Vraie violence et faux naïfs
Depuis la « crise » de 2007-2008 les peuples d’Europe (limitons-nous aujourd’hui à eux), subissent une violence polymorphe et quotidienne, générée aussi bien par les faits : chômage massif, récessions, insécurité (due essentiellement et malgré les discours musclés à la paupérisation progressive des appareils d’Etat) mais aussi par un sentiment, que rien ni personne ne sont en mesure de démentir, que demain sera pire qu’aujourd’hui. Ce sentiment est doublé par un autre, celui de l’injustice flagrante de toutes les mesures prises aussi bien au niveau national qu’européen. S’y ajoute une autre violence, plus pernicieuse : depuis cinq ans ces mesures scandaleusement injustes ont fait la preuve de leur inefficacité. Cependant ceux qui les prennent jouissant d’une impunité flagrante, cela leur permet de persister dans l’erreur. En d’autres termes, la notion même de démocratie se meurt. Survient ainsi l’énième violence faite aux peuples : personne n’a vraiment le sentiment que ceux qui décident sont élus, et, ceux qui le sont semblent dépourvus de tout pouvoir ou de toute volonté de contester le train-train de la fabrique de décisions injustes et inefficaces. Par contre, ils semblent très adroits pour allumer des contre-feux, lancer des faux débats, parler haut et fort sur des sujets certes polarisants mais hors sujet. Comme si, conscients de leur incapacité d’agir sur l’essentiel, ils sont tentés de faire la preuve de leur existence en transformant des moulins à vent en dangereux barbares.
Ainsi, juste pour sauver leurs propres meubles, les « dirigeants » européens ajoutent des angoisses futiles pour amuser les bien fondées, lancent des faux débats pour esquiver les vrais, travaillent leurs opinions publiques sur du futile pour en cacher l’essentiel. Si l’opinion « marche » un temps, c’est toujours du « temps gagné » pour les dirigeants, mais ce mécanisme pervers et violent, en remettant à « plus tard » les vrais choix, il les rend illisibles, les noie, les esquive, renforçant chaque jour un peu plus un sentiment violent d’insécurité existentielle chez leurs citoyens qui finissent par se sentir enfermés au centre d’un cyclone vicieux et opaque, un labyrinthe tueur de sens à force de les mener de virtuelle Charybde en illusoire Scylla.
Pourtant, malgré cet agglomérat de violence polymorphe institutionnelle une partie des citoyens finit par deviner tous ces facteurs anxiogènes et à réagir. Survient alors l’étonnement pseudo-naïf des dirigeants politiques - comme ce fut le cas du président Hollande à sa dernière prestation télévisuelle -, qui s’inquiètent de la radicalisation du discours politique contestataire et de la radicalité sémantique citoyenne. Pourquoi tant de haine se disent-ils, tant de hargne, tant de cris. La réponse est pourtant très simple. La radicalité, sous n’importe quelle forme, survient toujours lorsqu’il y a une impasse politique, un glacis institutionnel, un sentiment que le système politique est verrouillé, que l’anti-discours institutionnel reste aphone, que le projet se décline comme une fatalité, une voie unique, un moindre mal, que l’espoir et l’utopie, déguisés en Titans, sont voués à jamais aux Tartares.
C’est en effet titanesque de concevoir un changement radical des institutions européennes pour contrebalancer l’hybris de leur pouvoir, prométhéen et arachnéen à la fois. Mais c’est une condition impérative, la seule qui, introduisant de la démocratie, c’est-à-dire du contrôle social, empêchera que l’Europe se suicide à coups de décisions qui punissent les peuples à la place des banquiers.
C’est en effet titanesque de vouloir changer radicalement le système financier et pourtant, c’est la condition impérative pour que ce dernier ne se suicide pas devant nos propres yeux, à force de générer de l’entropie, à force de décisions contradictoires, injustes et chaotiques et qui le contredisent jour après jour.
Mais c’est aussi titanesque de vouloir revenir à l’Etat-Nation, et ceux qui y pensent devraient en assumer et exhiber la sueur et les larmes qui en découleront, s’ils veulent être plus cohérents et moins futiles que ceux qui nous gouvernent.
C’est justement par ce que les projets politiques se doivent aujourd’hui titanesques, qu’ils sont systématiquement occultés. Mais révolutionner un monde désormais ingérable - et invivable pour le grand nombre -, est une nécessité. Faire croire pour les uns que c’est simple, c’est une imposture. Faire croire pour les autres que le problème n’existe pas, c’est justement assumer la violence des non ou des faux - choix et précipiter notre monde vers une explosion entropique sans fin, sans finalité et sans espoir.
Bref, c’est de Clisthène dont nous avons besoin, et non plus d’Alcibiade et d’expéditions en Sicile.
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