L’ar-t-istocratie et nouvelles aristocraties
Voltaire, ce libéral, disait à propos d’un noble : "Vous descendez de votre père, moi je monte d’un tonnelier".
Le samedi 24 janvier 2009 au soir, sur France 2, cela faisait 1 h et 38 minutes que l’émission de Laurent Ruquier était commencée, et cela faisait pratiquement vingt ans que je l’attendais. Un événement journalistique s’est déroulé sous nos yeux. Un moment de vérité transparut, comme il y en a peu en télévision. -“Pourquoi y a-t-il autant d’enfants d’acteurs qui deviennent acteurs, est-ce que c’est parce que c’est un métier facile ?... ” demandait Eric Zemmour à Josiane Balasko qui accompagnait sa fille Marilou Berry, puis Maïwenn Le Besco et Aurélien Wiik. Alors que vous ne faisiez que votre métier de journaliste en posant une question simple et avec retenue à ces quatre artistes, tous fils d’acteurs, vous vous vîtes opposer, comme c’est curieux, une cacophonie, une dénégation farouche à ce que sous-tendait habilement votre question : est-on revenu aux temps pré-révolutionnaires où la Naissance prévalait sur le mérite et, dans ce qui nous occupe, le talent.
Votre question, c’était visible, était plus complexe. Josiane Balasko, pétrie de colères en tous genres mais avant tout finaude, l’avait bien compris. La forte réaction de ces trois actrices réunies était symptomatique de la gêne qui frappe les nantis du spectacle, qui n’aiment pas certaines questions, dont celle-ci, comme d’autres portant sur leur domiciliation fiscale par exemple.
Alors que cela crève les yeux de tous ceux qui savent regarder encore, un journaliste ne doit surtout pas évoquer, même finement, la question du rôle des origines socio-économiques, voire confessionnelles, dans le parcours des rares élus que l’industrie du cinéma et de la télévision contribue à élever au rang de mythes modernes, de talents, de génies, a affubler d’une auréole héritée du seul mérite de leurs pères.
Un petit retour sur l’histoire du spectacle nous rappelle ce tabou de la profession. Naguère, avant les avancées sociales de l’intermittence du spectacle, les artistes jeunes et beaux, n’ayant ni naissance ni moyens de subsister (pas les fils “à papa”, donc...) s’élevaient dans la hiérarchie de leurs métiers grâce à un savant mélange de talent artistique dans la journée et de talent personnel le soir. Mécènes particuliers, bienfaiteurs, étaient les titres choisis par ces messieurs du “demi-monde”. Cela recouvrait une prostitution de luxe, dépeinte par Degas, qui ne se cachait même pas dans le foyer de l’opéra Garnier. La sulfureuse danseuse Guimard, les Marie Dorval et leurs descendantes. Cela aurait-il changé ? Oui. Mais pas tout à fait...
Or, se défendre d’être parvenu à ce niveau de notoriété grâce à “papa”, comme le font régulièrement les nantis du spectacle, revient à un aveu maladroit de prostitution. À tout le moins, proclamer qu’on s’est fait tout seul, dans le monde d’aujourd’hui, où il faut lever une armée pour exister, c’est juste malhonnête de le laisser penser. Maïwenn piquée au vif, on se demande pourquoi, se contentait d’asséner sa vérité : “C’est un faux débat !” alors qu’il n’y a pas débat plus authentique en république. Mais ce débat n’intéresse pas les parvenus, les oligarques ou leurs émules.
Le rêve de Jaurès s’éloigne de plus en plus, et il a fallu attendre qu’un journaliste de droite libérale, comme vous M. Zemmour, en fasse état publiquement, du bout des lèvres. Quelle ironie...
Pour étayer ces propos peu amènes sur la condition de nos stars adulées, je propose une petite promenade.
Imaginons une petite visite du dimanche au “Père-Lachaise”. Nous sommes en 2109. Y aurait-il assez de place pour accueillir ces dynasties qui s’étalent sur nos plages, s’alignent sur nos pages en 2009, et s’alignent ensuite le long des belles allées du fameux cimetière ? Famille Dutronc, Famille Chedid, Famille Delon, Famille Brasseur, Famille Sardou, Famille Berling, Famille Doillon-Birkin-Gainsbourg, Famille Lelouch, Famille Drucker, etc. Sur une autre allée, un peu plus loin, des caveaux non moins richement dotés : Famille Debré, Famille Mitterrand, Famille Pasqua, Famille Sarkozy, Famille Tchérèque, Famille Le Pen, Famille Giscard, Famille Chirac, Famille De Gaulle, et leurs cousins de portefeuille, Famille Bolloré, Famille Bouygues, Famille Pinault, Famille Lagardère, Famille Rotschild, Famille Bettancourt, Famille Dassault...
Nous sommes de plus en plus et de façon continue soumis au discours, souvent convenu des fils et des filles "de" : (au hasard et sans préférence) des soeurs Le Besco Maïwenn et Isild, des Romane Bohringer et son père, Sophie Marceau (la fille du cuisinier du cinéma, légende-même du casting), Mélanie Laurent, Marie Gillain, Julie et Guillaume Depardieu, Marilou Berry, Vanessa Paradis et sa soeur Alysson, la fratrie Stevenin, Mélanie Doutey, Aurélien Wiik, Christian Vadim et Chiara Mastroianni, Clovis Cornillac fils de Myriam Boyer, Vincent et Cécile Cassel, Les soeurs Bruni-Tedeschi, les soeurs Seigner, Soren Prevost, Sara Giraudeau, Laura Smet, Emmanuelle Béart, Arthur Jugnot, Arthur Higelin, David Halliday, Jeanne Herry, Marie-Anne Chazel, Marius Colucci, les frères Sitruk, Sarah Biasini fille de Romy Schneider, le fils Goldman, Jeanne Balibar fille de grands universitaires parisiens, Federico Alagna qui démarre dans la carrière dynastique, etc. Même France Gall était fille d’un ponte de l’ORTF...
Non que certains d’entre eux ne soient pas méritants... certains le sont, et comment. Mais combien ont acquis ce statut, et surtout le conservent sur la durée, avec bien plus d’aisance que d’autres tout aussi talentueux mais plus éphémères, malgré le travail quelquefois acharné...
“L’Ecole, s’il y a bien un endroit où je n’ai rien appris c’est bien là” Marilou Berry
Ce qui est irritant dans le discours des “fils-à-papa”, c’est le relatif dédain vis-à-vis de l’Ecole. L’occurrence se présente encore dans cette émission où Marilou Berry se vante d’avoir poussé jusqu’à la Seconde... Certains construisent leur mythe autour d’un statut de cancre, Drucker est célèbre pour cela (Michel, pas Jean ni sa fille Marie). Tel est est le rêve “américain” transposé à la société française qui consiste insidieusement à faire accréditer l’idée que la fréquentation assidue de l’école et l’effort que son travail demande ne sont pas forcément gages de réussite sociale. Véritable poison mental pour la France “d’en bas” car notre école, malgré ses lourdeurs et ses démissions, reste bien le seul lieu d’égalité sociale devant l’injustice de base de ce que la Révolution Française a tenté d’abolir : la Naissance.
Eux, visiblement n’ont pas besoin d’un tel lieu, et ils le proclament à la face de ceux qui, même diplômés, sont exclus du travail. Quelle élégance.
A ce propos, comme pour contrer le propos de Eric Zemmour, Marilou Berry a sorti : “Beh non, Victor Hugo, il a eu un fils qui faisait quoi ?” François-Victor Hugo, Mademoiselle, écrivait justement ; on trouve ses traductions de Shakespeare à La Pléiade. Pour le savoir, il faut soit ouvrir une Pléiade, soit être allée à l’école...
Et puis, les pistonnés nous disent qu’ils bossent eux aussi et qu’au bout du compte, s’ils ne font pas l’affaire, on les fout à la porte ; ce n’est pas si simple. Dans un orchestre, si le premier violon n’a pas le niveau, oui, il est viré. Dans le cinéma, c’est plus subtil. On voit d’ailleurs une commission s’apprêter à décerner un César à un acteur aussi faible que le défunt Guillaume Depardieu, alors... Il faut avoir le courage d’expliquer que pratiquement n’importe qui peut faire du cinéma, avec une petite formation, tant c’est l’affaire de toute une équipe ; de l’agent au réalisateur en passant par le directeur de la photo qui soignera bien mieux votre présence à l’écran si vous êtes le fils “de”... que si vous êtes Dupont le provincial.
Le piston existe de tous temps et ne se limite pas aux filles et fils “de”.
J’ai moi-même, après avoir galéré de nombreuses années et milité d’autres années, obtenu un logement social en plein Paris pour ma famille de quatre, et encore, parce que nous étions expulsés d’un logement vendu. J’ai eu, moi aussi, mon quart d’heure de piston glorieux. Que celui qui n’a jamais été pistonné jette la première pierre ! Quasiment tout le monde y a eu recours, et c’est presque constitutif de toute société humaine. Pourquoi nos jeunes élites s’en défendent avec autant de force ? Même Jésus de Nazareth a été élevé au rang de “fils-à-papa”, sans concurrence possible. Lui qui n’était que le fils d’un charpentier et d’une jeune fille de 15 ans.
Le star-system fonctionne donc bien selon un principe pas du tout républicain, la création de titres de noblesse. Mais quand l’accès à la richesse et au succès devient héréditaire, que devient le principe d’égalité et l’ascenseur social qui va avec ? Une utopie, un rêve déraisonnable, et certes pas une machine à vendre.
Représentation, sur-représentation.
À présent, passons à des considérations plus délicates mais non moins sensibles.
La question de la sur-représentation des élites se pose, et à l’intérieur de celle-ci une autre question plus dérangeante, sur la représentation des minorités. Arrêtons l’hypocrisie : vous l’avez remarqué comme moi, cher Eric Zemmour, de façon empirique, puisqu’il serait mal venu de tirer des statistiques, que nous sommes face à une extraordinaire exposition de la communauté juive dans l’audio-visuel français. La population française est constituée de 65 % de catholiques, 6% de musulmans, 1% de protestants et 2 % de juifs (26% autres et athées). Ce ratio ne correspond pas à ce que le robinet-à-images déverse tous les jours. Un coup d’oeil à l’onomastique des génériques des fictions, des émissions, et on voit l’appartenance de ceux qui travaillent, entre les consultants financiers interviewés, les journalistes à l’image, et les chroniqueurs etc. Les mêmes familles reviennent, même de ceux qui restent dans l’ombre. Cela se dit sous le manteau dans le métier, j’en atteste, et votre connaissance du terrain vous place mieux que moi pour savoir tout cela. Bravo donc à votre initiative, cher M. Zemmour, car soulevez le lièvre et c’est tout le terrier qui se révèle.
A-t-on pensé à propos que la population française, première population musulmane d’Europe, ne va pas -peu à peu- par la force de la répétition, se rendre compte de l’omniprésence d’une même élite dans les sphères télévisuelle, intellectuelle, scientifique, financière et dans le spectacle ? Les principaux outils d’information véhiculent des expertises, mais aussi du rêve, de la fiction, une certaine représentation du monde, divulguée par une élite aux allures d’exemplarité, qui se met en scène à Hollywood de façon mélodramatique pour ne pas dire manichéenne, en définitive qui a droit de cité de façon disproportionnée.
La communauté musulmane ne peut qu’assister au spectacle de la prédominance de la communauté voisine. Sachant cela, on n’est pas surpris qu’il y a en France une recrudescence d’actes antisémites, brisant ce mur de verre comme il y a ailleurs un mur de sécurité. Dans le même temps, on nous rabâche bien tranquillement qu’il “ne faut pas importer chez nous le problème israélo-palestinien”, en fait, qu’il faudrait faire comme si tout cela ne se voyait pas et ne suscitait pas des jalousies ! Faut-il donc s’étonner de voir ce que M. Edgar Morin appelait, dans un article du Monde désormais fameux, non pas l’antisémitisme mais “l’antijudaïsme arabe” monter aux périphéries urbaines ? Il serait apaisant pour ces tensions, dont se plaignent à juste titre les juifs de France, de mieux faire respecter cet équilibre de la représentation. Mais comme vous l’avez fait remarquer ce soir là, les néos-aristocraties se forment là où il y a de l’argent à se faire. Et en France, on sait comment finissent les aristocraties.
Ce soir là sur France 2, Mme Balasko jurait ses grands dieux n’avoir jamais sollicité pour que sa fille soit employée. (sans remettre en cause le talent personnel de Marilou). Elle ne disait qu’une chose : “elle a fait un conservatoire d’arrondissement... puis elle a été naturellement refusée dans une grande école de théâtre, parce qu’ils trouvaient qu’elle manquait d’expérience, mais elle a été en même temps prise dans deux films, parce qu’elle avait du talent et qu’il fallait une petite grosse”. Merci Maman. Refusée pour manque d’expérience dans une école, mais déjà prise dans deux films...
Allez, Mesdemoiselles les jeunes actrices un peu rondes, séchez vos larmes, on a compris.
L’auteur, comédien athée d’origine catholique, tient à garder l’anonymat tant le sujet ici traité pourrait lui être dommageable. D’origine très modeste, formé pendant huit années, entièrement sur concours, dans les écoles publiques d’ art dramatique et lyrique, a pu décrocher, sans agent, deux castings entre 1991 et 1998, a joué quelques spectacles devant des salles vides, avec le tort d’être provincial, hétérosexuel, de ne s’être jamais livré aux turpitudes qu’on lui proposait, et surtout de n’avoir jamais eu l’occasion, lui non plus, d’être parrainé par qui que ce soit. Comme par hasard.
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