Adoption : pratiques discriminatoires (il)légalement organisées ?
Ce mardi 22 janvier 2008, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la France pour discrimination à l’égard d’une institutrice célibataire qui s’était vue refuser en 1998 le droit d’adopter en raison visiblement de son homosexualité. Cette décision de la CEDH, qui contraste sensiblement avec l’arrêt qu’elle avait pris en 2002, fait vraisemblablement sauter les verrous de l’adoption d’un enfant par les personnes homosexuelles. Suscitant un tollé attendu chez les plus conservateurs et sans doute quelques interrogations au sein de l’opinion publique, ce verdict de la CEDH met surtout en avant l’organisation de pratiques discriminatoires au cours de la procédure qui permet aux candidats à l’adoption de recevoir l’indispensable agrément.
En 1998, un service d’Aide sociale à l’enfance (ASE) refusait à une femme célibataire le droit d’adopter au motif plus ou moins officiel de l’absence de figure paternelle. Il faut admettre que, sur la base d’un tel argument, on comprend assez mal pourquoi certaines femmes célibataires obtiennent l’agrément et d’autres pas. Il aura finalement fallu dix ans et deux rejets par les instances juridiques nationales pour que l’homosexualité affirmée de la plaignante soit finalement reconnue au niveau européen comme ayant été déterminante de cette décision de l’ASE. En condamnant la France pour discrimination, la CEDH dénonce donc l’illégalité de ce motif invoqué par l’ASE, la législation française autorisant de fait l’adoption d’enfants par les personnes célibataires, figure paternelle ou pas.
Au-delà de la problématique récurrente de la sexualité de l’adoptant, cette affaire met surtout en avant la violation des droits de l’homme (et en particulier celle du principe d’égalité) par les autorités administratives françaises et tout spécialement, dans le cas présent, par les services d’aide sociale à l’enfance. Car il s’avère que les homosexuels ne sont pas les seuls à faire les frais de mesures discriminatoires au cours de la procédure d’agrément, mesures considérées généralement comme socialement acceptables au nom de "l’intérêt de l’enfant". Mais qu’en est-il, justement, de l’intérêt de l’enfant ?
Au cours de la longue et pénible procédure d’agrément, les candidats à l’adoption rencontrent successivement une assistante sociale et un psychologue ou un psychiatre qui procèdent respectivement à l’évaluation des conditions de vie et à l’examen psychologique des personnes. Par le biais de ces entretiens ainsi que par la visite des lieux de vie, l’intimité des candidats est inspectée, passée au peigne fin à la recherche d’éléments susceptibles de faire pencher la balance en faveur ou en défaveur de la délivrance de l’agrément. Tout est fouillé, remué, et tout semble susceptible d’entrer en ligne de compte dans la décision finale. Mais au nom de quelles études scientifiques les mandatés de l’administration jugent-ils que telle ou telle donnée de la vie des personnes concourt ou se heurte aux intérêts d’un enfant qui, jusque-là, n’a pas de parent ? Quelles sont ces études psychologiques ou sociopsychologiques qui montrent qu’un enfant est significativement moins heureux lorsqu’il est élevé sous la responsabilité d’une personne seule ? Et/ou célibataire ? Et/ou homosexuelle ? Et/ou obèse ? Et/ou immigrée ? Et/ou aux revenus modestes ? etc. Aucune, en réalité : les décisions relatives à l’adoption sont le plus souvent prises avec la plus grande subjectivité, au nom d’un ordre moral établi, au nom de "l’évidence"... une évidence selon laquelle deux personnes mariées et aux revenus importants feront de bien meilleurs parents qu’une femme célibataire aux revenus modestes, une évidence indépendante de toute législation et de tout argument scientifique qui piétine allègrement le principe d’égalité des droits entre les citoyens pourtant inscrit dans la constitution française.
Ainsi, au nom de l’intérêt de l’enfant et sous couvert de protéger des individus ayant souffert d’un traumatisme, des mesures discriminatoires seraient prises (il)légalement par les services de l’ASE dans l’indifférence la plus totale. Rien ne justifie pourtant que l’agrément soit accordé à certaines personnes et pas à d’autres à partir du moment où les candidats n’ont commis aucune infraction pénale et qu’ils sont physiquement et mentalement aptes à élever un enfant. Dans l’état actuel des choses, en tout cas, en triant sur le volet les candidats à l’adoption, les services de l’ASE participent activement à la conservation du modèle patriarcal judéo-chrétien et à la perpétuation d’un système social inégalitaire.
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