Violences policières au lycée Paul-Bert, le 2 juin à Paris
Réunis ce matin aux portes du lycée Paul-Bert, dans le 14e arrondissement à Paris, pour accueillir François Fillon, Xavier Darcos et Rachida Dati, venus animer un débat au lycée, une centaine de lycéens, de professeurs et de parents d’élèves subissent l’assaut des CRS, donnant lieu à des scènes d’une violence injustifiée.
Petite pluie fine sur les policiers qui barrent la rue Huyghens, ce matin aux environs de 8 h 15. Au lycée Paul-Bert, on attend la visite de M. Fillon, M. Darcos et Mme Dati, venus animer un débat avec les élèves sur la prévention de la toxicomanie. Prévenus très tardivement de cette visite, il y a seulement quelques jours, environ 150 lycéens, professeurs et parents d’élèves se sont réunis pour une brève manifestation, un "comité d’accueil" pacifique.
J’étais là. Cet article péchera sans doute par défaut de documentation ; étant présente, mais pouvant à peine croire le spectacle que j’avais devant les yeux, je ne livrerai que ce que j’ai vu. Les journaux nationaux, eux, se chargeront sans doute d’une information plus globale.
Il est encore très tôt, mais l’organisation des forces de l’ordre semble déjà se déployer. Du côté du boulevard Raspail, des policiers barrent la rue, des membres de l’administration de l’établissement contrôlent et filtrent les élèves. À l’autre bout de la rue, pourtant, l’accès est libre, personne ne nous retient ; élèves d’un autre lycée, nous aurions pu sans problème pénétrer dans l’établissement. Nous nous faufilons entre quelques policiers, pour occuper une partie de la rue Huyghens. La plupart des personnes présentes sont des lycéens curieux, tranquilles, et nous attendons l’arrivée de "nos ministres". L’un de mes voisins réclame un autographe. Une première voiture se présente, les policiers nous demandent, plutôt gentiment, de reculer. Nous nous serrons sur les côtés, et attendons encore. "On veut étudier, pour pas finir policiers !" Quelques slogans, plutôt appropriés en la circonstance, résonnent parmi nous, des voix s’élèvent, mais aucun mouvement ne se produit.
Soudainement me semble-t-il, tranchant avec le calme des lycéens assemblés sous la pluie, une rangée de CRS se déploie, boucliers brandis devant nous pour nous forcer à reculer. Devant eux, les lycéens résistent, restent immobiles, refusent de reculer. Comment dire cela ? Soudain, les CRS se mettent à charger, enfonçant les rangs des lycéens, qui ne représentaient pourtant ni une menace ni un obstacle bien solide pour eux. Derrière les premières lignes, rudement atteintes par les boucliers des CRS, nous reculons, téléphones portables et appareils photos levés très haut pour filmer cet instant.
Un car de pompiers l’a sans doute emmené. D’autres ont filmé une jeune fille violemment tirée en arrière par un policier. Plusieurs jeunes, le souffle coupé, ont reçu de violents coups de boucliers dans la gorge et sur la poitrine.
Nous avons reculé sur le côté, de part et d’autre de l’extrémité de la rue Huyghens. Lorsqu’un certain calme revient, nous sommes serrés sur le trottoir et au croisement du boulevard Raspail. Nous décidons de faire à nouveau le tour pour gagner l’autre bout de la rue. Mais en un clin d’œil, des barrières ont été dressées derrière nous : une ligne de policiers nous bloque l’accès : "Non non, on ne sort pas. Restez là." Après plusieurs tentatives vaines — y compris lorsque nous demandons à rejoindre notre lycée pour assister à nos propres cours —, nous devons nous résigner à attendre sur la chaussée, encerclés par une trentaine de policiers. Pendant près d’une heure et demie, nous attendons la fin du débat de M. Fillon, M. Darcos et Mme Dati. Il y a là de nombreux lycéens, certains élèves du lycée Paul-Bert arrivés tardivement sur les lieux, mais aussi des représentants des parents d’élèves, notamment de la FCPE ou encore de l’UNL, l’un des principaux syndicats lycéens. Aucun moyen d’obtenir le droit de quitter les lieux ou d’aller aux toilettes dans le café voisin. Parqués comme des moutons, piétinant dans les flaques d’eau, attendant sans bouger et presque sans bruit le bon vouloir de ces messieurs. Quelques slogans familiers là encore, mais le temps semble affreusement long, jusqu’à ce que, sous les huées, les ministres accueillis au lycée Paul-Bert ne sortent de l’établissement. "Libérez nos camarades", crions-nous encore. Je ne suis pas sûre des chiffres définitifs : il me semble avoir entendu parler de trois blessés, et trois jeunes interpellés par les services de police. Après cela, et quelques brefs regards de consultation entre les policiers, nous sommes libérés et pouvons nous disperser. Je suis partie sans me retourner, car je sais que nous sommes nombreux à avoir filmé l’ensemble de la scène, à pouvoir garder une trace de cette violence inattendue et injuste.
En attendant une réaction médiatique devant ce déploiement de violence, quelles leçons tirer de cet événement ? La certitude que les manifestations de ce genre, en petit groupe, sont inefficaces et dangereuses ? Et celle, plus terrible, que les forces de l’ordre "ont la matraque facile", et ne reculent devant rien pour impressionner un groupe d’inoffensifs manifestants ?…