’une chose qui les regarde pourtant. Ils s’efforçaient pourtant de répondre présents aux sollicitations insistantes des mêmes qui les appelaient, depuis des décennies, à s’engager. Des spots de sensibilisation les invitant à s’inscrire sur les listes électorales et à s’engager en politique, syndicalement ou dans des causes humanitaires étaient légion ces dernières années. Ce qui est, il faut en convenir, un appel à la responsabilité. Sitôt qu’ils prennent au sérieux les reproches d’apolitisme qu’on leur fait à longueur d’années, en s’engageant dans les manifestations, voilà qu’on les traite d’irresponsables.
Or, que de responsabilité la société ne les a-t-elles pas chargées, avant leur majorité depuis des décennies. A seize ans on leur reconnaît la majorité sexuelle, le droit d’être mère et père. Dans l’échelle d’une vie, qu’elle autre responsabilité est supérieure à celle d’être cause et responsable de la vie d’autrui ? S’il y avait une guerre contre la France aujourd’hui, les 17-18 ans seront les fers de lances pour salut de la patrie ! Celui qui va jusqu’à sacrifier sa vie pour son peuple, peut-il raisonnablement être taxé d’irresponsable ? Sans même aller jusque-là, il paraît paradoxal d’avoir, d’un côté, les lycéens dans les CA des établissements, dans toutes les instances représentatives de l’Éducation Nationale, tant au niveau académique que national, participant à toutes les décisions, y compris aux votes des budgets complexes et, de l’autre côté, leur refuser le droit à la manifestation. Soulignons que si cela arrange le ministère de l’Éducation, il sait prendre nos jeunes comme des personnes responsables. Pour « tuer » des mouvements lycéens, les différents ministres n’ont jamais rechigné à rencontrer leurs responsables quasi syndicaux, qu’ils soient de la FIDEL ou de l’UNL.
En plus, ce gouvernement surtout est mal placé pour traiter des lycéens de seize et dix-sept et plus, et encore moins des lycéens et étudiants majeurs d’irresponsables et d’incapables de comprendre l’inique projet de réforme des retraites qu’on veut leur imposer et qui handicapera à coup sûr leur avenir. Le chômage étant déjà un avant goût du monde merveilleux que la génération actuelle est en train de leur concocter. N’est-ce pas ce même régime qui a abaissé l’âge de la responsabilité pénale à 13 ans ? Ne sont-ce pas les thuriféraires de notre hyper président actuel qui ont envisagé récemment d’abaisser l’âge de la majorité civile à seize ans ?
Ironie du sort ! Ce sont les mêmes courtisans du régime, L. Chatel, F. Lefèvre, N. Morano, X. Bertrand, et tous les autres responsables de ce régime des copains et des coquins, qui soutenaient mordicus que ce mauvais étudiant de Jean Sarkozy était suffisamment mature et responsable pour être le président en titre du prestigieux EPAD. Un établissement public qui gère un budget qui se chiffre à plusieurs dizaines de milliards d’euros. Il est sans doute un être exceptionnel, bien que depuis son inscription en fac de droit en 2006, il n’a pas encore pu terminer son premier cycle universitaire. Il vient de valider, il y a peu, sa deuxième année. Que c’est laborieux, n’est-ce pas ?
Eh bien ! J’en connais, moi, des étudiants brillants de mon entourage, qui sont, à vingt un ans en master, et qui vont actuellement manifester. Mais à eux personne ne donnerait la responsabilité de plusieurs milliers d’euros. La preuve on leur dénie le droit de descendre dans la rue pour dire non une réforme autoritaire et injuste.
Alors de qui se moque-t-on ? La prétendue irresponsabilité des jeunes chantées sur tous les toits par les courtisans de sa suffisance ne relève que de l’idéologie et du cynisme.
Les défenseurs du régime ne cessent, quand ça les arrange, de chanter le fait qu’on soit en démocratie. Alors qu’on les prenne au mot. La démocratie comporte des règles et des principes, de liberté notamment. En démocratie, on écoute les gens dont l’élu n’est que le représentant. Or c’est là que le bât blesse, dans la France de Nicolas Sarkozy. On se prévaut du mandat du peuple mais on n’agit qu’en son propre nom.
Il faudrait également se rendre compte à l’évidence ; l’État démocratique ne peut raisonnablement vouloir que les jeunes soient dociles comme dans des régimes absolutistes. Son projet fondamental ayant tout le temps été de construire des êtres libres, autonomes et conscients de leurs responsabilités ? En conséquence, son école ne doit-elle pas aussi être le creuset où on apprend et vit pratiquement les principes démocratiques ? A savoir, le lieu privilégié de la formation du citoyen ? Les concepts clés d’un tel creuset sont : liberté, égalité, fraternité, dialogue mais aussi justice, légalité, responsabilité, respect… Ces valeurs ne peuvent être promues dans la société que si les adultes croient assez fortement en leur validité, au point d’abandonner leurs prérogatives et privilèges, pour les défendre comme telles. C’est ce que demandent nos jeunes. Et il sera de plus en plus difficile à la société de continuer à rester sourde à leurs légitimes revendications. Si on ne donne satisfaction à ces revendications pacifiques, je crains que les jeunes ne changent de façon d’agir. Et ce n’est pas un appel à la violence. C’est juste du bon sens.
A. S. Neil, le fondateur de l’école de Summerhill, pensait, à juste titre, que des êtres libres ne pouvaient s’éduquer que dans la liberté.
Ce que dit A.S. Neil ne s’appliquait pourtant qu’à des enfants très jeunes et à une époque où les idées démocratiques étaient encore embryonnaires. Ses idées sont encore plus valables pour notre époque et pour le public actuel de nos lycées et facs. Suivant les études du sociologue Robert Ballion, en début d’année scolaire, 30% des lycéens sont majeur ; ce taux s’élève à 50% de janvier à juin. Cela contredit la thèse qui veut que l’école, en tant qu’elle regroupe en son sein des inégaux, des adultes et des mineurs, ne pourrait ou ne saurait, pour ainsi dire, être un lieu de vie démocratique. C’est pourquoi aussi le refus actuel de leur présence dans les manifestations ne tient pas la route.
La question de la citoyenneté des jeunes doit donc être ramenée d’abord à celle de la liberté du sujet et de la personne en tant que valeur absolue. Aussi, je pense que la question de la majorité, celle de la responsabilité non plus, n’est pas uniquement celle d’autoriser ou non, arbitrairement, à devenir citoyen à 16, 18 ou 21 ans. Se pose, en effet, le problème d’une majorité ayant à voir avec la raison et la capacité au jugement. Celles-là mêmes qui font de nous des êtres humains et nous autorisent à revendiquer des droits, parmi lesquels la citoyenneté, la liberté de choix et d’expression, les droits sociaux et civiques. C’est en vertu de cette raison commune à tous les hommes que le lycéen peut se revendiquer acteur à part entière de sa cité. Pour peu que la société lui reconnaisse sa juste place et accueille avec sincérité sa contribution.
Tout ce qui précède m’amène à penser qu’il n’y a pas de raison objective de refuser aux lycéens et aux étudiants, aujourd’hui comme hier d’ailleurs, ceux qui sont majeurs mais aussi tous les autres, un exercice plein de la citoyenneté, même dans la rue. Cela me paraît même salutaire qu’ils se sentent ainsi concernés par les questions existentielles de notre société. Société, il est vrai, pendant longtemps faite par et pour les hommes blancs de plus de cinquante ans et si possible possédants.
Or, je suis, pour ma part, en accord total avec Georges Bernanos pour dire justement que : « [c]’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à la température normale » et que « quand la jeunesse refroidit, le monde claque des dents ».
Tao David.
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