Peut-on assumer la « démocratie référendaire »
Le candidat Sarkozy fait campagne sur la promesse qu’il sera « le Président qui redonne la parole aux Français ». Il s’est ainsi engagé sur au moins deux référendums : l’un destiné à assouplir les conditions de reconduite à la frontière des étrangers en séjour irrégulier et l’autre destiné à assurer une formation des demandeurs d’emploi assortie d’une obligation, pour les bénéficiaires, d’accepter le premier emploi qui leur serait proposé. Une façon de légiférer que contestent ses adversaires dans la course à l’Elysée mais qu’il assume en revendiquant l’avantage de mener des réformes sans s’embarrasser des corps intermédiaires accusés d’orchestrer des blocages systématiques pour des raisons purement corporatistes.

En tout cas, rien n’oblige les candidats à s’accorder sur la place du référendum dans notre démocratie. L’élection présidentielle est aussi l’occasion pour les électeurs d’opérer des choix tranchés des modèles de société qu’ils estiment convenables au pays. Le modèle proposé par Nicolas Sarkozy est donc celui qui prône un recours plus fréquent à l’expression populaire directe. Les Français qui adhèrent à ce projet attendent naturellement de leur candidat qu’il assume la logique des référendums jusqu’au bout. Ils n’attendront pas longtemps l’occasion d’une « mise à l’épreuve ».
Une promesse de campagne rapidement mise à mal
En effet, un texte européen majeur est actuellement en voie d’adoption. Le texte définitif du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire, communément appelé « Pacte budgétaire européen » doit être adopté en mars 2012 par les Chefs d’Etat et de gouvernement. S’ouvrira ensuite une période des ratifications. Le Traité, dont l'entrée en vigueur est prévue pour le 1er janvier 2013, suscite en France un vif débat sur les modalités de sa ratification compte tenu des transferts de souveraineté que nous concédons ; et non seulement.
Les obligations auxquelles la France devra se conformer en application du Pacte budgétaire européen, notamment la fameuse « Règle d’or » limitant le déficit public structurel à 0,5% du PIB nominal, auront incontestablement un impact significatif sur les politiques publiques et réduiront la capacité de la France à maintenir son modèle social. Autrement dit, un renoncement partiel aux acquis de notre souveraineté nationale et un consentement au contrôle extérieur sur les choix politiques que nos élus nationaux seront amenés à opérer. Tout ce qu’il faut pour justifier la demande d’une approbation populaire directe.
Seulement voilà ! Alors que le gouvernement irlandais annonce que ce traité sera soumis au référendum, le gouvernement français semble s’acheminer vers une ratification par la voie parlementaire qui permet de contourner le risque d’un rejet au référendum. Une attitude schizophrène qui contraste avec les discours de campagne et qui met à mal la sincérité de l’engagement du candidat Sarkozy consistant à « redonner la parole aux Français ». Peut-on vraiment croire à l’avènement d’une démocratie référendaire ?
Référendum, une expérience démocratique douloureuse
Il faut reconnaître, à la décharge de nos responsables politiques, que la France, contrairement à d’autres démocraties comme la Suisse, n’est pas habituée à légiférer par voie de référendum. Les rares fois qu’elle s’est prêtée à cet exercice, le pays en est sorti profondément affecté. Le dernier référendum en date, celui du 29 mai 2005 sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe, a donné lieu à d’âpres débats, brouillant les clivages politiques. Le « non » l’a nettement emporté (55%) entraînant un psychodrame national et une crise institutionnelle qui a paralysé la poursuite de la construction européenne.
Si le rejet de la dérive libérale dans laquelle sombre progressivement l’Europe explique le vote « non », on estime qu’une partie non négligeable des électeurs, ont exprimé à l’occasion de ce référendum un « ras-le-bol » contre la personnalité du Président Chirac. L’occasion de rappeler que le résultat d’un référendum peut aussi être l’expression d’une défiance vis-à-vis des dirigeants en place et non seulement la réponse à la question posée. Nicolas Sarkozy en a tiré les conclusions en faisant ratifier un texte de substitution, le Traité de Lisbonne, par la voie parlementaire en février 2008. Un choix lourd de conséquences pour son image. Il traînera pour longtemps l’accusation de ses adversaires selon laquelle il a un jour bafoué la volonté du peuple.
Un autre référendum a laissé des traces dans la vie politique française. Il s’agit du référendum sur le Traité de Maastricht approuvé in extremis (51,05 %) le 20 septembre 1992. Il a laissé une moitié des Français dans un sentiment de « défaite » et de désolation. Certains politiques qui avaient appelé à voter « non » ont mis du temps à s’en remettre. Accusés d’être des « anti-européens » ils en sont encore, vingt ans plus tard, à se justifier, voire carrément à s’excuser d’avoir voté contre le sens de l’histoire.
La méfiance du législateur
Le référendum reste ainsi un procédé normateur qui ne se prête pas à la banalisation. La majorité actuelle doit en être consciente comme en témoignent les restrictions dont elle a truffé la réforme institutionnelle de juillet 2008, destinée à élargir les conditions de recours au référendum. Il y a lieu de croire que cette réforme a été tout bonnement « sabordée », alors qu’on s’attendait à l’introduction en France du référendum d’initiative populaire. Le législateur s’est employé à imposer des limites particulièrement drastiques.
En effet, aux termes de l’article 11 de la Constitution issu de la loi de juillet 2008, le recours à l’expression populaire directe, en dehors du cas de l’initiative présidentielle, ne peut s’opérer qu’ « à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales… Les conditions de [la] présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect »[1] de cette disposition « sont déterminées par une loi organique ». Pour l’anecdote, la disposition issue de la réforme de 2008 est toujours entre parenthèse et en italique dans la Constitution (article 11) en attendant que la fameuse loi organique soit un jour adoptée pour en définir les modalités.
Difficile d’imaginer ce qui motiverait les parlementaires à voter une loi autorisant le référendum, ce qui reviendrait à partager leur pouvoir législatif. Déjà que l’activisme du gouvernement laisse peu de marge aux parlementaires en matière d’initiative législative, comment imaginer qu’ils puissent supporter les initiatives d’un législateur nettement plus imprévisible appelé « peuple ».
Car les Français ne manquent pas de sujet sur lesquels initier des référendums. La diversité des thèmes faisant l’objet des « votations » chez nos voisins suisses justifie de toute évidence que la France, pays plus vaste et plus complexe, pourrait difficilement se prêter aux « caprices » de la démocratie directe. Il ne semble pas responsable d’envisager sérieusement qu’un pays aux allures d’un empire planétaire, avec un territoire étendu sur cinq continents (Métropole, Antilles, Îles du Pacifique, Terres Australes, Réunion, Mayotte, Saint Pierre et Miquelon, Antarctique…) avec une mosaïque des peuples et une grande diversité culturelle, puisse ouvrir les vannes aux initiatives populaires en matière législative. La démocratie représentative ne va pas si mal.
La question de la responsabilité du Président
Finalement, à l’état actuel du droit, seul le Président de la République, aux termes de l’article 11 de la Constitution est en situation d’initier un référendum. Un pouvoir d’initiative qui perdrait en légitimité s’il n’est pas assorti de l’engagement de la responsabilité du Chef de l’Etat. Car autant le Premier ministre engage la responsabilité de son gouvernement en demandant au Parlement, dont il est l’émanation, d’adopter « en l’état » un texte (article 49-3), autant le Président de la République qui demanderait au peuple, dont il est l’émanation, d’adopter « en l’état » le texte du référendum devrait en tirer les conséquences en déposant sa démission en cas de désaveu populaire.
C’est la conception du Général de Gaulle à laquelle il serait sain pour la démocratie que ses successeurs consentent à se conformer. Autrement, la France serait malmenée par un usage abusif du référendum dont les résultats pourront être contournés, le Président se réservant la possibilité de faire adopter un texte de substitution, en cas de rejet, par la voie parlementaire. On s’épuiserait inutilement dans d’interminables débats référendaires dont on connaît les effets dévastateurs sur la cohésion nationale.
Boniface MUSAVULI
[1] Article 11 de la Constitution.
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