Vichy, le retour
La lecture de la lettre de Guy Môquet a mis toute la presse en émoi. C’est surprenant : au milieu de la campagne électorale présidentielle, l’allusion à la mémoire de Môquet n’avait pas fait autant de vagues. Revenons aujourd’hui sur cette période si vous le voulez bien.

Les semaines qui précédèrent un discours de Nicolas Sarkozy évoquant la mémoire du jeune résistant, ce fut la visite du plateau des Glières où Nicolas Sarkozy annonça "qu’il songeait à venir s’y recueillir tous les ans". Ce qui n’était pas déjà au goût de tout le monde. Des résistants l’avaient lors apostrophé, en évoquant une manipulation de l’Histoire."M. Sarkozy ne sert pas la mémoire des Glières et de la Résistance. M. Sarkozy se sert des Glières", ont entonné sur place ces résistants du cru, profondément outrés par cette récupération de dernière heure. "Nous lui contestons le droit de récupérer un symbole historique au service de son ambition personnelle, dans une mise en scène détestable à quelques heures du scrutin". "La mémoire des combattants des Glières appartient au peuple français. Les avancées politiques issues de ces sacrifices et des combats de toutes les Forces françaises de l’intérieur doivent être défendues. Le programme du Conseil national de la Résistance, unifiant les composantes combattantes, a permis des avancées sociales extraordinaires à la Libération. Nous, nous y souscrivons toujours". On ne peut être plus précis. Résultat, la première tentative sarkozienne d’annexer la mémoire de la Résistance, aux Glières, s’est soldée par un échec pour notre président actuel, qui a déjà dû oublier son lieu de "recueillement" favori.. Nous ne le verrons donc plus faire son Solutré sur le plateau où sont morts des hommes jeunes, combattant les Allemands... mais aussi l’implacable milice française. Car sur place, il n’y avait pas que des Allemands, mais bel et bien des Français... pires que les Allemands de la Gestapo. Le chef de la Résistance apprendra à ses dépens ce qu’il en coûte de tenter de négocier avec : alors qu’il est venu parlementer avec le commandant Lefèvre, de la milice, qu’il a encerclé avec ses maquisards, dans l’hôtel de France à Entremont, Tom Morel est tué. On rapporte ainsi sa mort : "Alors c’est la guerre ?", demande le lieutenant Morel. "Oui, c’est la guerre !", répond le commandant Lefèvre en dégainant son pistolet. Il tire. Le chef des Glières est tué d’une balle en plein coeur. Voilà comment la milice respectait ses engagements et l’honneur des autres.
Le 18 mars au Zénith, Nicolas Sarkozy, ou plutôt son porte-plume vichyste, M. Guiano, s’attaque à la mémoire de Guy Môquet, dont il fait l’éloge à plusieurs reprises par la suite lors de votre campagne électorale, célébration qui culminera à cette cérémonie d’investiture et cette larme écrasée furtivement. Une indécence extraordinaire, un pathos inutilement flagrant, rien d’autre : au regard de ce que a pu être dit aux Français dans les dernières semaines de la campagne, où resurgissent les vieux démons pétainistes (et les slogans qui vont avec "je ne vous mentirai pas", qui sonne bien faux le jour où l’on apprend que le divorce présidentiel avait été consigné en avril 2007 !). Ce n’était pas non plus à un président de se comporter de la sorte : la France et ses martyrs ne font pas partie d’un soap-opera télévisuel. La dignité et le respect des mémoires exige davantage de maintien et de contrôle des émotions. Mais ce n’est pas cela qui nous importune. Ce qui nous gêne, c’est l’effet masquant de cette cérémonie.
Car Guy Môquet, jeune militant communiste est mort fusillé sur ordre de Pierre Pucheu, le ministre de l’Intérieur du maréchal Pétain. Or ce même Pucheu, ancien Croix de Feu d’extrême droite, condamné à mort et fusillé en 1944 au Maroc, à la fin de la guerre, (car non grâcié par de Gaulle) a lui aussi écrit une lettre à sa famille. On aurait dû aussi la lire aux jeunes élèves : car Pucheu mourra à 45 ans, lui, sans avoir jamais rien renié du pétainisme qu’il avait servi avec tant de servilité. Lire la dernière lettre de Moquet dans les écoles était salutaire, certes, mais il conviendrait d’expliquer que les personnes qui l’ont arrêté étaient françaises, et que le régime qu’il combattait était celui de Pétain et de la collaboration. Or, c’est bien de cela dont le président et M. Guiano ne veulent parler : pour eux, parler de Vichy, c’est faire de la repentance : "Comment s’étonner que la mode exécrable de la repentance, en voulant faire expier aux Français les fautes supposées des générations passées, ressuscite des haines ancestrales que l’on croyait à tout jamais appartenir à l’Histoire et rouvre des blessures que le temps avait à peine commencé à fermer ?" Autant il est facile de chanter la gloire du jeune opposant à un régime, autant il est toujours impossible de parler de ce régime, et d’ évoquer ne serait-ce que son nom, aujourd’hui encore. Et rien ou presque sur les directives ministérielles sur la lecture du texte à propos de Pétain.
M. Guiano a voulu faire de Guy Môquet, en résumé, un exemple d’extraterrestre, ne luttant contre personne, ou vivant sur la même planète que celle du Petit Prince de Saint-Exupéry. Faut-il dire à la jeunesse que Pucheu, avant de devenir membre du PPF de Jacques Doriot, était un patron d’entreprise de droite connu, celui des établissements Japy, qui faisait déjà des machines à écrire à l’époque après avoir commencé au XIXe siècle par des montres ? Que son cheminement vers les idées extrêmes est tout aussi intéressant à comprendre que l’assassinat de Guy Môquet et de ses compagnons ? Qu’il avait rejoint le PPF car celui-ci était né avant tout en réaction contre les grandes grèves de 1936 qui avaient amené tant de choses aux ouvriers, notamment les 40 heures et les congés payés, entre autres ? Qu’il peut être considéré comme l’inventeur des CRS avec ces Groupes mobiles de réserve, chargés de pourchasser les "terroristes", à Paris comme aux Glières ? Car au final, Guy Moquet était bel et bien considéré comme un "terroriste" par les collaborateurs des nazis. Faut-il ou non apprendre aux élèves que le fascisme est aussi économique, en privilégiant les plus riches ? Et que les débuts du PPF regroupaient des gens issus de la gauche à l’extrême droite, avant de sombrer dans un fascisme de plus en plus sordide ? Que certains de ses discours étaient écrits par Drieu la Rochelle ? Bref, en résumé, devait-on expliquer une bonne fois pour toutes ce qui gêne tant M. Guiano dans ce régime de Vichy dont il juge inutile de parler ? Est-ce la propension au pouvoir personnel du maréchal ? Sa demande de pleins pouvoirs, étrangement, sonne comme un excellent résumé de la prose Guianoesque : il suffi d’y glisser un mot ici et là pour obtenir la plupart des grands discours de la campagne présidentielle !
C’eût été tout aussi pédagogique, cette explication, si le but réel que l’on recherche est d’éviter que ça se reproduise. Car de parler des victimes sans un seul mot à propos de leurs bourreaux, c’est laisser la porte ouverte à l’apparition plus tard d’autres nouveaux bourreaux. Tout cela me fait penser aux livres d’histoire des collèges dans les années 70-80 : au chapitre Seconde Guerre mondiale, c’était simple. On entrait en guerre en 40, on était occupé, il y avait la Résistance, les Américains débarquaient déjà et la guerre était finie, De Gaulle était sur les champs Elysées en 3 à 4 pages maximum. Rien sur Vichy et ses exactions. Rien sur la rafle du Veld’Hiv. Ou quand il y avait quelque chose sur ce sujet, c’étaient les Allemands seuls qui avaient scellés les wagons pour les camps contenant les vieillards, les femmes et les enfants. Et non pas la police française. Rien sur Pétain, rien sur Laval, rien sur Doriot et la LVF, encore moins bien entendu sur Papon, dont on ne découvrira l’existence et le passé de collaborateur que bien plus tard. A l’époque, le mot repentance n’existait pas non plus : on voudrait donc revenir... en 1970 ? Alors que Nicolas Sarkozy, alias Guiano, a dit clairement haïr Mai-68 ? C’est une démarche à sens unique, de l’Histoire revisitée par un esprit malade, malade des événements qui se sont produits depuis la guerre froide. On sait M. Guiano fervent admirateur de Napoléon et de l’empire : il n’est pas obligé de vouloir nous y faire retourner. Là où un peu plus loin, sous Vichy.
Un député UMP à dit à la radio le 10 mai dernier que "Nicolas fait don de sa personne pour redresser la nation". Le maréchal Pétain avait affirmé faire de même à la radio également (avoir fait "don de sa personne à la France"). Il avait aussi écrit à sa jeunesse "Seul le don de soi donne son sens à la vie individuelle en la rattachant à quelque chose qui la dépasse, qui l’élargit et la magnifie". Nicolas Sarkozy a dit la même chose le 20 avril 2007 au micro de M. Apathie : "C’est un don de soi d’être candidat à la présidence de la République ? L’élection présidentielle, c’est pas un hasard. La campagne présidentielle, c’est un don de soi".
Pétain avait également coupé la France en deux, écrit Marc-André Cotton. "D’un côté ceux qui s’en remettent - bon gré mal gré - à l’autoritarisme paternaliste de Pétain : pour eux, la République a dépassé les bornes (les quarante heures, les congés payés) et la punition n’était que prévisible. De l’autre, ceux qui se décident à combattre et se rallient peu à peu autour d’une autre figure paternelle : le général de Gaulle". Or, et on a pu le constater sur ce site, les descendants et héritiers véritables de de Gaulle ne se reconnaissent pas en Nicolas Sarkozy, héritier d’un parti cousin direct de celui créé par le général. En définitive, on constate aisément, à la lecture de ces lignes, pourquoi le pouvoir actuel souhaitait tant glorifier la Résistance auprès des écoliers comme de tous les Français : pour éviter de parler d’un régime qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui qui est en train de se mettre en place.
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