Une gifle... à l’Education nationale !
Les événements récents, un élève giflé par son professeur dans un collège du Nord, nous ramènent à la question de la gestion du conflit au sein du système éducatif. Un sujet presque tabou qui renvoie pourtant à la notion même d’éducation. Comment faire aujourd’hui face à des élèves difficiles ? Les temps ont changé, de la règle qui frappait les doigts au laisser-faire actuel, l’équilibre est difficile à trouver. Aujourd’hui, face à des parents qui ont de plus en plus des exigences de consommateurs face à l’école, il va falloir éviter de déplaire, suppression de la carte scolaire oblige. L’enseignant du futur, marchandisé par la concurrence, rémunéré selon ses mérites (? ?), risque d’y perdre une partie de son âme. Les concessions à faire dépouillent l’école de son héritage républicain : identité, autorité. En attendant, comment ne pas ressentir ces 24 heures de garde à vue comme une gifle donnée... aux enseignants ?
En tant qu’enseignant, je n’ai jamais "porté la main" sur un élève. Cela ne veut pas dire que je n’en ai jamais eu envie... Pour autant si, légalement, je suis sûr d’avoir bien fait, il me semble qu’humainement les choses ne sont pas si simples... Que répondre à un élève frappant un camarade à terre qui, vous voyant arriver menaçant, vous dit en préalable : "Monsieur, vous n’avez pas le droit de me toucher !" ? Ce sentiment d’impunité n’aide pas les élèves à se responsabiliser. On peut rire de l’adulte, le défier, aller comme cela s’est produit dernièrement jusqu’à l’insulter, parfois pire encore, car on le sait d’une certaine façon "désarmé". On a beaucoup disserté sur l’enfant roi : cette "toute-puissance" qui l’habite n’est bonne ni pour lui-même ni pour la société.
Le rétablissement du "respect" de l’autorité ne passe bien sûr pas par le rétablissement du châtiment corporel. Que les lois contraignent les adultes à trouver d’autres réponses que la violence physique est une précaution fondamentale : cela nous protège, tous, des pulsions violentes qui résident en tout un chacun. Elles énoncent le fait que le conflit ne saurait se résoudre par l’arbitraire de la force. Idéalement, le respect que l’enfant doit éprouver pour l’adulte doit provenir d’une confiance et d’une estime pour le modèle et non d’une crainte. Mais les contextes ne permettent pas toujours d’exercer cette exemplarité.
Peut-on faire entrer la gifle, l’"impulsive" non préméditée, dans le domaine légalement répréhensible des "coups et blessures" ? Il faudrait alors juger François Bayrou pour cette mémorable claque qu’il a administrée, devant les caméras, à un gamin : un fait qui a pourtant, dit-on, augmenté sa popularité... Que dire encore d’une société qui réclame plus de sévérité pour les délinquants, plus d’ordre (!), et qui refuse aux enseignants (à qui le président adresse pourtant sa "lettre aux éducateurs") ce qu’elle accepte de tous les parents : le recours, à titre exceptionnel, au geste excessif, mais parfois compréhensible qu’est la gifle ?
La gifle peut-elle être un outil éducatif ? Même si on la sait parfois "justifiée" par un contexte particulier, éventuellement vantée par certains (parents), elle n’en demeure pas moins un excès : un "trop" qui répond à un "trop". Son interdiction dans l’arsenal répressif, bien maigre cependant, dont disposent les "éducateurs" de l’Education nationale, est un bien. Cependant, il reste un équilibre à rétablir : face au "trop" d’irrespect et de provocations, il faut trouver des réponses adaptées. Reprenons, sur un autre scénario, les événements qui se sont produits la semaine dernière dans ce collège du Nord.
Scénario fiction. Un enfant insulte le professeur. Celui-ci, excédé, le gifle. Les parents portent plainte. L’inspection envoie un blâme à l’enseignant. Celui-ci sait qu’au bout de 3 blâmes, il risque de voir sa carrière affectée. Mais les parents sont convoqués : on leur signifie que le comportement de leur enfant lui vaut un avertissement, des heures de colle, etc. On leur rappelle au passage que le respect dû à l’adulte est une condition essentielle de la relation pédagogique.
Ce n’était qu’un scénario fictif. On le sait, au lieu de cela, le père gendarme s’est présenté en uniforme et l’enseignant a été conduit en garde à vue où il est resté, 24 heures, dans les locaux de la police. L’autorité du père gendarme a été reconnue. Celle, sans doute maladroite, du professeur a été bafouée. On n’a pas fini d’entendre dans les cours de récréation des enfants égarés tenir ouvertement des propos défiants et ironiques à l’égard des adultes. Il faut les plaindre : quels points de repère leur donne-t-on pour se construire positivement dans le respect des autres ?
Je plains, d’ailleurs, l’enfant de ce gendarme, non parce qu’il a reçu une gifle, mais parce qu’il vit sous le règne d’un homme qui fait outrageusement valoir une autorité d’apparat. Son père qui s’est présenté en uniforme alors qu’il n’était pas en service devrait d’ailleurs être condamné : pour intimidation et abus de pouvoir.
La grande perdante est finalement l’Education nationale. Incapable de réagir sereinement ; tout comme les syndicats, figés sur des positions de principe. Qui aujourd’hui risque la garde à vue pour une claque à un enfant ? Pas les parents, qu’on ne menace pas pour si peu. Pas les forces de l’ordre dont la parole fait foi ; assermentées, leur parole ne saurait être remise en cause : elles ne frappent donc jamais... Les politiciens sont à l’abri de tout ; une bonne gifle peut même les faire grimper dans les sondages, comme il a été dit plus tôt. Il n’y a guère que les enseignants qui soient aussi fragiles face à un tel risque.
Les instituteurs viennent d’apprendre, de par la bouche du président qu’ils n’ont pas la même autorité morale que les religieux. Ils n’ont pas, c’est sûr, l’aura des nantis, pas le pouvoir des politiques, pas même le prestige de l’uniforme. Bien peu de reconnaissance, si peu d’autorité. Ne soyons pas défaitistes : il leur reste encore assez de courage et d’abnégation pour faire face aux incohérences et aux carences éducatives de toute la société. Même si, à ce rythme-là, ils n’ont pas fini de se sentir dévalorisés, jusqu’au fin fond des cours de récréation...
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