Vol à l’étalage & démarque inconnue
Une jeune femme enceinte accompagnée de son fils de 19 mois scanne ses courses et en règle le montant. Après son passage en caisse, un agent de sécurité l'invite à le suivre dans une pièce à l’écart du public pour « une relecture partielle » de ses achats. La cliente a oublié de scanner deux articles d’une valeur totale de 4 euros. Elle s'excuse mais le climat se tend : « Je n’en ai rien à foutre, vous êtes des voleurs ! ». La cliente après avoir été retenue une trentaine de minutes appelle la gendarmerie qui lui conseille de déposer plainte. Le lendemain 13 juillet, la cliente dépose plainte contre l'agent de sécurité pour : « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire d’otage ». La direction du magasin Leclerc de Libourne (Gironde) a ouvert une enquête interne.
Hyper et supermarché repose sur la vente en libre-service avec paiement des achats en une seule opération à des caisses de sortie. « Chaque minute, plus de huit mille euros de marchandises sont volés dans les grandes surfaces ». Les méthodes utilisées par les chapardeurs sont souvent déterminées par : le conditionnement du produit, son emplacement, la disposition du rayon, les zones laissées sans surveillance, et les routines des employés. Au hit-parade des articles dérobés : habillement dames - parfumerie - habillement hommes - quincaillerie - alcool, bière - chaussures - maroquinerie - articles de sport - papeterie - habillement enfants. La marchandise peut être emportée immédiatement ou dissimulée momentanément pour être récupérée ultérieurement, voire par une autre personne.
Le vol par la clientèle représente 40 à 60 % de la D.I totale estimée à quelques pourcents. Les grands magasins du Louvre (Paris) furent les premiers en 1855 à disposer d'un service d'inspecteurs en civil. Dans la démarque inconnue (vols commis par la clientèle, le personnel, un transporteur, ou un vigile) le responsable d'exploitation ne sait pas où est passé ce manque à gagner, ce qui n'est pas le cas de la démarque connue (marchandises périmées ou cassées). Les conséquences de la D.I entraîne : une perte de marge - un coût correspondant aux produits volés - une répercussion sur les investissements - influence sur l’emploi et la politique salariale.
La mission du vigile est de protéger les intérêts du magasin, prévenir un sinistre, surveiller la clientèle, les clients et les collègues susceptibles de porter préjudice à l'enseigne, protéger les clients des voleurs à la tire, participer à la surveillance incendie et les risques d’accidents, veiller au respect des consignes, constater les délits qui n’ont pu être empêchés (emballages vides dissimulés, images vidéo), rassembler les preuves, retenir le client et appeler la police.
Le client indélicat peut agir sur une impulsion liée à la tentation, à l’opportunité du moment, agir seul ou à plusieurs, commettre un acte prémédité. Le jeune consommateur porte son choix sur un objet de luxe pour la revente ou sur un objet mode qu’il ne peut s’offrir. Le larcin est parfois commis par bravade pour épater les copains ou y être poussé par un adulte. Le « professionnel récidiviste » présente bien, est beau causeur et séducteur (profil d'un escroc). Il opère bien souvent avec un complice et travaille avec un réseau pour écouler la marchandise dont on lui a parfois passé commande. Il ne prend pas de risques inutiles, s'il se sent repéré il reporte son larcin ou cherche à se débarrasser de l’objet volé. L’alcoolique ou le SDF vole par souci d’économie ou de nécessité, presque toujours sous l’emprise de l’alcool. Le kleptomane est un malade, il ne cherche pas le profit. Il dérobe des marchandises n’ayant que peu de valeur marchande et agit imprudement. Il s'agit souvent d'un récidiviste. Le drogué vole pour s’offrir sa « came », il prend la marchandise et part rapidement. L'interpellation à chaud, n’est jamais sans danger.
Si le voleur peut agir seul, il est bien souvent aidé par un complice pour faire le guet, servir de bouclier visuel ou physique et retarder l’intervention du vigile. Le complice peut adopter un comportement suspect pour attirer la surveillance sur lui afin de laisser le champ libre à son acolyte, mobiliser un employé en simulant un faux malaise, ou déplacer l’objet convoité afin d'en faciliter le vol par son complice.
L'intervention du vigile reste une phase délicate au niveau physique et pour l’image de marque du magasin. Si l’opération est mal ajustée il y a risque de dérapage et trouble du bon ordre du magasin. Une intervention à chaud peut vite dégénérer en scandale, en crise de nerfs, ou pire, en agression, surtout dans le cas de bandes de jeunes délinquants. Pour prévenir les aléas, l'intervention requiert : que la personne ait été vue prendre ou dissimuler la marchandise, que celle-ci soit supérieure à une somme minimum. Être épinglé dans la presse locale pour 4 euros ou avoir refusé l'entrée d'un malvoyant accompagné de son chien-guide ne peut être que contre-productif. Le vigile doit s'assurer que la personne ne s'est pas débarrassée de l'article, être capable d'identifier la marchandise volée, que celle-ci soit bien la propriété du magasin et que la personne a franchi les caisses.
L'interpellation doit être rapide et ne pas donner le temps à la personne de réagir, de provoquer un esclandre, ou se transformer en une invite à la provocation. Le vigile se doit d'agir avec tact et diplomatie. Il se présente avec assurance et discrétion. La tension appelle la tension. Une certaine sécheresse peut entraîner une escalade verbale et l’algarade. Il ne faut pas laisser de place à l’argumentation. Le vigile ne peut contrôler que le ticket, les articles dans le caddy ou dans le sac du magasin, jamais le sac personnel. Les questions sont faites entre les affirmations pour permettre à l’individu de s’exprimer et de réunir les éléments d’information. Pour démontrer que l’on ne réprime pas la personne, mais son acte, il faut faire montre d'intérêt à vérifier la réalité de l’infraction. Le vigile pourra mettre l’accent sur un oubli, l’inattention, minimiser ou banaliser le délit (vous êtes sans travail ?). Il lui faut donner l’impression qu'il est disposé à prendre en compte les remarques du client.
Le 11 juillet 1983, en réponse du ministre de la justice, il a été admis que : le contrôle du sac personnel du client doit être prévu dans le R.I et affiché aux caisses - le consentement du client est présumé acquis dès son entrée dans le magasin - le contrôle doit porter sur une invitation à présenter le sac ouvert, si le client refuse, l'agent ne saurait l'y contraindre de force. Un jugement du tribunal de Lyon du 27 novembre 1980 a condamné pour violences légères un inspecteur de magasin qui avait arraché violemment le sac des mains d'un client qui refusait de se prêter au contrôle en sortie du magasin. Il n'a pas été poursuivi pour la fouille (assimilée à une violation de domicile), car le fait de porter dans l'enceinte d'un magasin un sac porteur du logo ou du nom de ce même magasin, ne peut être considéré comme un sac personnel. Le tribunal de grande instance de Marseille a justifié dans un jugement du 28 janvier 1982, l'utilisation de l'article 73 du C.P.P pour un vigile qui avait appréhendé un client refusant d'ouvrir son sac. Un indice laissait à penser à une infraction. Rappelons que la clameur publique, au voleur ! au voleur ! constitue un indice légal de culpabilité justifiant l'intervention dans le cadre de l'article 73. Il en va de même pour la dénonciation d'une personne à l'égard d'une autre personne. Cette remarque vaut pour un individu ou objet présentant de façon apparente des traces suspectes (sang, produit maculant les billets ou le visage).
Article 121-5 du Code Pénal : « La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d’exécution, elle n’a été suspendue ou n’a manqué son effet qu’en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur ». Le vol à l’étalage est généralement considéré comme un vol simple, l'article 311-3 du CP prévoit trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende. La peine peut être portée à cinq années et 75 000 € d’amende en cas de violences. Si l'auteur reste non identifié, on dépose une pré-plainte en ligne contre X. La charge de la preuve incombe au responsable du magasin.
La retenue se fait de préférence à la sortie du magasin, et toujours après les caisses pour éviter « j'avais la tête ailleurs ». Ne jamais discuter ou chercher à rationaliser en public. L'agent insiste plus sur l’oubli involontaire que l’acte délibéré et demander à la personne de bien vouloir le suivre dans le bureau. Ne jamais utiliser un moyen de contrainte pour conduire la personne dans un lieu privé. Si le vigile conduit la personne dans un bureau (lieu privé et non plus public par destination ), attention à la provocation. S'il s’agit d’une femme, elle pourra invoquer des arguments de nature sexuelle pour détourner son inconduite. Prendre la précaution de se faire assister d’une femme qui pourra être témoin.
La fouille est réservée à un OPJ, l'agent se doit de demander au client de bien vouloir vider poches et sac, mais ne saurait l'y contraindre et celui-ci peut parfaitement taire son identité. La personne n’ayant été retenue que le temps strictement nécessaire aux vérifications, le responsable prévient la police ou la gendarmerie à moins que l'établissement ne dispose d’une politique autre. Pour ne pas engorger les services de police et ne pas voir l'augmentation de pratiques illégales, la Chancellerie a mis en place une procédure simplifiée (circulaire Bruno Cotte, 1985) élaborée en collaboration avec le ministère public, les responsables des grandes surfaces, la police et la gendarmerie nationale.
Pour le vol d'articles d’une valeur inférieure à 300 € les policiers proposent généralement une amende forfaitaire délictuelle (loi n°2022-52 du 24 janvier 2022, stipulée à l’article 311-3-1 du Code pénal). Cette procédure doit respecter les points suivants : l'auteur doit être surpris en flagrant délit - reconnaître les faits - restituer la marchandise ou en régler le montant (exiger une somme d'argent pour ne pas engager une poursuite peut être assimilé à un chantage) - décliner son identité. Un formulaire préétabli est rédigé en commun. La victime (le magasin) y relate l'infraction dont elle a été victime, les faits comme ils se sont déroulés, fixe son préjudice, précise si elle a été indemnisée ou si la marchandise a été restituée, et indique si elle désire porter plainte. D'autre part, l'auteur de l'infraction déclare reconnaître le fait, précise son accord pour l'estimation du préjudice et décline son identité (on ne saurait l'y contraindre). Le document est transmis au parquet qui procède à une vérification pour voir s'il s'agit d'un délinquant primaire (première infraction commise) ou d'un récidiviste et prendre en compte des circonstances du délit : nature du vol, montant, le mode de dissimulation, complicités, la personnalité, la situation économique, etc. Si la valeur dépasse 300 €, une plainte simplifiée peut être déposée à condition de fournir les éléments justificatifs attestant du vol (témoignage, images vidéo-surveillance, reconnaissance de vol par l’Intéressé.
Le responsable du magasin ne peut sans contrevenir aux articles 30 et 40 de la loi informatique et libertés du 6 janvier 1978, procéder à un fichage particulier des clients indélicats ni afficher leur photo ! Dans la pratique les magasins font appel à la police dans les cas suivants : individu déjà connu pour vol, refus de coopérer, il s'agit d'un « professionnel », valeur élevée de la marchandise, refus de signer une reconnaissance de vol, drogué, coups et blessures volontaires lors de l’interpellation. Si le représentant du magasin se trouve en présence d'un mineur et qu'il décide de ne pas faire appel à la police, il ne doit jamais le laisser repartir seul. Il doit avertir ses parents, ou à défaut, la police nationale.
Le défenseur du magasin ne manquera pas de faire remarquer au tribunal que la cliente a suivi l'agent volontairement d'un lieu semi-public (ERP) à un lieu privé (bureau) ! A-t-elle manifesté son intention (verbalement ou physiquement) de quitter le bureau et l'agent de le lui refuser ? D'évoquer qu'elle était en possession de deux articles et le mode de dissimulation. S'agissait-il d'un oubli, de tester la sécurité avant de s'enhardir (qui vole un œuf volera un bœuf George Herbert XVI°) ? L'état de nécessité n'est plus retenu par les tribunaux pour les vols à l'étalage car difficile à caractériser. Le parquet de Poitiers avait interjeté « appel du jugement de relaxe rendu, le 5 février 1997, en faveur d'une mère de famille qui avait volé de la nourriture pour ses enfants et récusé l'« état de nécessité » invoqué par le tribunal ». Une correction, une précision, une remarque ?
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