La crise dite du "subprime"
apparue comme certaine et lourde de conséquences durant l’été 2007 est
loin d’être terminée. Elle va sans doute "pourrir" l’économie mondiale
de l’année 2008 ou tout du moins son premier semestre. Revenons donc
sur les mécanismes générateurs de cette crise, sur leurs conséquences
et les éventuelles leçons de micro-économie que nous pouvons en tirer...
Tout commence avec Mister John Doe, membre de la "lower-middle class"
américaine. John et sa petite famille, locataires d’un appartement
franchement pas terrible pour les $1,000 de loyer hors charges qu’ils
paient, décident qu’ils seraient tellement mieux dans une maison dont
ils seraient les heureux propriétaires... Mr & Mrs Doe
gagnent à deux à peu près $3,500 nets par mois, ont déjà quelque
$1,000 de mensualités de crédit à la consommation (2 voitures,
l’électroménager, la "flatscreen TV", le PC...) qui courent et voudraient une maison qui vaut $250,000 ("3 bedrooms, 2.5 bathrooms").
En empruntant sur trente ans à un taux fixe de 5 %, il leur faudrait
rembourser chaque mois plus de $1,400 soit plus de la moitié de leurs
disponibilités. Leur banque leur a dit que cela n’était pas possible,
mais ils ont vu à la télévision des publicités qui parlent de
mensualités allégées les trois premières années et se rendent chez l’un de
ces "mortgage brokers" qui leur propose le "non-refusable" :
ils n’auront à payer, pendant les 36 premières mensualités, que $1,000
par mois correspondant à un taux allégé de 5 % et un remboursement
totalement minimal du capital emprunté. A l’issue de cette période, le "broker" les en persuade, leur maison vaudra plus de $300,000, peut-être $350,000, et il sera facile de re-financer
ce prêt sur d’autres bases. Sinon, le taux sera porté à +7 % et la
mensualité incluant un remboursement du capital passera à plus de
$1,600 et ce, pour les 27 ans qui suivent...
Mr Doe est Américain (donc optimiste, court-termiste voire "gambler"),
comprend qu’il y a un risque, mais se dit que l’immobilier n’a cessé de
monter depuis quelques années et que cela n’a pas l’air de devoir
s’arrêter et que trois ans c’est très long... Ce serait bien le diable si,
à la fois, pendant cette période de trois ans, les prix de l’immobilier
devaient stagner ou décliner et leurs revenus à lui et son épouse ne
pas être améliorés de $600 !
Nous sommes en 2004 et Mr & Mrs Doe signent pour 3 + 27 ans et emménagent dans leur nouvelle maison...
En 2005 et 2006, les prix de l’immobilier dans le secteur où les Doe
résident n’évoluent pas à la hausse au contraire, les revenus du couple
progressent un peu, mais moins vite que leurs encours de crédit à la
consommation (il a fallu meubler la maison et équiper le jardin...) et
nos amis se retrouvent à l’échéance des trois premières années
"propriétaires" d’une maison qui vaut moins de $250,000, un emprunt
immobilier de $250,000 dont le capital n’a été que marginalement
remboursé, leur "mortgage broker" et ses confrères qui leurs disent que refinancer leur emprunt est impossible et une mensualité qui passe brutalement de $1,000 à $1,600. Ils jettent l’éponge...
Comme
ils ne sont pas les seuls, les prix de l’immobilier prennent une
tendance plus forte à la baisse (loi de l’offre et de la demande),
l’organisme prêteur exerce son hypothèque et saisit ("foreclosure") leur maison qui est estimée maintenant à moins de $200,000. Une fois retirés les "fees" liés à son défaut de paiement, Mr Doe
n’est plus propriétaire de sa maison qu’il a dû quitter et il doit
toujours $70,000 qu’il remboursera sur 25 ans à raison de $500 par
mois. Un incident de carrière pour lui ou son épouse et la "personal bankruptcy" (faillite personnelle) est avérée ! La suite pour la famille Doe sera alors du Mark Twain version XXIe siècle...
Ce qui crée une crise, c’est bien entendu le fait que le cas des Doe n’est pas isolé (on trouvera, d’ailleurs, nombre d’histoires encore plus sordides avec des masures à $50,000 achetées à crédit par des malheureux aux revenus extrêmement modestes) : il y a eu, aux Etats-Unis, environ 600,000 "foreclosures" en 2006, sans doute plus en 2007 et il y en aura sans doute encore plus en 2008 (sachant que certains "subprime loans" sont en 5 + 25 au lieu du 3 + 27 des Doe). Cela fait des millions de maisons saisies dont la valeur à la vente immédiate ("firesale")
est très faible puisque l’on ne prête plus dorénavant aux gens qui
pourraient avoir envie de les acheter et dont la valeur est plus qu’incertaine.
Des millions de maisons au prix initial de $200,000 pièce, cela fait
des centaines de milliards de dollars qui ont fondu au soleil et dont
personne n’est capable d’apprécier la valeur résiduelle !
Pour amortir le choc, le gouvernement américain a encouragé le maintien dans les lieux des néo-ex-propriétaires
et le fait de différer le fameux passage couperet du taux bonifié au
taux majoré : en quelque sorte, il propose que ces victimes deviennent,
dans l’intervalle, des locataires qui croyaient devenir propriétaires !
Au moins, la majorité d’entre eux ne vivront l’expulsion que dans
quelques années et pourront s’y préparer d’ici là...
Une
telle crise a, au-delà de mettre à la rue ou de flouer lourdement
quelques millions de personnes (ce qui est terrible pour les personnes
concernées, mais finalement assez bénin économiquement quand on sait que
ces personnes disposent de revenus modestes et donc d’une capacité de
consommation également modeste), révélé des mécanismes de titrisation (en anglais "securitization") des sommes prêtées. Ces véhicules d’investissement ("Mortgage backed securities" ou MBS)
ont permis aux organismes prêteurs de financer les prêts accordés à
ceux qui seront leurs victimes en attirant les banques du monde entier
(ainsi que des fonds d’investissement de type "hedge fund")
avec un produit à bon rendement prévisionnel (puisque les conditions du
prêt au-delà de la période initiale sont "usurières") et pourtant
rassurant puisque ayant
comme sous-jacent des hypothèques sur des biens immobiliers dont
personne ne veut penser que la valeur puisse s’effondrer brutalement...
Sauf que lorsque le cercle vicieux décrit plus haut s’enclenche, les
souscripteurs des MBS
(à savoir les banques américaines d’abord et celle du monde entier
ensuite) deviennent la deuxième sorte de victimes du mécanisme...
Ces victimes touchées au plus profond de leur "
core business"
(qui est de prêter l’argent des uns aux autres en garantissant aux uns
qu’ils ne perdront pas cet argent et en s’assurant que les autres vont
bien rembourser) ne savent pas combien cela va leur coûter : combien
valent les maisons déjà saisies ? Combien de défaillances
va-t-on
observer en 2008, 2009 et 2010 ? Mystère et boule de gomme... Tant que
l’on ne sait pas, on ne sait pas quelle banque peut faire faillite et,
si on est soi-même banquier, si on est capable de prêter de l’argent à
court terme aux autres banques ou à moyen/long terme aux entreprises ou
aux particuliers. La confiance dans le système est ébranlée et cela
donne le fameux "
credit crunch" qui peut conduire à une récession économique aux
Etats-Unis et à un ralentissement général de l’économie mondiale...
Les
auditeurs vont faire leur travail sur les comptes 2007 de l’ensemble
des banques touchées. Tous seront tentés d’être rigoureux dans
l’analyse des conséquences financières pour chacune de leurs banques
clientes : l’affaire Enron leur a appris que le temps de la "conciliance"
était révolu. Cependant, tous n’auront pas tous les éléments leur
permettant de faire une mesure exacte des dommages et aucun ne
souhaitera mettre véritablement en péril le bilan de clients aussi
importants que les banques...
Nous aurons donc au cours du premier trimestre 2008 un certain nombre d’annonces rassurantes indiquant que les "write-off" passés et prévisionnels sont dorénavant "dans les comptes" et que l’affaire des "subprimes"
est derrière nous. Nous aurons toujours, je le crains, au cours des
trimestres suivants des annonces comprenant de nouveaux ajustements à
la hausse des provisions passées au 31/12/2007. Tant que de telles
annonces seront de vigueur, la crise de confiance sera là et la crise
du "subprime" belle et bien vivace avec ses conséquences récessionnistes...
Un
jour de telles annonces cesseront et seront plus tard suivies par
l’annonce de plus-values exceptionnelles liées à la reprise du marché
immobilier américain (les fameuses maisons saisies qui trouveront à
nouveau des acheteurs à un prix supérieur aux "book values").
Il en va ainsi des cycles économiques et des bulles financières (qui
éclatent avant de toucher le ciel) et il y en aura d’autres...
L’hyper-puissance américaine est optimiste, court-termiste et a l’esprit "gambler"...
Elle vit à crédit aux crochets du monde entier tout en préservant le
rêve américain aussi bien pour le petit employé qui veut une maison
avec "2.5 bathrooms" que pour l’entrepreneur qui veut devenir "billionaire"... C’est la force et la faiblesse de ce grand pays et de son économie puissante : rien ne devrait le faire changer...
Après tout, durant les dix dernières années, de nombreux Américains aux revenus modestes ont pu accéder à la propriété grâce aux "subprime loans" en surfant sur la hausse de l’immobilier, de nombreux "mortgage brokers" ont bien gagné leur vie (voire fait fortune) et les gérants ou souscripteurs de MBS ont connu de très beau rendements... Cette crise ne fait que révéler qu’à un moment donné, l’économie réelle et l’économie financiarisée ne peuvent diverger durablement : le prix d’une maison lambda dans une banlieue modeste de l’Amérique profonde est forcément corrélé au niveau de revenus de ceux qui voudraient y habiter...
De
"grands sages" avaient prévu cette crise en sous-estimant ou non ses
conséquences. Elle était parfaitement prévisible, mais chacun s’est
simplement dit "
let’s move on" en espérant ne pas être le dindon de la farce.
Culturellement,
ceci n’aurait sans doute pas pu avoir lieu en Europe continentale et en
France en particulier : il est vrai que, chez nous, seul
l’Etat
a le droit de s’endetter au-delà du raisonnable... Il n’arrive,
d’ailleurs, même pas à payer les intérêts de sa dette sans emprunter à
nouveau et augmenter ainsi son niveau d’endettement ! Le "
subprime", c’est finalement "petit joueur" à côté !
Les Etats-Unis
se remettront, on peut en être sûr, de cette crise qu’ils ont
d’ailleurs fait financer, pour partie, par le reste du monde. Quant à l’Etat français, l’asphyxie lente de ses finances publiques permet de
maintenir l’illusion que nous sommes plus raisonnables que les Ricains
! Est-ce vraiment le cas ? Vaut-il mieux une grosse crise de temps en
temps ou un déclin lent et inexorable ?
Bonne année en tout cas !