Chômage partiel, ou la mutualisation du risque libéral !
Dans une ambiance de panique évidente à quelques semaines de l’élection présidentielle, ça foisonne tout d’un coup d’idées et de solutions aux problèmes qui pourtant minent la France depuis des années. On ne sait que dire de ces idées « géniales » lorsqu’elles sont émises par ceux-là même qui dirigent la France depuis plus de dix ans, voire davantage, et qui, bizarrement, ne les ont jamais mises en œuvre. Soit ces idées sont réalisables, ce qui en fait un authentique aveu d’incompétence de la majorité sortante, soit elles ne le sont pas, ce qui renvoie à de l’agitation purement électoraliste. Ainsi, le chômage partiel généralisé serait le remède miracle au problème de la compétitivité de la France. L’Allemagne est citée avec insistance comme s’il n’y avait plus de génie politique en France et qu’il faille désormais se résoudre au plagiat plat. Sur le fond, l’idée est tout aussi contestable.
Il s’agirait d’adapter la durée du travail dans l’entreprise aux fluctuations du marché. En gros, le sort du salarié devrait désormais être lié aux aléas du carnet de commande. Avant même de s’alarmer sur les conséquences financières encourues par le salarié obligé de subir ce nouveau régime de précarité, il faut juste rappeler une philosophie fondamentale au cœur du libéralisme. En effet, dans une économie libérale, l’entreprise est un lieu de rendez-vous où les rôles des uns et des autres sont précisément partagés. L’entrepreneur prend le risque d’investir son capital et s’expose aux aléas du marché. Le salarié renonce à quelque chose de très précieux : sa liberté. Il se met à la disposition de l’employeur et s’engage à se soumettre aux ordres de celui-ci. Le contrat de travail, tel qu’il est régi par les lois, organise ce délicat « équilibre » entre pouvoir de direction exercé par l’employeur/entrepreneur et état de subordination infligé au salarié. Inutile de préciser que, de fait et de droit, la relation du travail a la particularité de figer les contractants dans un rapport déséquilibré, l’employeur étant toujours en position de force et le salarié en position de faiblesse.
C’est le prix à payer pour le système libéral qui a fini par s’imposer sur l’ensemble de la planète. Et tout le monde peut y trouver son compte à condition de prendre le risque de l’initiative entrepreneuriale. Car l’ancien ouvrier peut un jour décider de créer sa boîte, commencer à percevoir un bénéfice et aspirer à l’enrichissement personnel. Un étudiant qui s’ennuie à la fac, sèche ses cours pour se consacrer aux babioles qui le passionnent. Il finit Bill Gates, milliardaire, patron d’un véritable empire informatique. Bref, un enrichissement personnel promis à celle ou celui qui accepte de prendre le risque de l’entreprise. L’excitation de la promesse d’avoir la main mise sur le bénéfice réalisé par le travail des salariés sous son contrôle, puisqu’on a pris « le risque » d’investir son capital ou d’engager son outil de travail.
Quant au salarié qui concède à sacrifier sa liberté pour se placer sous les ordres de son employeur, il obtient la garantie d’un revenu modeste, certes, mais prévisible en termes de montant et de périodicité de versement. Sur le principe, en référence à la métaphore du verre à moitié vide ou à moitié pleine, on préférerait, a priori, un revenu stable (salaire) à un revenu aléatoire (bénéfice). Surtout dans un contexte économique marqué par l’incertitude. Mais la réalité, dans le système libéral, voire capitaliste, est que ceux qui, au final, s’en sortent le mieux, sont justement ceux qui vivent du « revenu aléatoire ». Certains finissent milliardaires au bout d’une ascension tout simplement inenvisageable pour un « salarié », quel que soit son secteur d’activité. C’est la récompense que l’économie libérale promet à ceux qui prennent le risque de l’entreprise tandis que les autres doivent se contenter de leur modeste revenu salarial. C’est le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Avec la généralisation du chômage partiel, nous serions, philosophiquement, à la fin du monde de l’entreprise telle que nous l’avons toujours connu. Et surtout pas à l’avantage du salarié. Celui-ci resterait condamné à la modicité de son revenu salarial. Il est, en effet sûr que son temps de travail va baisser par la seule volonté de l’employeur, et, dans la foulée, son revenu, calculé bien entendu en fonction du nombre d’heures travaillées. L’entrepreneur, quant à lui, obtient la garantie que désormais, il partage le risque de l’aléa du carnet de commande avec ses modestes salariés. Il pourra ainsi baisser la masse salariale et le temps de travail, peu importe la précarité que ces ajustements font subir aux salariés, alors qu’il conserve seul la main mise sur les bénéfices de l’entreprise.
Cette possibilité de « jongler » avec le temps de travail et la masse salariale, est doublement indécente. Il faut tout d’abord rappeler de quoi on parle. En France, un salarié payé au smic, à temps plein, perçoit, 1.096,57 euro net par mois. C’est un revenu qui place le smicard, français ou étranger, en situation d’exclusion en matière de logement dans de larges secteurs urbains des villes françaises où le loyer, au minimum, avale le double du revenu de notre salarié à temps plein. Avec des heures supplémentaires, si le temps du trajet le lui permet, ce salarié pourrait difficilement dépasser les 1.200 euro net en tout. C’est évident qu’il ne gagne pas assez pour nouer les deux bouts. Envisager seulement qu’un travailleur au revenu aussi modeste doive perdre une partie de son temps de travail et donc de son salaire, parce que son employeur a quelques trous dans son carnet de commande, est un raisonnement digne de politiciens déconnectés de la réalité de leur peuple.
D’autant plus, par ailleurs, que d’autres mécanismes de flexibilité du marché du travail existent déjà. En effet, dès la fin des années 1970, l’économie française a répandu sur le marché du travail les conséquences des chocs pétroliers et de la concurrence des économies des pays émergents. La première loi prenant acte de la précarité du travail est celle du 03 janvier 1979 avec pour ambition d’encadrer le recours à cette nouvelle forme de contrat. L’ordonnance du 05 février 1982 a insisté sur le fait que la « durée déterminée » devait être l’exception au principe selon lequel « le contrat de travail est conclu pour une durée indéterminée » . Mais le mal était déjà fait. Depuis, le statut du salarié n’a jamais cessé de se détériorer et la précarité semble aujourd’hui être le passage obligé pour accéder ou revenir sur le marché de l’emploi.
Pour parler flexibilité, il existe aujourd’hui une quinzaine de types de contrats et les ministres, dans les gouvernements successifs, ont trouvé un moyen de se faire de la publicité sur le dos des travailleurs aux abois en créant de nouveaux types de contrat, ou en « modulant » ceux existant, toujours avec pour conséquence d’installer durablement le profil sociologique du travailleur précaire. Pendant ce temps, le chômage de masse bat son plein alors même que les trois quarts des embauches se font aujourd’hui en application de ces différents types de contrats précaires.
D’autres aménagements légaux ou orchestrés par des pratiques frauduleuses aboutissent à des formes de relations complexes consistant à camoufler des relations qui devraient relever du contrat de travail en relations contrat commerciaux avec de faux travailleurs indépendants sans parler des stagiaires affectés à des tâches relevant du contrat de travail. En termes de revenus, cette flexibilité déjà exacerbée, place parfois ses victimes en situation de ne pouvoir bénéficier d’une couverture sociale, ce qui les obligent à courir tous les jours derrière des bouts de contrats.
Dans un tel environnement, il y a lieu de se demander pourquoi nos responsables politiques continuent de croire, comme les adeptes d’une secte, qu’en affaiblissant un peu plus le statut du salarié sur le marché de l’emploi, ils amélioreraient l’embauche et baisseraient le chômage.
Car, en réalité, et on ne le dit pas assez, une entreprise recrute lorsqu’elle est en surcroit d’activité nécessité par une augmentation des parts du marché, ou tout simplement l’ouverture sur de nouveaux débouchés. Les mesures d’allègement et de dérogation en matière sociale et fiscales n’ont jamais fait la preuve de leur efficacité. Elles conduisent généralement à trois types d’effets, tous nocifs à la condition du salarié. Les entreprises profitent des aides octroyées par le gouvernement pour réaliser des recrutements qu’elles auraient de toute façon réalisés (effet d’aubaine), ou bien elles évitent de recruter en dehors des types de contrats aidés, ce qui conduit à la précarisation généralisée (effets pervers), ou, enfin, elles s’arrangent pour se débarrasser progressivement de salariés au « profil normal » pour se rabattre sur la main d’œuvre des précaires ou des sous-payés (effets de substitution).
Boniface MUSAVULI
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