Veganisme et autres points d’interrogation
Et voilà un article qui n'a rien à voir avec la choucroute bio (mais un peu quand même).
Il y a quelque temps, en me levant, je me suis mis à me poser des questions sur ce que je mangeais. Ça m’a pris comme ça, d’un coup, comme un mal de bide (logique). Pas de manière classique, en m’inquiétant des petites bouées persistantes que ma nature de quarantenaire offrait gracieusement – ou même graisseusement – à ma latéralité, mais de manière un peu plus profonde : impact réel sur la santé, empreinte carbone, chaîne de production, etc. C’était le genre de matin où, pour une raison qui t’échappe, t’as bouffé du Nicolas Hulot (faut dire que t’avais fini la baguette la veille au soir).
Au début, soyons clairs, c’était de la pure curiosité. J’aime la viande (pas le matin, je te rassure), je suis plutôt de nature à repousser à demain mes bonnes actions pour la planète et je ne m’étais jamais interrogé sur les effets néfastes du lait de vache sur la santé humaine avant que plusieurs personnes de mon entourage ne m’avouent leur intolérance à cette boisson à première vue anodine (c’est tout blanc, ça doit être bien propre, me disais-je bêtement). Je n’étais pas sûr de savoir quels fruits et légumes on pouvait consommer au printemps (ni en hiver d’ailleurs) ou alors il fallait que je me concentre au moins dix secondes sur les ingrédients que ma mère mettait dans ma soupe lorsque j’étais encore enfant et que je revenais du foot. Bref, j’étais un beauf insouciant, français moyen, vaguement dépité de manière sporadique par les chiffres qui osaient s’afficher sur ma balance, conscient que quelque chose clochait dans l’équilibre écologique du monde mais sans le courage nécessaire pour combler les trous entre les pointillés. Le questionnement sur ma consommation personnelle n’avait jamais dépassé le cercle intime de mon égoïsme mollement inconscient.
A Lille, tu iras hydrater ta peau
Puis, sur un coup de dé du destin, j’ai été muté à Lille (salaud de destin) et ai donc prêté mon appartement parisien pour quelques mois à une amie. Vegan, l’amie. Pour être tout à faire honnête, je n’avais aucune idée ce qu’était le veganisme (j’ai même cru au début que c’était un truc en rapport avec la série Star Trek, mais en fait pas du tout). J’ai alors découvert qu’il y avait différent degrés dans l’univers des végétariens, le Vegan étant l’évolution extrême qui voit refuser toute forme d’exploitation animale (exit même les slips en peau de kangourou) et j’ai commencé à lire des articles sur le sujet, à consulter d’obscures études sur nos habitudes alimentaires à travers les âges, bref à occuper mes heures de bureau autrement qu’en traînant à la machine à café – je m’endors régulièrement, depuis, sur mon clavier.
J’avoue aussi avoir trouvé ça plutôt marrant au début de revenir périodiquement dans mon antre parisienne, désormais envahie par les graines et les substituts plus ou moins dégueu au lait de vache.
Cependant, la question de la consommation et du coût carbone de mes aliments a commencé à me trotter de plus en plus dans la tête (vous savez combien il coûte en bilan carbone votre steak haché, les gars ? Croyez-moi, si vous le saviez, vous le regarderiez d’un autre œil). J’ai commencé à vraiment m’intéresser à la production de viande – pourquoi ne pas commencer par là – et j’ai découvert l’aberration écologique que constituait l’ingestion de protéine animale (et notamment son coût en carbone et en eau) comparativement au coût de production d’une protéine végétale. J’ai commencé à découvrir que la nutrition était une discipline en pleine mutation et que beaucoup de sujets afférents étaient interdépendants (quelle découverte, je me fais honte parfois) : l’agriculture et son financement, l’écologie et la politique, les problèmes mondiaux et les ressources naturelles, Donald Trump et le barbecue.
Une soirée arrosée entre amis tu organiseras
Et puis, un soir, tout a basculé. Porté par un état de légère ébriété, et alors que nous recevions quelques amis, je ne sais pas ce qui m’a pris et j’ai lancé le sujet de cette « colocataire » occasionnelle et vegan. J’ai dit ça de manière totalement innocente, en précisant d’ailleurs que je n’étais pas Vegan mais que je m’interrogeais sur ce que je mangeais et l’impact de mes habitudes sur l’environnement. Un silence accompagna la fin de ma phrase et la réaction fut instantanée et collégiale : l’hostilité des gens présents fut franche et sans ambiguïté aucune. Pas une hostilité raisonnée, argumentée, mais bien une hostilité de principe, une haine a priori. Les arguments des « opposants » furent assez vite établis : on reprochait globalement aux vegans de vouloir imposer une vision du monde culpabilisatrice et « mince alors si on peut plus bouffer de la merde tranquille ».
A aucun moment, je n’avais voulu dire que les vegans avaient tort ou raison, j’avais simplement évoqué le fait que cette fille était vegan, et elle était déjà condamnée (on connaissait même sa vision du monde, si ce n’est pour qui elle allait voter en 2017 (cette pourriture communiste)).
J’ai essayé de déminer le terrain en indiquant qu’il ne fallait pas renverser le problème et que nous, peuple occidental, avions une culture de la nourriture et de la consommation qui s’imposait à tous, sans exception et que cette fille souhaitait simplement consommer différemment sans rien imposer à personne. Murmure désapprobateur dans l’assistance.
Puis, j’ai pris chaque argument plus spécifique un à un, et je me suis rendu compte ce soir-là, en discutant avec mes amis, qu’ils étaient à 100% en ligne avec l’intégralité des arguments qui poussent les gens vers le veganisme.
Ainsi, tous étaient d’accord pour dire que nous consommions n’importe comment. Tous étaient d’accord pour reconnaître que quelque chose clochait dans la politique agricole de la France, dans le monde des pesticides, de Monsanto, des circuits de distribution et de l’Europe. Tous reconnaissaient que l’on mangeait trop de viande, que le lait était salement produit en France (sans parler des œufs) et n’était même pas nécessaire à notre alimentation (j’ai des amis hyper cultivés), tous se targuaient d’essayer de manger des fruits et légumes de saison, en quantité suffisante – même si 5 pastèques par jour, c’est coton à avaler – et de préférer le petit producteur au supermarché, tous s’intéressaient au bilan carbone de nos activités (pas que celle de manger) et surtout personne ne voulait savoir (mais alors vraiment personne) par quelles étapes passait la viande avant d’atterrir dans notre assiette.
Ainsi, nous partagions tous une conscience écologique aigüe mais de là à devenir vegan ou même à tolérer cette indépendance d’esprit et de corps, fallait pas déconner.
J’ai entendu lors de cette soirée pas mal d’arguments vaseux – je ne me souviens pas de tous, c’est dommage – du genre :
- « le bio n’est pas très bien contrôlé, t’as quand même de la merde dedans »
Super, donc parce qu’il y a des trous dans la raquette, autant être sûr de manger de la grosse merde. Même si le « bio » n’était qu’une garantie de manger moins de merde, je pense que ce serait déjà suffisant pour que tout le monde se rue chez un vendeur de légumes bio.
- « l’humain est fait pour manger de la viande »
La nourriture est très culturelle. Dans les pays européens, après la guerre, il est devenu normal de manger plus de viande – elle, qui avait manqué – mais il est évident que l’on peut largement réduire notre consommation (j’ai même lu récemment que la disparition de l’homme de Cro-Magnon était peut-être due à une trop grande consommation de viande…)
- « c’est hyper compliqué de cuisiner vegan, j’ai pas le temps »
Je conseille aux gens qui n’ont pas le temps de faire la cuisine d’aller manger chez MacDo tous les soirs, ils feront de sacrées économies (et après, avec tout cet argent gagné, ils pourront se racheter une santé)
Au final, chacun reconnut qu’on était tous un peu de mauvaise foi et finalement assez d’accord, mais bon… c’est un peu comme le tri sélectif ou le fait d’arrêter de fumer. On verrait bien demain.
Personnellement, je ne me sens pas de vous faire un cours sur le veganisme (moi-même, je ne le suis pas et si vous voulez des infos sur la vitamine b12, il y en a plein le net) et des nutritionnistes bien plus diplômés que moi ont déjà analysé tout cela et ont montré que l’on peut très bien se passer de viande, de poisson et de fromage au niveau physiologique (pour le goût, c’est une autre histoire), de même que savoir si nous sommes « faits » pour manger de la viande ou pas est un débat scientifique que nous ne trancherons certes pas ici. On peut cependant reconnaître que nos habitudes alimentaires sont avant tout culturelles et qu’il ne dépend que de nous de les faire évoluer.
Ainsi donc, lors de cette soirée riche en enseignement, après avoir reproché aux Vegans de vouloir imposer leur vision du monde, tout le monde regardait un peu ses chaussettes. Cette différence (manger mieux) qu’on nous imposait (soi-disant) ne nous renvoyait-elle pas un peu à notre propre schizophrénie mêlée d’une touche de culpabilité – qui m’animait moi aussi ? Cette discussion apparemment anodine nous renvoyait tous à notre propre paresse intellectuelle et surtout à notre propre renoncement à aller au bout de nos convictions : oui, je crois en un monde meilleur et plus fraternel, alors pourquoi est-ce que je continue à voter sociali… oups, je m’égare.
Car si effectivement nous sommes tous conscients que l’espèce humaine – et particulièrement les occidentaux – est en train de détruire la planète par son mode de vie, pourquoi ne pas essayer d’infléchir ce mode de vie à notre échelle ? La multiplication des magasins bio en France n’est pas un hasard : les gens qui réclament le droit d’ingurgiter moins de pesticides et autres produits au nom imprononçable constituent un marché en croissance forte.
Je n’ai bien évidemment aucune réponse définitive sur le sujet, ni modèle de transition à apporter, tout cela reste à inventer et il y aura forcément de la casse (ne serait-ce que chez ceux qui défendent une agriculture productiviste et des modes de distribution coûteux en ressources). Je reste cependant persuadé que « non », les circuits courts, ce n’est pas que pour les bobos qui vont à la ferme (comme dirait Naboléon), c’est pour ceux qui n’ont pas envie de cramer le PIB de la Colombie en hydrocarbure pour bouffer une mangue et qui préfèrent mettre peut-être quelques centimes de plus pour permettre de faire vivre des agriculteurs qui respectent la planète (il en reste, protégeons-les !). Je ne vais pas arrêter de manger de la viande demain, car j’y suis habitué, mais j’ai déjà diminué fortement ma consommation et pour celle que je consomme encore, j’essaye de m’intéresser à la façon dont elle arrivée dans mon assiette, et notamment où et comment elle a été produite.
Je suis persuadé plus que jamais que c’est sur des petites actions concrètes du quotidien que chacun à notre échelle, nous rendons ce monde plus vivable – message transmis à ma connasse de voisine du 7ème.
Sur ce, je vous laisse, j’ai mon steak de Quinoa qui est bien grillé comme je l’aime (c’est plein de protéines et c’est vraiment pas dégueu).
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