Pour une meilleure intelligibilité de la règle du jeu électorale
Ce dimanche, une partie d'entre nous va pouvoir participer au renouvellement de la moitié des conseillers généraux. C'est l'occasion de se pencher sur la singularité française - une de plus - qui tient à la multiplicité des modes de dévolution des pouvoirs délibératifs et exécutifs aux différents échelons de puissance publique.
Le pouvoir délibératif, expression qui vise à englober à la fois le parlement national et les conseils des collectivités territoriales, est en effet dévolu par le peuple de façon extrêmement variable. Pour simplifier, on retiendra deux grandes familles de modes de scrutin : les scrutins purement majoritaires, d'une part, et les scrutins plus ou moins proportionnels, d'autre part.
Les députés nationaux et les conseillers généraux sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours. Sous l'effet conjugué du caractère uninominal du scrutin et de l'attraction qu'exerce l'élection présidentielle sur la vie politique, les Français se méprennent souvent sur la portée de ces élections : ils ont l'intuition erronée d'élire la personne appelée à administrer qui le canton qui la circonscription, et non un « législateur » destiné à représenter la collectivité dans son ensemble, et non ses seuls électeurs. Les candidats les induisent d’ailleurs en erreur en présentant un programme pour la circonscription et non pour la collectivité entière. Christian ESTROSI, maire de Nice, expliquait ainsi récemment qu’à ses yeux le rôle du député était d’arpenter les ministères pour arracher des subventions au profit de sa circonscription…
Ce mode de scrutin admet des triangulaires, voire des quadrangulaires, contradictoires avec le principe même du second tour qui est de dégager une alternative. Il conduit néanmoins à la bipolarisation de la vie politique, ce qui n’est pas un mal en soit, mais en privant de représentation des courants politiques importants (Europe Ecologie, Front national). De plus, pour être équitable, ce système suppose une révision régulière du découpage des circonscriptions. Cette condition est remplie, tant bien que mal, pour les députés, elle ne l’est pas du tout pour les conseillers généraux. Il n’est ainsi par rare d’observer des écarts de population de 1 à 20 entre cantons du même département, quand le Conseil constitutionnel n’admet que des écarts de 20 % au plus pour les circonscriptions législatives.
Les conseillers régionaux et municipaux (dans les communes de plus de 3500 h.) sont élus selon un mode de scrutin mixte. Une fraction des sièges (la moitié pour les communes, le quart pour les régions) est attribuée à la liste arrivée en tête au second tour. Le reste est réparti entre toutes les listes à la proportionnelle. Ce mode de scrutin évite les confusions auxquelles donne lieu le scrutin majoritaire. Il conduit à politiser les scrutins, ce qui est plutôt pertinent s’agissant d’élections politiques. Il est censé rompre le lien personnel entre l’élu et l’électeur, mais c’est ce lien trop étroit qui conduit l’élu à fréquenter plutôt les inaugurations dans sa circonscription que les travées de son assemblée.
Quant au pouvoir exécutif, il est dévolu de deux façons principales : le scrutin direct et le scrutin direct et le scrutin indirect.
Le Président de la République est élu au suffrage universel direct au niveau national. C’est l’élection phare, celle à laquelle les Français sont objectivement le plus attachés et qui connaît les taux d’abstention les plus faibles. Cette dévolution directe se conjugue avec une forme de dévolution indirecte, à travers la responsabilité du Premier ministre devant l’Assemblée nationale, résidu du régime parlementaire des IIIe et IVe Républiques. Cette responsabilité, qui n’a plus été mise en jeu depuis 1962, justifie un contrôle étroit du gouvernement sur la procédure législative qui contribue à l’abaissement des Assemblées et à l’absentéisme parlementaire.
Inversement, les maires et les présidents des régions et des départements sont élus au scrutin indirect, par les conseils des collectivités considérés. Cette situation découle du fait qu’à l’occasion de la décentralisation de 1982, on s’est contenté de transférer les compétences du préfet aux présidents des assemblées, sans doter les collectivités d’un véritable exécutif, au mépris du principe de séparation des pouvoirs. Il en découle que les exécutifs locaux ne peuvent être destitués par leurs assemblées. Le pouvoir local est ainsi organisé comme un régime présidentiel, mais sans les contrepouvoirs et contrôles propres à ce type de système alors que le pouvoir exécutif national, malgré la figure du Président de la république, reste structuré formellement selon le régime parlementaire.
Pour améliorer la compréhension de la règle du jeu électorale par les citoyens, et leurs permettre ainsi de s’approprier pleinement l’élection, il conviendrait d’opter pour un schéma général qui s’appliquerait, pour l’essentiel, aux élections de tous les échelons.
1. L’assemblée de chaque collectivité (et l’Assemblée nationale) serait élue au scrutin :
· de liste, pour éviter toute méprise sur le sens de l’élection,
· à la représentation proportionnelle, pour garantir le pluralisme et la parité,
· avec une prime majoritaire de 25 % des sièges (comme au scrutin régional), pour dégager une majorité,
· avec une possibilité d’apparentement entre listes (comme sous la IVe République) pour que les formations associées tirent partie d’une dynamique collective, tout en concourant sous leurs propres couleurs.
2. L’administrateur (maire, président) de chaque collectivité serait élu au suffrage universel direct (comme le Président de la République) pour un mandat de même durée que l’assemblée, et juste avant le renouvellement ce celle-ci.
3. Les assistants de l’administrateur (ministres, vice-présidents, adjoints) seront élus par l’assemblée sur présentation de l’administrateur.
4. L’assemblée pourra destituer l’administrateur avec une majorité qualifiée (majorité absolue des deux chambres du Parlement au niveau national, majorité des 3/5 de l’assemblée dans collectivités locales.
5. La durée des mandats serait réduite (4 ans maximum) et peut-être hiérarchisée (il n’est pas logique que les mandats soient plus longs dans les collectivités de proximité qu’au niveau national).
6. Nul ne pourrait exercer de mandats dans plus d’une collectivité (pour prévenir les conflits d’intérêts illustrés par les déclarations de Marie-Luce Penchard) ni remplir plus de deux mandats consécutifs (pour introduire un peu de respiration et éviter les mandats à vie).
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