Volcan au-dessus d’un nid de coucous

L’Europe vacille non plus sous les armes du 20ème siècle mais plie face à un nuage de cendres rejeté par un volcan islandais. Aéroports fermés, vols annulés et des millions de passagers bloqués. Une paralysie des transports sans précédent, pire que celle consécutive aux mesures de restriction prises pendant les 48 heures ayant suivi les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Cette situation ressemble par bien des traits au déroulement de la gestion pandémique. De quoi alimenter une fois de plus la réflexion sociologique sur notre monde contemporain gagné par des peurs et jouant intempestivement du principe de précaution. Nous avons l’impression que cette vieille Europe, ne sachant plus quel est son destin, se plaît à dégainer des dispositifs restrictifs visant à combattre un ennemi, un jour viral, un autre jour climatique et cette fois, un ennemi constitué d’un matériau naturel, la particule de cendre rejetée par un facétieux volcan islandais. C’est quand même préférable à 1939, quand les armes parlaient au nom de l’Histoire. En 2010, les experts décident, les politiques apposent leur signature médiatique et les citoyens subissent pour certains, alors que le Net se prête aux analyses, aux débats mais aussi au bavardage.
L’instrumentalisation de l’Histoire
H1N1, vous vous souvenez. Un nom qui fit frémir, car il évoquait un autre virus du même nom auquel on a imputé quelque cent millions de décès en 1918. Les éditorialistes y sont allés de bon train, comme s’il était de mise de jouer à se faire peur et inquiéter le citoyen lambda en réveillant de vieux démons bioactifs. C’était de bonne guerre et nécessaire pour justifier la mise en place de ce plan de lutte. Un effet de propagande aussi vieux que Sun Tse et que connaissait très bien Ellul. Dans le cas de ces cendres volcaniques, il n’était pas vraiment utile de rappeler un précédent. Mais comme le jeu de la peur n’est pas réservé aux seuls dépositaires de l’autorité publique, quelques facétieux internautes se sont plus à rappeler cet épisode très connu des historiens de l’Ancien Régime. En 1783, un volcan islandais fit des siennes. Des milliards de tonne de lave, des cendres ayant semble-t-il entraîné des modifications climatiques, avec des conséquences sur la santé publique, sur l’agriculture, avec peut-être des famines et des tensions consécutives ayant joué un rôle dans la Révolution de 1789. Cet événement a effectivement eu lieu, sauf que la zone volcanique concernée est situé dans le Laki, zone parcourue par plus d’une centaine de cratères qui se sont réveillés en 1783, déversant cent fois plus de lave que l’Eyjafjöll, volcan dont on a recensé quatre éruptions, l’avant-dernière remontant à 1821 et la dernière en avril 2010. Rien de comparable avec les cratères du Laki. En plus, deux époques distinctes. A la fin du 18ème siècle, les conséquences du volcan furent physiques et biologiques. En 2010, ce petit volcan a eu des conséquences aussi importantes à cause de la sensibilité du dispositif technique aérien, amplifiée par la sensibilité psychique à des risques qu’on peut penser imaginaires mais qui sont rationnellement construits.
Et la raison ?
La raison, parlons-en, dirait Malebranche, le méconnu cartésien qui permit d’en finir avec la chasse aux sorcières en démontant les arguments des juges princiers de l’époque. La raison aurait dû permettre d’établir l’absence de risque aérien dans les zones éloignées de plus d’un millier de kilomètres du volcan, et ce, avec l’effet de dispersion somme toute considérable. Par ailleurs, on s’étonne d’une absence de détection des particules volcaniques. C’est de la désinvolture ou alors de l’incompétence. Les phénomènes de rejet de cendres ne datent pas d’hier tout de même ! Enfin, il y a eu le précédent du volcan Grimsvtön et ses deux éruptions récentes, celle de 1998 et celle novembre 2004, pendant le match Kerry-Bush. A cette époque, des cendres ont été rejetées et ont même parsemé certains territoires scandinaves et nord-américains. Pas le souvenir d’une fermeture des aéroport ni d’incidents aériens à répétition.
Hier soir, sur la 5, Michel Polacco, pilote et médiarque attitré dans les questions d’aviation, a tenté de jouer les juges de paix en désamorçant la polémique à coup d’arguments pas tous convaincants. Evoquant un vol effectué ce week end, il confia ne pas avoir vu de nuage mais a prétexté l’absence de données sur la taille des particules. Or, si on consulte le site des géologues islandais, on constate que des estimations fiables sur la taille des particules sont disponibles depuis le 15 avril. Ce petit détail rappela sans doute le traitement des données pandémiques de juillet 2009 montrant la faible incidence virale alors que les mesures les plus drastiques étaient toujours annoncées par le gouvernement.
La réaction médiatique et le traitement par les journalistes
Le principe de précaution a été appliqué avec le même zèle excessif que pour la grippe. C’est du moins ce qu’on peut penser. Mais cette fois, il n’y avait pas les enjeux commerciaux pharmaceutiques et c’est même le contraire, les compagnies sont asphyxiées, pertes énormes, chômage technique, sans compter le désordre lié aux millions de passagers en souffrance. Alors, comme les liens d’intérêts sont absents, les mêmes qui condamnaient le zèle pandémique semblent approuver les mesures prises par les autorités aériennes. Comme quoi, les gens seraient prêts à accepter un petit risque grippal, du moment que des intérêts pharmaceutiques seraient derrière, alors qu’ils refusent le moindre risque aérien, allant sans doute jusqu’à juger courageux les experts du vol commercial. Ces phénomènes en disent long sur les processus psychiques, la plupart inconscients. Quelque part, on assiste à un déni de réalité. J’ai bien tenté d’expliquer les ressorts de la peur pandémique en mettant en amont les experts et leur zèle apeuré, rien n’y fit. Les gens sont persuadés que les labos sont à l’origine du pataquès vaccinal. Ils ne veulent pas admettre que les experts sont faillibles et peuvent tout simplement faire preuve d’autoritarisme ou d’incompétence amplifiée par la peur au cas où…
Autre phénomène médiatique intéressant, le traitement de la controverse par les journaux. Contrairement à l’épisode pandémique où il a fallu attendre des mois pour entendre des voix discordantes, cette fois, la polémique gronde. Ce qu’on peut comprendre au vu des intérêts financiers en jeu dans les compagnies aériennes et le désagrément de millions de passagers, les uns coincés sans le sou à New York, obligés de se faire dépanner par des tentes militaires pour un toit d’infortune ; les autres, privés de séjour ou de croisière, dont le prix payé passe par le compte familial pertes et profits. Les médias sont faces à un réel criant. Les conséquences de ces annulations de vols ne touchent qu’une minorité mais elles ont un impact sévère. La simple piqûre de vaccin, à côté, c’est du détail. Les médias pouvaient passer l’éponge sur le dispositif antigrippal, même si l’addition serait salée mais collective. Au passage, peut-on soupçonner quelque effet de classe dans le traitement de l’information ? Je n’irais pas jusqu’à certifier que la polémique enfle parce que les journalistes font partie d’une catégorie de personnes qui, avec les bobos, empruntent souvent l’avion et donc, se sentent concernés et solidaires par une connivence de préoccupation avec les passagers frustrés. N’empêche que le site Slate, si soucieux de protéger contre la grippe les populations par la voix de son duo pathétique Flahault et Nau, se trouve en première ligne pour dénoncer l’excès de précaution suite aux facéties volcaniques. Osant parler d’un brouillard dans le raisonnement tout en évoquant une analyse tout aussi critique du confrère Libération, le journal qu’on emporte dans un avion après l’avoir acheté dans le kiosque de l’aéroport.
A noter ces frasques sémantiques devenues courantes, presque tactiques, pour cadrer l’opinion publique. Pandémie, le mot fut lâché dans les médias. Pour faire croire à une menace. Un mot jugé excessif même par les experts de l’OMS dont on reconnaîtra le souci de l’autocritique. Les mots ne sont pas toujours utilisés pour signifier le réel mais parfois pour le travestir. Ainsi, nous avons appris que des avions de lignes ont effectué des tests en traversant le nuage de cendres. Ont-ils survolé l’Islande ? Bien sûr que non. Ils ont juste effectué des liaisons locales ordinaires. Ce nuage de cendres, ils ne l’ont pas vu de leurs yeux. Mais quand les médias parlent de traverser un nuage de cendres, ça peut être utile, ça peut avoir un impact sur les esprits et de ce fait, excuser, pour autant qu’il y a lieu de le faire, les mesures intempestives décidées au nom du principe de précaution qui risque bien de finir en cendres.
Les politiques ont communiqué comme il se doit. Pour calmer l’opinion et justifier l’infaillible justesse des décisions d’experts. La politique n’est plus le lieu des espérances citoyennes consignées par le suffrage universel. Elle tend à devenir une pratique psychothérapeutique. Il faut expliquer, faire de la pédagogie disent les politiques, sous-entendant au passage qu’ils sont des voix du pragmatisme quotidien face à des citoyens désorientés par des pratiques leur semblant dénuées de bon sens, voire desservir leurs intérêts. Comme l’avait compris Ellul, les enjeux techniciens dépassent la politique.
Une société sous la menace de l’accusation
Les politiques se servent du cas de la canicule censé faire jurisprudence en matière de gestion des crises, jurant qu’on ne les prendrait plus et que chaque fois qu’un soupçon de danger se présentera, ils mettront tout ce qui est disponible pour minimiser les conséquences, quitte à viser le zéro défaut. C’est un trait d’époque. La médiatisation monte la meute de l’opinion contre des coupables vite désignés pour sevrer les convulsions du ressentiment. Imaginons qu’un avion ait eu un problème grave pendant cet épisode volcanique. Tout de suite, avant même l’enquête officielle, l’analyse des faits, des éléments, vous auriez eu face à vous la montée en puissance du tribunal médiatique dont le principe est de livrer un coupable avant toute instruction. Le monde veut aller vite. Pas le temps de jauger. Il faut liquider les affects psychopathiques mais en agissant intempestivement, ces affects n’en sont que redoublés.
La déraison est partout présente. Les brèves de comptoir glosent sur d’éventuels procès en cas de responsabilité des autorités, avec des conséquences financières importantes. Les gens ne savent plus compter. Même s’il est sordide, le calcul d’hypothétiques indemnités, en cas d’un éventuel crash dont l’enquête soupçonnerait qu’il est dû à un défaut de réactivité de réacteurs dans un périmètre fixé autour du volcan, même s’il est sordide, ce calcul chiffre le coût d’un tel procès à un niveau bien inférieur à ce que qu’a coûté la fermeture des liaisons aériennes. Même le marché perd sa raison calculatrice, c’est dire si l’époque est troublante et pleine de contradictions que les pauvres errances citoyennes ne parviendront pas à solutionner. Quant aux jeunes, ils ont de bonnes raisons de douter de l’avenir.
Nous sommes tous devenus dingues et l’époque se place sous les auspices de la raison délirante. La pandémie de dingues gagne le monde.
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