Une société post-industrielle qui se cherche

La récession économique dans les pays avancés n’a pas encore livré son verdict. N’oublions pas que la dépression de 1930 a duré une dizaine d’années. On a parlé d’une crise majeure du capitalisme. Ce fut aussi une crise de société et du modèle qu’elle a choisi, le modèle industriel ayant pour vocation la production de masse. Globalement, le système industriel a eu besoin de travailleurs pour faire fonctionner un système productif. Mais le système financier et les déséquilibres de revenus ont placé le système en état de surproduction. Les travailleurs se sont retrouvés sans travail et sans ressources. La marche vers la technique a conduit quelques pays vers la dictature. L’économie a joué, certes, mais l’homme s’est retrouvé face à un univers inédit, celui de la grande ville industrielle. Les médias ont pris leur essor et la société a dû affronter des problèmes de société, la pauvreté, l’errance, certes, mais aussi la folie des masses.
Les pays industrialisés ont tous trouvé des options pour maintenir le grand dessein industriel. Dont l’apogée, avec ses grandes réalisations, autoroutes, centrales énergétiques, armements, automobiles, ponts, rails, édifices, etc… se situe dans le second 20ème siècle, après la Guerre. Par la suite, la mécanisation, les progrès de productivité, la mise en réseau, le management, ont créé les conditions non pas d’une désindustrialisation mais d’une chute de la part industrielle dans le PIB. Ce phénomène a été accentué par le déplacement des productions industrielles dans des pays émergents. Peu à peu, les pays les plus avancés, ceux de l’OCDE, ont subi cette transformation inachevée, qu’on appelle communément transition vers la société post-industrielle.
Tourner nos regards vers 1930 ne semble pas très fructueux pour penser le prochain monde et le cas échéant, les virages et décisions essentielles à prendre. Les problèmes actuels sont ceux d’une société post-industrielle. Le seul point de comparaison avec 1930 pourrait être celui du « timing historique ». La crise de 1930 est celle d’un monde industriel trop vite installé et en pleine ascension. 1970 représente la résolution de cette crise par les pays de l’OCDE. Peu à peu, ces pays entrent dans une configuration post-industrielle, avec les secousses successives de l’économie. C’est donc un type de société nouvelle qui se trouve en crise, depuis 2000 en vérité, car 2009 n’est qu’une vague plus forte du tsunami financier se déployant depuis dix ans. Et donc, question timing, la question concerne une transition radicale comme celle arrachée dans des conditions exceptionnelles après la Guerre, avec partout, un régime social, et parfois, communiste. Droits nouveaux, système de santé, démocratie, liberté d’expression, retraite, solidarité, négociations syndicales, Etat providence, voilà toute une série d’innovations ayant infléchi la dureté du système industriel pour que la société soit humainement vivable.
Il se peut bien, pour l’instant, que le système post-industriel n’ait pas trouvé son modèle social. Et que les élites portant des œillères optent pour un moins être social, croyant que le salut des sociétés est dans la croissance, la frénésie consumériste, la dure compétition économique entre nations. L’économie de la connaissance, concept si prisé de nos zélitocrates, s’accompagne d’une amputation sociale, d’un moins être de l’éducation, d’un délitement du système de santé pour tous, d’une société où la question des masses n’a plus lieu d’être mais où se développe une culture de la jungle, du salut individuel, du parcours optimisé. Le tout sur fond de démocratie émotionnelle propagée non pas dans la rue (cas des masses) mais dans les médias. Avec en plus des débats sur des questions de personne, associé au diktat des petites phrases déclinées en jugements et autres injonctions morales. Selon M. Sarkozy, il n’a pas de conflit d’intérêt. Mme Royal demande à M. Fillon d’aller en Guadeloupe et à Total de reverser une partie des bénéfices aux Français. Du coup, le Parlement ne cesse de voter lois sur lois, amendements sur décrets, dès lors qu’un fait de société pose un problème.
La crise du monde industriel au début du 20ème siècle a abouti après 1918 au fascisme italien, au stalinisme, puis au nazisme, à l’impérialisme intégriste nippon. L’addition fut lourde. Après 2001, les pays occidentaux ont mis en place un dispositif policier et de surveillance assez perfectionné, susceptible de porter atteinte aux libertés. Mais nous ne savons pas ce que pourrait être une société post-industrielle à visage humain.
La crise du monde industriel en 1930 avait comme mécanisme la spéculation et la distorsion des revenus dans le cadre d’un système où le profit se faisait quasi exclusivement sur l’appareil productif, autrement dit l’économie réelle. Les années 1990 ont vu un capitalisme prédateur et autophage se développer et croître dans le contexte post-industriel. L’économie réelle ne suit pas la demande de rendement du capital. Alors des voies détournées ont été utilisées. Avec la complicité des Etats. L’idée que les Etats sont dépendants de la finance est un mythe. Les Etats ont créé les conditions pour se rendre esclave du système financier dont le ressort relève parfois d’une création de fausse monnaie qui se joue sur le casino, Madoff, Natixis… Et maintenant, ils soutiennent ce système. Nous vivons dans une société qui va devenir calamiteuse. C’est l’occasion de réfléchir à une société à visage humain pour les prochaines décennies. Ou sinon, accepter la domination des élites et refaire le chemin des totalitarismes du premier 20ème siècle. Avec un côté plus soft, que le peuple peut accepter en sa majorité de minorité.
Quels sont les points essentiels à discuter ? Le ressort doit être questionné. Mettre la « matière humaine » comme chair à profit et à compétition technologique, est-ce ainsi le destin des sociétés post-industrielles ? Le cadre de vie, le sens de l’existence, les convivialités, même si le terme est galvaudé, cela ne vaut-il pas une question ? Pourquoi cette monstruosité des grandes villes et du grand Paris alors que la France possède un territoire étendu. Ces citoyens entassés dans les zones urbaines comme des bêtes de somme. Et on passera sur le reste. En soulignant la nécessité de passer au crible de la critique les tendances actuelles pour proposer une alternative crédible.
Mais je crains que tout ce marasme ne soit que l’occasion pour les opportunistes de se faire du fric en participant à des think tank ou en publiant des livres médiocres vendu sur une réputation et la médiatisation qui leur revient de droit. Que d’universitaires dans les congrès et les débats. Pour un résultat quasiment nul. Les uns parlent de réforme, de souplesse, d’efficacité, d’évaluation, tout en n’hésitant pas à gérer les banques comme sous De Gaulle, tout en accentuant la marche en avant vers le crédit et la croissance ; les autres, plutôt à gauche, s’en remettent à une politique des grands travaux, sacrifiant au diktat de la croissance et de la production forcée. Les écologistes croient moraliser le capitalisme en lui imposant une croissance verte. Mais au bout du compte, ce qui est laissé pour compte, c’est l’humain et sa capacité à inventer un monde nouveau pour peu qu’on cesse de le dresser pour soutenir telle mesure, telle faction. Les élites sont responsables de la situation et les citoyens sont les complices de cette servitude volontaire et achetée par le pouvoir.
Le capitalisme fordien ne peut plus être appliqué comme remède à la déficience des répartitions de revenus pour la bonne raison que les sociétés sont post-industrielles. Et qu’augmenter les salaires des employés des grands groupes ne corrige pas assez le déficit en revenu pour les classes populaires.
Une conclusion parmi d’autres. La pensée humaine ne peut pas suivre le progrès technique et sa complexité. Les innovations ne peuvent être que locales et donc, sans cohérence globale. Il ne sert à rien de penser la société puisqu’on ne peut échapper au temps et que la société adviendra forcément, en réponse aux évolutions du système économique. Seules les élites ont une marge de manœuvre pour agir plus que pour réagir. Mais on conviendra que les élites n’agissent pas toutes pour le bien de l’humanité. Le temps des « idéaux maçonniques » est presque révolu. Et ce temps mérite des guillemets. La société sera le résultat de forces et intérêts convergeant ou s’affrontant. Rêver le monde ne peut plus forger une société. Nous le savions depuis trente ans. Foucault avait parlé des intellectuels spécifiques. Mais on peut quand même rêver et tracer des grandes lignes. C’est possible, du moins pour l’auteur de ces lignes.
Une autre conclusion ? Peut-être. Tracer une alternative. Sans doute déjà dessinée à l’occasion des mesures prises par l’usine à gaz étatique. Renforcer la politique industrielle, qui amène des liquidités pour un pays, ou renforcer la répartition et l’économie des services, qui amène de la socialité pour ce même pays. Peut-on concilier les deux ou bien à un moment, des choix sont impératifs car il y a antagonisme ? Cela concerne le volet politique et l’économie. Et n’épuise pas le volet spirituel, l’insurrection des consciences, la fabrique d’une nouvelle société. Eh oui, après 1968 il y avait désir d’une nouvelle société. Est-le cas maintenant ? Je ne veux pas répondre à la place des concitoyens. J’émets un doute. C’est la plus sage des conclusions que de douter de tout !
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