Au royaume de la flexicurité
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Il était une fois un mardi 15 janvier 2008, par une journée pluvieuse et venteuse...
Ce mardi-là, les syndicats français ont majoritairement accepté (CGC, CFTC et FO pour l’instant, la CFDT se prononcera jeudi, la CGT a déjà fait part par ailleurs de sa non-acceptation en l’état) de signer le texte amendant la réforme du Code du travail en France. Il y a quelques mois encore, cela aurait paru inenvisageable, mais la pression présidentielle et gouvernementale a contraint les partenaires sociaux à s’accorder (faute de quoi ils légiféreraient d’eux-mêmes), forcé les syndicats à assouplir leurs revendications et à se mettre autour de la table avec le patronat afin d’envisager la réforme du travail en France.
A priori, rien à redire de cette négociation et de ces accords « bilatéraux ». La France à son tour entre dans l’ère de la flexicurité de l’emploi. Derrière ce barbarisme à la consonance proche du borborygme, c’est une transformation profonde du marché de l’emploi que la notion laisse envisager. Dans flexicurité, il y a tout d’abord flexibilité de l’emploi avec la possibilité de licenciement facilité pour l’employeur, des contrats de travail simplifiés, le recours aux contrats ponctuels de « mission », selon les besoins de l’entreprise. Mais il y a aussi sécurité, c’est-à-dire sécurisation des parcours professionnels, indemnisations généreuses entre deux périodes d’emploi, obligation de formation, etc.
Bref, sur le papier la flexicurité apparaît comme un idéal : preuve s’il en est, le modèle scandinave et son taux de chômage et d’inactivité beaucoup plus faible que l’ensemble des pays de la zone OCDE.
A l’heure de la précarité de l’emploi, des trajectoires professionnelles multiples et diversifiées, de la mobilité sociale et professionnelle, il était nécessaire de réformer le Code du travail. Peu d’individus aujourd’hui, quand ils en ont la possibilité, font leur carrière dans une même entreprise. Nous préférons désormais multiplier les emplois, les qualifications, comme on multiplie les rencontres, les amitiés, les amours. Il faut goûter à tout, expérimenter, s’aventurer. La société de la vitesse est aussi une société du zapping. Il faut vivre sa vie pleinement, à défaut de toujours la vivre correctement. Bref, les transformations sociales et culturelles sont aussi essentielles que les seules transformations économiques pour comprendre l’évolution des rapports de production.
Pour autant, cette flexisécurité à la française diffère sur certains points essentiels de la flexicurity scandinave en l’état actuel de ses propositions. Avant tout, examinons le modèle scandinave et ses spécificités.
- Primo, la centralisation des organismes de l’emploi et de l’assistance sociale sous un seul ministère. La fusion ANPE/ UNEDIC va dans ce sens en France.
- Deusio, un Code du travail très allégé avec peu d’intervention étatique au niveau de la législation. Là encore la volonté de vouloir « casser » la durée légale du travail va dans ce sens (même si depuis, M. Sarkozy est revenu dessus).
Voilà pour la partie flexibilité du concept tel qu’il s’applique aux économies scandinaves.
Regardons maintenant du côté de la partie sécurité : le modèle scandinave allie un dialogue permanent et constructif entre des patronats et des syndicats puissants. En outre, les salariés sont très bien pris en charge par l’Etat en cas de chômage en bénéficiant de prestations élevées contre une obligation de trouver rapidement un emploi. En France, encore une fois l’obligation d’accepter un emploi « acceptable » au bout de trois propositions avec un suivi individualisé des chômeurs va dans ce sens, mais, en revanche, les indemnisations chômage restent beaucoup plus faibles en France. Mais ce système repose aussi, et ce point est moins souvent souligné, sur une fiscalité très pesante pour les ménages et les entreprises, plus élevée que la fiscalité française qui demeure pourtant trop élevée, selon les entreprises.
Si ce mode de fonctionnement semble bien marcher au Danemark ou en Suède, avec un taux de chômage autour de 5 %, il n’en reste pas moins que la culture scandinave diffère de la culture française.
Le point essentiel sur lequel les divergences entre les deux situations me semblent suffisamment grandes pour faire peser le risque d’un surcroît de flexibilité de l’emploi par rapport à la sécurisation de ce dernier repose sur la place du dialogue social en France entre les partenaires sociaux.
En effet, à la différence des économies scandinaves, le syndicalisme français est faible, très faible même. Un seul chiffre qui atteste du fossé qui sépare nos deux modèles : la Suède a un taux de syndicalisation supérieure à 80 % quand la France peine à atteindre les 10 %. Et cela n’est qu’une moyenne, car sur ces 10 % l’essentiel se concentre dans la fonction publique ; pléthores d’entreprises privées (notamment les PME de moins de 50 salariés) n’ont pas de représentants syndicaux.
Dans ce cas, de quel poids pourront peser les syndicats face au patronat dans les négociations internes ?
De plus, ce n’est pas parce qu’un modèle fonctionne ailleurs, qu’il fonctionne partout : le Danemark, la Finlande, la Suède ne sont pas la France. Des différences majeures existent entre notre pays et les pays scandinaves : démographique tout d’abord (sans doute un aspect important), social et culturel ensuite (individualisme beaucoup plus marqué), historique (la lutte des classes n’a pas eu le même retentissement en Scandinavie que chez nous) et économique enfin (n’oublions pas que dans ces pays, la fonction publique occupe plus du tiers de la totalité des emplois).
Certes, il est sans doute nécessaire et même indispensable de réformer le Code du travail, mais il ne s’agit certainement pas de le transformer pour de mauvaises raisons qui renverraient à des considérations idéologiques plutôt que réellement sociales et économiques. Dire que la flexibilité réduit le chômage (« en licenciant plus facilement, on emploie plus facilement ») relève d’une pure rhétorique libérale : la réalité est bien plus complexe, d’autres variables entrent en jeu. Si on ne retient que celle-ci, on comparera (on le fait toujours) avec les chiffres du chômage aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne là où la flexibilité est maximum et le chômage relativement faible et l’on dira que la flexibilité de l’emploi favorise l’activité économique et le retour au plein-emploi. Mais alors, c’est masquer une partie de la réalité économique et sociale en focalisant le regard sur un aspect exclusif du problème. Si on ouvre un peu plus le diaphragme, on constate que dans ces mêmes pays, la précarité est bien supérieure à la France : le nombre de travailleurs pauvres ne cesse d’augmenter. Bien sûr, ces individus ne sont pas au chômage, bien sûr ils travaillent - 2 heures, 4 heures par semaine - mais leur condition de vie sont misérables.
Autre raison invoquée par les chantres de la libéralisation du marché du travail : la mondialisation appelle la flexibilité. L’équation est simple. Mondialisation = ouverture des économies = compétition internationale = nécessité d’être compétitif = réduction des coûts de production = réduction des coûts salariaux = flexibilité. Ce serait donc à cause de la mondialisation qu’il faudrait réduire les coûts de production qui pèsent sur les entreprises : mais c’est encore un faux problème ! Accabler la mondialisation, cette nouvelle hydre tentaculaire est facile, même si, par ailleurs, elle est encensée sans problème par ces mêmes pourfendeurs quand il s’agit de relancer la consommation des ménages. Pourtant, si l’équation paraît simple, l’axiome sur lequel elle repose n’est jamais interrogé.
Ce n’est pas en diminuant la masse salariale qui pèse sur l’entreprise (c’est-à-dire en flexibilisant la main-d’œuvre) que celle-ci pourra concurrencer des pays où les salaires sont en moyenne 4 fois inférieurs à ceux de la France. Mais les idéologues ne sont pas à un paradoxe près. Laisser cette idée se répandre, c’est laisser croire que tout le monde - et donc personne - est responsable de cette situation et qu’il n’y a rien à faire, sinon accepter d’entrer dans le jeu. Mais c’est un jeu perdu d’avance : dire que la flexibilité de l’emploi permet de sauver des bassins industriels menacés par la concurrence des pays émergents (Inde, Chine, Brésil, etc.), c’est comme si l’on considérait une compétition sportive où deux équipes de football se rencontraient pour la victoire : d’un côté, l’équipe la mieux formée a priori, mais aussi aux salaires les plus élevés, de l’autre la moins expérimentée aux salaires bien moindres. L’issue peut paraître effectivement incertaine. Ce n’est pas l’âge de l’équipe ni le salaire des joueurs qui font la motivation (encore que...). A une différence près, c’est que dans la situation présente, l’équipe la mieux formée part avec un handicap de 3 buts. On peut faire tout ce que l’on veut (agrandir les buts, jouer plus longtemps, etc.) : le handicap de départ est presque toujours insurmontable.
Alors, oui, il paraît nécessaire d’opérer à la réforme du Code du travail, mais à condition que cette réforme soit pragmatique, respectueuse des nécessités économiques ET sociales. La liaison n’est pas importante ; elle est essentielle. Afin que flexicurité ne rime pas seulement avec précarité. Mais que la protection sociale des salariés et des chômeurs s’en trouvent également renforcée. Car le risque de plus en plus prégnant qui menace nos économies contemporaines est celui de la disjonction croissante entre l’économique et le social. Là où le fordisme alliait l’efficacité économique à la justice sociale redistributive, le système parfois appelé post-tayloriste semble dissocier de plus en plus les deux dimensions. La flexibilité d’un côté, c’est la libéralisation du marché du travail des entraves à son fonctionnement « naturel ». La sécurité de l’autre, c’est l’interventionnisme de l’Etat afin de réguler au mieux le marché. Il ne faudrait pas que la flexicurité débouche sur une libéralisation de la sphère économique, avec pour l’Etat social le rôle du pompier qui interviendrait uniquement pour sauver les accidentés, les délaissés, les exclus du système. Or, pour éviter cela, il faut un dialogue social où les deux parties soient fortes. Pour s’assurer de la sécurisation des parcours professionnels, il s’agirait aussi peut-être de réformer à son tour le syndicalisme français en le rendant plus fort, plus puissant, plus à même de peser dans les négociations avec le patronat.
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