Vers l’apocalypse nucléaire ?
L'arme atomique a totalement renouvelé la pensée stratégique. Les problématiques liées à son emploi ont considérablement développé la formalisation des situations de conflit, c'est-à-dire la définition et la hiérarchisation sur une échelle de gravité, des événements liés à la sécurité et à la sauvegarde des intérêts d'une nation. Même si la discipline préexistait à l'arme atomique, celle-ci a imposé une nouvelle approche de la prise de décision, essentiellement pour éviter qu'une crise ne dégénère de manière incontrôlée et également parce qu'en cas d'attaque surprise ou de dérapage d'une situation, des décisions graves, c'est un euphémisme, doivent être prises instantanément.
En réalité, c'est toute l'échelle des conflits qui a été modélisée, depuis les menaces verbales jusqu'à l'apocalypse nucléaire, échelon par échelon. Les doctrines d'emploi des armes nucléaires n'étant que la partie haute de l'échelle. Ces modèles sont des outils dont le but est toujours, dans un scénario offensif comme défensif, de rester maître de la dynamique d'un conflit. Il s'agit aussi pour cela d'anticiper les scénarios de crise et de définir à l'avance des réponses, selon que l'objectif est l'escalade ou la désescalade du conflit.Les travaux de l’Autrichien Friedrich Glasl sont reconnus comme le cadre conceptuel le plus "synthétique", qui peut être utilisé comme base pour des modèles spécialisés. Il a développé un schéma d'escalade en 9 échelons répartis en trois phases.
Phase 1 : Les partis recherchent une résolution « Gagnant-Gagnant »
1 : Perception d'un contentieux
2 : Négociations, polémiques entre les partis
3 : Recherche d’action défensives, arrêt progressif du dialogue
Phase 2 : Les partis recherchent une résolution « Gagnant-Perdant »
4 : Polarisation du conflit, recherche d'alliés à sa cause contre celle de l'adversaire
5 : Dénigrement de l’adversaire
6 : Menaces et stratégies de ripostes
Phase 3 : La confrontation devient destructive « Perdant-Perdant »
7 : Recherche d'une destruction limitée de l'ennemi
8 : Recherche d'une destruction totale de l’ennemi
9 : Destruction mutuelle, on accepte sa propre destruction comme prix de celle de l'ennemi.
Naturellement, Américains et Soviétiques ont été les plus intéressés dans ces disciplines. Le jeune Kissinger a travaillé sur ces problématiques, on notera également Bernard Brodie et Herman Kahn, côté américain, Andrei Sakharov et Alexei Arbatov côté soviétique, pour ne citer que les célébrités.
C'est avec ces modèles que les décisions stratégiques sont prises par les dirigeants, en matière d'action et de planification. Dans un certain sens, ces décisions sont quasiment "automatisées", imposées par le modèle, le dirigeant ne faisant qu'activer formellement un dispositif prévu, une action, un projet. Résiduellement, il peut y avoir quelques aspects subjectifs dans l'appréciation de la probabilité d'un scénario, qui font qu'une décision se fasse sur une base qui n'est pas entièrement rationnelle.
Que ce soit dans l'élaboration des scénarios ou dans l'évaluation des situations, c'est l'ensemble des moyens de renseignement qui sont mis à contribution. Dans ce domaine aussi, la subjectivité doit être reléguée à l'état de résidu. Le recueil, l'analyse et la synthèse des renseignements sont des processus très formalisés et mécaniques. Nul caprice, idéologie ou politique partisane ne devrait venir polluer ces activités. La difficulté, sur les sujets les plus sensibles, est la dissimulation ou l'intoxication par l'adversaire, menant à une évaluation incorrecte d'une situation et donc à de mauvaises décisions dans l'action et la planification.
Je l'écrivais précédemment, la partie haute de l'échelle des conflits est la zone dans laquelle l'arme nucléaire rentre en jeu. C'est le champ des doctrines d'emploi des armes nucléaires. Ces doctrines varient en fonction des pays et des époques, et restent plus ou moins perpétuellement en débat. Typiquement, les options vont de la frappe préventive ou "première frappe", à l'utilisation en tout dernier recours. Celles-ci distinguent l'utilisation d'armes tactiques, c'est-à-dire destinées à viser des matériels et des infrastructures militaires, et les armes stratégiques, dont le but est l'anéantissement des populations.
Quand bien même l'historiographie désigne des périodes bien délimitées de l'adoption de telle ou telle doctrine d'emploi, il a toujours régné un certain flou autour de ces questions, ce qui est une composante de la dissuasion.
Concernant la doctrine de "première frappe", c'est avant tout un élément de guerre psychologique, un spectre que les américains ont agité dans les années 50, époque durant laquelle le sol américain n'était pas à portée des vecteurs soviétiques, puis dans les années 2000, avec leur retrait du traité ABM et le déploiement de systèmes anti-missiles autour de la Russie. Parmi les conséquences, on notera au passage la décision russe de développer une nouvelle génération de vecteurs, toute la panoplie qui sera dévoilée en 2018.
Il est convenu que l'utilisation des armes stratégiques ne se fait qu'en seconde frappe, en riposte à une attaque de même nature. Le vrai problème réside surtout dans l'usage des armes nucléaires tactiques. Les Américains dans les années 2000, puis les Russes un peu après ont clairement affirmé que leur utilisation était une option envisagée dans un certain nombre de cas, sans bien les expliciter. Les documents de doctrine Russes insistent notamment sur le fait qu'il ne doit pas y avoir d'hésitation dans l'utilisation de ces armes, lorsque les circonstances l'exigent, au risque de leur faire perdre leurs qualités dissuasives. C'est ce que la diplomatie russe dit en substance, chaque fois que la question est abordée : "nous ne bluffons pas".
C'est le nœud du problème. Contrairement à des niveaux d'escalade plus bas, il est difficile d'établir des scénarios de réponse à l'utilisation d'armes nucléaires tactiques. Quelle attitude avoir, quelle réponse donner face à cela ? Une chose est certaine, c'est par excellence l'étape initiale des scénarios d'apocalypse nucléaire. D'où ce phénomène de "boite de Pandore", d'autant plus angoissant que personne ne rend explicite les critères qui autorisent l'utilisation de ces armes. C'est aussi une stratégie de dissuasion.
Ceci étant dit, comment évaluer la situation ukrainienne et les risques qu'elle fait courir ?
J'avoue que je suis assez effaré par les réactions aux déclarations de Macron et ses "troupes au sol". Toute cette histoire de guerre en Ukraine n'a montré qu'une seule chose : la France n'existe plus comme entité indépendante. Elle est totalement intégrée au système de gouvernance euro-atlantique dirigé sans partage par les États-Unis. Le fait qu'un commis de banque, fortement suspecté d'être atteint de pathologies psychiatriques, aggravés par une probable toxicomanie, parvient à devenir chef de l'État, après avoir compromis les instruments de souveraineté du pays, démontre une seule chose. Il n'existe plus d'appareil sécuritaire loyal à la nation. Dans ces conditions, les paroles de Macron ne méritent pas qu'on s'y intéresse comme autre chose que de piteux slogans publicitaires, jetés comme un morceau de barbaque à la meute des charognards médiatiques.
Passons aux vrais acteurs du conflit et analysons la situation de manière rationnelle. Je l'ai écrit, et je le répète ici, le but premier de ce conflit était de couper à long terme l'Europe occidentale d'avec la Russie et plus généralement la masse continentale asiatique. Outre la Russie, qui paye avec le sang de ces jeunes, les deux pays visés sont la France et l'Allemagne, qui sont deux des trois puissances européennes, et qui, pour des raisons de structure économique et d'intérêt politique, avaient d'énormes avantages à tirer d'une collaboration avec la Russie. Ce conflit — sauf miracle – les enchaîne pour des décennies à la tyrannie des États-Unis. Ceci a été possible grâce au concours de pays européens collaborateurs des E-U, le Royaume-Unis, qui est l'autre puissance du continent, la Pologne, qui déteste les Allemands autant que les Russes, et la Norvège, qui assure que ces pays ne souffrent pas du conflit.
En effet, la Norvège, citée comme complice actif des E-U dans le sabotage des "Nord Stream" Par Seymour Hersh, est le principal fournisseur d'énergie du R-U et de la Pologne. Le très puissant secteur financier du R-U, moteur de son économie, est totalement mondialisé, les conflits régionaux n'ont aucun impact sur lui, voir des impacts positifs, puisqu'ils participent sans aucun doute aux nombreuses tactiques de contournement des sanctions, mais ceci est une autre histoire. La Pologne, quant à elle, est ravie de voir l'Allemagne dépendre à nouveau des gazoducs qui passent sur son territoire. Elle est en passe de devenir une puissance militaire de premier ordre en Europe, et pourrait grandement bénéficier de la fin du conflit en Ukraine, en annexant sous un prétexte ou un autre sa partie occidentale. Ils ont donc tous été largement récompensés de leur obéissance au maître américain.
Ce sont évidemment les États-Unis qui ont tout organisé, l'escalade progressive — et impeccable, les Américains sont des spécialistes de la chose – depuis le coup d'État de 2014 était destinée forcer la Russie à riposter militairement. Dans un article précédent, j'avais longuement cité des sources universitaires américaines du plus haut niveau qui disaient ceci explicitement, dès 2018. J'en ai trouvé d'autres depuis, aussi anciennes que 2015. Compte tenu de ce que j'expliquais au début de l'article, comprenez que la décision de lancer l'opération en Ukraine n'est pas un caprice de Vladimir Poutine, une crise de folie ou que sais-je.
Quand bien même les informations disponibles dans les sources ouvertes sont limités, on peut assez facilement comprendre ce qui a suscité la décision russe. Il faut d'abord noter le niveau de contrôle sur l'Ukraine que les Américains sont parvenus à obtenir via l'appareil local. Il n'y avait rien d'évident que pour les beaux yeux de nos fantomatiques "valeurs" ou que sais-je, les ukrainiens acceptent de se suicider. Il n'y avait aucun espoir de modération ou de désescalade de leur côté, bien au contraire, leurs capacités de nuisance se renforçaient avec le temps, et les E-U n'aurait jamais lâché l'affaire avant d'arriver à leurs fins.
L'autre aspect fondamental, c'est l'attitude des dindons de la farce, qui étaient seuls capables d'éviter -dans leur intérêt – l'escalade du conflit en Ukraine, c'est-à-dire l'Allemagne et la France. C'est, selon moi, le point d'inflexion de la décision Russe. Constatant la lâcheté, la duplicité, la veulerie, la bêtise et la docilité vis-à-vis des E-U des "élites" de ces deux pays, il est clair que la Russie a finalement elle-même fait une croix sur la coopération avec les européens, abandonnant tous espoirs que ceux-ci agissent pourtant selon leurs propres intérêts.
Voyant que tous les scénarios menaient à des impasses ou à des menaces croissantes sur la sécurité du pays, considérant qu'elle disposait temporairement de certains avantages stratégiques, la Russie a décidé qu'en 2022, l'escalade militaire en Ukraine était la meilleure solution, la moins coûteuse à long terme.
Le paroxysme du conflit a été la destruction des Nord Stream. Le conflit était terminé à ce moment-là, les Américains ont atteint leur objectif principal. Le reste est de l'ordre du comportement d'un prédateur qui s'amuse à torturer sa proie. Ils n'ont cependant jamais pris de risques en matière d'escalade. Les livraisons d'armes n'ont été que le strict nécessaire pour faire durer le conflit. Notamment, ils ont veillé scrupuleusement à ne pas livrer d'armement dont la portée aurait eu un potentiel stratégique. Les seules armes performantes qui ont été livrés à l'Ukraine sont des systèmes d'artillerie de campagne et quelques systèmes anti-aériens à vocation défensive, qui, au moins pour l'artillerie, ont prouvé une grande efficacité, concernant les systèmes anti-aérien, les russes n'ont rien dit, et les ukrainiens racontent visiblement n'importe quoi, il est donc difficile de tirer des conclusions. Le reste a été majoritairement du matériel ancien sorti des réserves, à quelques exceptions près.
Il y a eu quelques incidents dont la portée était vaguement stratégique, mais il est clair que l'escalade a été parfaitement contrôlée par les E-U pour ne pas approcher le seuil critique de l'utilisation des armes nucléaires tactiques par la Russie. Finalement, le désintérêt américain, matérialisé par le blocage du financement de la guerre, est une désescalade majeure du conflit. Tous leurs objectifs ont été atteints, au-delà même, je pense, de leurs espérances. C'est aussi une manière d'humilier un peu plus les européens, ce sont les E-U qui décident de la paix ou de la guerre, et l'Europe ne peut pas se défendre sans eux. Les rodomontades du guignol Macron, immédiatement contredit par les E-U et les Allemands, n'ont aucune valeur d'escalade au niveau international, c'est une pure opération de diversion, pour se rendre "important" auprès de l'opinion française, et faire oublier ses déboires, dans les bouses de vache du salon de l'agriculture.
Pour conclure, le psychodrame autour de la guerre nucléaire est complètement bidon. La classe dominante s'en sert à deux titres : cela leur permet de se faire mousser, d'inspirer la crainte auprès de la populace, de la plonger encore un peu plus dans la peur et l'angoisse. Ceci est repris par tous les charognards médiatiques, institutionnels comme alternatifs et prétendus dissidents, à la recherche de titres "putaclics" toujours plus outranciers. Comprenez-le bien, si la classe dominante est prête à tous vous sacrifier, elle n'est certainement pas suicidaire.
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