Loi sur la rétention de sûreté, le champ de la psychiatrie dit non
Alors que les décrets d’application de la loi relative à la rétention de sûreté et la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ont été publiés le 4 novembre, tout un pan de notre psychiatrie s’élève contre ce texte en mettant en ligne une pétition dénonçant une législation fondamentalement liberticide. Cet hiver déjà, le débat avait été fort houleux entre la chancellerie et les différents professionnels de la justice et de la santé mentale tant le texte voté par le Parlement mettait à mal un sacro-saint principe posé par notre droit pénal post-révolutionnaire et depuis jamais remis en cause, à savoir que toute condamnation pénale impose au préalable un passage à l’acte criminel.
Le texte qui fait l’objet de cette pétition, s’il est encadré par quelques garanties dans sa mise en œuvre, propose, à titre exceptionnel, de maintenir enfermé dans un centre socio-médico-judiciaire, « les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à quinze ans pour certains crimes et qui présentent, à l’issue de leur peine, une probabilité très élevée de récidive et une particulière dangerosité résultant d’un trouble grave de leur personnalité ».
Robert Badinter était aussitôt monté au créneau faisant valoir une tradition juridique clairement établie par notre loi pénale, démontant avec verve et méthode la loi de rétention de sûreté, jugeant celle-ci illégitime et néfaste pour les libertés individuelles.
Mais il ne fut pas le seul à s’ériger contre ce texte qui rompt brutalement avec une tradition juridique empreinte tout autant de bon sens que de juridisme puissant. L’Ancien Régime avait, en son temps et suffisamment longtemps, bafoué nombre de libertés individuelles, niant l’individu dans sa dimension humaine. Il suffit de lire, ou bien même de relire, le célébrissime ouvrage de Michel Foucault Surveiller et punir, pour prendre la mesure de la trajectoire suivie par les peines infligées aux infracteurs d’hier et d’aujourd’hui.
Mais, la véritable révolution en matière de droit pénal fut l’œuvre de Cesare Beccaria, inspiré qu’il fut par d’illustres penseurs. Dans un ouvrage majeur intitulé Des délits et des peines, publié en 1766, il posa les principes fondamentaux qui guideront désormais les législateurs en matière de droit pénal. Les travaux éclairés du Marquis s’inscrivent encore dans la réalité contemporaine de notre droit, et personne n’oserait les remettre en question, notamment l’essentiel principe de légalité qu’il énonçait ainsi : « nullum crimen, nulla peona sine lege », soit en français : « pas de crime, pas de peine sans loi ». Peut-on être plus clair ?
Dès lors, n’est-il pas légitime de se dresser contre un texte de loi qui prévoit la possibilité de retenir enfermé un individu ayant pourtant effectué la totalité de sa peine mais qui serait considéré comme « particulièrement dangereux » par une commission pluridisciplinaire ? N’est-il pas sain de dire son refus à l’encontre d’un texte qui, non content de mettre à mal une tradition pénale mesurée et réfléchie, est en fait le fruit d’une volonté politique dictée par la loi du fait divers, illustrant parfaitement ce que Denis Salas nommera avec force le populisme pénal ?
Quand bien même cette loi semblerait se prémunir de toute dérive en proposant un cadre bien défini, force est de constater que le mal est fait car le fond du texte demeure profondément choquant dans la mesure où il autorise certains individus à se prononcer sur la putative dangerosité d’un criminel qui aurait une forte probabilité de récidiver.
On comprend aisément le malaise que ce texte peut induire chez les praticiens de la psychiatrie qui se sentent instrumentalisés dans leur pratique. Il est aisé de deviner qu’ils seront, de fait, ceux sur qui reposera l’impossible diagnostic de dangerosité avérée.
Pour autant, l’appel ne fait pas fi des victimes et de leur famille, rappelant une vérité qu’il est essentiel de dire :
« La monstruosité de certains crimes et la souffrance terrible des victimes, dont chacun est saisi, sont utilisées pour aveugler la raison et céder aux politiques prétendument efficaces. C’est une manœuvre démagogique. On sait par avance que cette politique ne résoudra en rien le problème des criminels récidivants. Par contre ce dont on est sûr, c’est que ce dispositif, d’abord destiné à des populations restreintes, s’étendra progressivement, au nom du principe de précaution. Ce fut le cas des mesures d’obligation aux soins, initialement destinées aux agresseurs sexuels, et qui sont aujourd’hui appliquées à une part croissante de personnes condamnées, quel que soit leur acte. »
Aussi, sous prétexte de garanties impossibles à tenir, le législateur a entériné un texte fondamentalement illégitime et injustifié, nos tribunaux disposant déjà de tout l’arsenal nécessaire afin de prononcer des peines quasi illimitées à l’endroit des individus ayant commis les actes les plus ignominieux qu’ils soient. Faut-il rappeler combien le filet pénal n’a eu de cesse de s’élargir durant la décennie passée tout en durcissant considérablement les peines pour les auteurs d’infraction en récidive, consacrant le principe des peines plancher ? D’ailleurs, un projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle, faisant suite au rapport Lamanda, est en cours d’élaboration au sein de notre Assemblée, c’est dire combien le sujet demeure d’actualité.
Enfin, qu’adviendra-t-il de ce texte s’il se trouve qu’aucun praticien n’accepte de siéger au sein des commissions pluridisciplinaires qui devront se prononcer sur la pertinence d’une mesure de rétention de sûreté ?
Citoyens, à vous de signer.
Illustration : Couverture du rapport de l’Observatoire national de la délinquance, 2007.
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