Vers un retour à l’âge des casernes ?
Un nouveau service national pour les jeunes de touts sexes et de toutes origines sociales ? Pourquoi pas ? Mais à l’examen, ce projet laisse apparaître plus d’une contradiction.
Ce fut longtemps la hantise des jeunes Français, entre dix-huit et vingt deux ans. Un matin, le facteur vous apportait un ordre de convocation barré des trois couleurs nationales et la vie, dès lors, était comme mise entre parenthèses. Certes, il y avait d’abord les fameux trois jours au centre militaire de Tarascon – même si, dans les faits, les appelés n’y passaient qu’un jour et demi. Avec un certificat médical dans sa poche, on était à peu près certain d’une exemption rapide, surtout dans les années 80/90. Quant aux malheureux déclarés « bons pour le service », commençait pour eux la vie de caserne ; et, entre les classes et les corvées de chiottes, ce n’était pas vraiment une vie de château. Cela ressemblait plutôt à une pénitence républicaine, même s’il y avait parfois des distractions moins austères que celles qui se pratiquent dans les couvents. Car depuis la révolution française, tout citoyen étant potentiellement un soldat, il fallait en passer par là. Et, par temps de guerre, le service militaire pouvait vous expédier rapidement sur le front, dans une contrée inconnue et sans garantie aucune de retour.
Mais soyons optimistes et restons sur le versant de la paix. Avec l’école et le mariage la conscription militaire fut l’une des grandes étapes dans la formation d’un jeune homme. C’était une sorte d’initiation qui devait assurer son intégration harmonieuse dans la société. Durant cette année de vie collective, le brassage social était la règle commune, ouvriers, paysans, chômeurs
et étudiants partageant le même dortoir, la même cantine. Reste que les plus riches s’arrangeaient pour la contourner, notamment en se faisant remplacer par des volontaires stipendiés. Dans les années 90, c’est à peine si un jeune français sur deux effectuait son service national. Le monde avait changé et Jacques Chirac, alors président de la république, prit en 1996 la décision – courageuse - de le supprimer. Désormais, la défense du pays serait assurée exclusivement par une armée de métier.
Cette suppression est-elle définitive ? Non, elle suspend seulement, pour une durée indéfinie, cette obligation faite, deux siècles durant, aux jeunes Français. Mais la violence des attentats de 2015, après un bref moment de sidération, a relancé la mécanique patriotique chez bien des jeunes gens. Il ne fallait pas laisser se perdre tant de bonnes volontés prêtes à sauver la patrie en danger. Du coup, Emmanuel Macron a ressorti l’idée d’un service obligatoire pour tous – filles et garçons – à partir de dix-huit ans. Ce ne serait pas un service militaire à proprement parler, avec instructions et maniement d’armes, mais une sorte de service civique qui mettrait l’accent sur les fondamentaux de la citoyenneté française. Cette mesure – qui, pour une fois, plaît autant à la droite qu’à la gauche – coûterait quand même trois milliards d’euros annuels. Même si l’armée ne supporterait pas exclusivement cette dépense, elle ne voit pas d’un très bon œil cette proposition. Car cela l’obligerait à affecter à cette tâche du personnel encadrant qui pourrait être plus utile ailleurs. D’autre part, ses opposants ont beau jeu de rappeler qu’il existe déjà un service volontaire de six mois pour les jeunes désireux d’engagement civique. Dix mille d’entre eux, chaque année, choisissent cette option qui leur permet de se former dans des associations et des administrations. La différence ne serait, finalement, que dans le caractère imposé d’un tel service.
D’abord planifiée sur six mois, la durée de ce nouveau service national a été ramenée à seulement un mois. Que peut-on apprendre dans un laps de temps aussi bref ? Et où logerait-on les appelés maintenant que la plupart des casernes ont été fermées ou recyclées ? Dans des internats désaffectés ? Soit ! Mais comment, dans ce cas, s’arrangerait-on avec la mixité sexuelle ? Ce sont des questions qui laissent augurer que ce projet a tout d’une fausse bonne idée.
Jacques Lucchesi
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