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Politics : process involving STURCTURal changes in a public, e.g. the formation of cliques, coalitions and elites that compete for scarce resources in the public domain including for the control of government and processes through which collective decisions come about as a consequence of communication among competive factions and individual interests in society.
Klaus Krippendorff's dictionary of cybernetics
The unit within the system with the most behavioural responses available to it controls the system.
The first law of cybernetics
Société de l'information. Ère de l'information. Révolution informationnelle. Ce ne sont là que les plus courantes des formules qui prolifèrent dans les media et les discours politiques dès qu'il s'agit de caractériser notre temps. Pourtant, il n'y a là rien de nouveau. Le XIXème siècle, qui connut un extraordinaire développement de la presse écrite, ou encore le XXème, siècle de la radio et de la TV, auraient pu être caractérisés de la même façon. C'est sans doute pour cela qu'on constate une tendance, depuis quelque temps, à remplacer le terme "information" par "numérique", qui renvoie plus précisément à l'informatique et aux "nouvelles technologies de l'information et de la communication" (les fameuses NTIC), sans que le sens de ces expressions passe-partout en soit grandement altéré pour autant.
C'est que de sens, il n'y en a guère. En fait, il faut y voir bien davantage une sorte d'auto-glorification que du sens, un peu comme si un loup ou un tigre adressant un éditorial à ses congénères y parlait de "l'ère de la prédation" ou du "siècle de la chasse". Les expressions du type "ère de l'information" sont autant de lapalissades : tout processus ou mécanisme social est par nature informationnel, qu'il soit économique, politique, ou récréatif. Les interactions physiques au sein d'une société donée ou impliquant plusieurs sociétés sont finalement assez peu fréquentes par rapport aux innombrables interactions informationnelles. En fait, les interactions physiques sont presque exceptionnelles. L'habituel, c'est l'interaction informationnelle, qui est quasi-permanente.
Parler de "société de l'information" est donc parfaitement stupide. Nos sociétés étaient tout autant des "sociétés de l'information" à l'époque où nos ancêtres chassaient le mammouth qu'elles le sont aujourd'hui ; la nouveauté, ce sont les technologies et les vecteurs que nous employons pour transmettre et recevoir l'information, plutôt que la place que celle-ci occupe dans la société, comme semble le suggérer notre brillante intelligentsia. Aujourd'hui comme hier, cette place est assurément la première et l'on ne nous apprend rien de bien nouveau à pérorer au sujet d'une "ère de l'information" abstraite et indéfinie. Il y a bien quelques nouveautés, mais c'est dans la science qu'il convient de les chercher.
Ainsi, le Pr. Mihai Draganescu formule au cours des années 1980-1990 une théorie semble-t-il assez novatrice et en tout cas originale sur les "phénomènes informationnels de la matière profonde", où il propose une vision scientifique unifiant physique quantique, biologie et théorie de l'information, dont le Pr. Yves Kondratoff du CNRS a fait une excellente adaptation disponible en ligne [
1]. La cybernétique, sorte de science nouvelle apparue au XXème siècle, propose une approche différente, dont l'objet est surtout l'observation, l'étude et le contrôle des systèmes complexes (ou autorégulés), et plus particulièrement des interactions entre leurs éléments. Les sociétés humaines sont des systèmes on ne peut plus complexes. S'initier aux bases de la cybnernétique [
2] est un préalable non indispensable, mais assurément utile pour bien comprendre ce qui suit, bien que l'objet ici soit plutôt relatif au domaine des sciences dites politiques.
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Considérons, pour simplifier le propos, que tout phénomène social est par nature informationnel. Résultant de ce postulat, certaines implications s'imposent d'elles-mêmes. Ainsi, le pouvoir politique est donc également de nature informationnelle pour l'essentiel. C'est avant tout le pouvoir de contrôler l'information au sein d'une ou plusieurs sociétés données, c'est à dire, le pouvoir de sélection et de production de l'information en tant que telle, mais aussi le pouvoir d'organiser sa diffusion et sa réception. Il est évident qu'un politique a bien plus d'autorité que M. Dupont, mais cette autorité croît dans des proportions démesurées quand le politique parle à la TV à une heure de forte audience. On réalise bien mieux, du coup, ce que représente le pouvoir "médiatique" et pourquoi le coût d'entrée sur ce "marché" particulier est aussi extraordinairement élevé. De même, on voit aussi beaucoup plus clairement à qui appartient le pouvoir "politique", lorsque l'on commence à chercher qui contrôle réellement les media, ou, mieux encore, la monnaie. Quoi qu'il en soit, ni les uns, ni l'autre ne relèvent certainement plus de l'autorité du Président de la République.
Tout comme l'actualité, c'est à dire, le pouvoir de dire ce qui est actuel et important et le pouvoir de le faire connaître aux masses, le concept de monnaie est également d'essence informationnelle. L'époque des monnaies polymétalliques semble bel et bien révolue, et l'époque de la monnaie papier paraît sur le point de subir le même sort. Nous sommes à présent au temps de la monnaie dématérialisée, où le concept logique a presque totalement phagocyté son support physique. La monnaie, du point de vue matériel, n'est guère plus que des données numérisées transitant on ne sait pas très bien où, avant d' "arriver" dans une petite puce logée sur notre carte bancaire. On parle même de transférer cette puce à l'intérieur de notre propre corps sous forme de puce RFID [
3], idée dont les conséquences paraissent proprement effroyables à tout individu ayant conservé un reste de sanité d'esprit. En tout cas, c'est la meilleure preuve qu'on puisse souhaiter, si il en fallait une, de la nature informationnelle de la monnaie. Quelle que soit sa forme ou son support, la monnaie n'existe en fait que dans la tête des gens ; en jargon d'économiste, on pourrait dire que toute monnaie est forcément fiduciaire. Pour un chimpanzé, elle n'a aucune "valeur". La monnaie, tout comme la politique, est avant tout un fait social, dont l'origine est la nécessité de disposer d'un bien universellement accepté, pouvant se troquer commodément contre d'autres biens. Voici ce que nous en dit l'éminent économiste Ludwig von Mises, l'un des fondateurs de la fameuse "école autrichienne" :
Tous les biens ne sont pas globalement vendables. Pour certains biens il n'existe qu'une demande limitée et occasionnelle, pour d'autres elle est générale et constante. Par conséquent, ceux qui apportent des biens du premier type sur le marché, afin de les échanger pour des biens dont ils ont besoin eux-mêmes, ont des perspectives moindres de succès que ceux qui offrent des biens du second type. Si, toutefois, ils échangent leurs biens relativement peu négociables contre des biens plus négociables, ils se retrouvent un peu plus près de leur but et peuvent espérer l'atteindre plus sûrement que s'ils s'étaient contentés d'échanges directs.
C'est de cette façon que les biens qui étaient à l'origine les plus vendables sont devenus des moyens d'échange communs, c'est à dire des biens en lesquels tous les vendeurs d'autres biens convertissent d'abord leurs articles et que tous les acheteurs futurs d'un quelconque autre bien ont intérêt à se procurer. Et aussitôt que ces biens qui étaient relativement plus vendables devinrent des moyens d'échange communs, ils se produisit une augmentation de la différence entre le caractère vendable de ces biens et celui des autres biens. Ce qui entraîna à son tour un renforcement et un élargissement de leur position comme moyen d'échange.
[...] Il y a ainsi une tendance inévitable à éliminer les moins vendables des biens utilisés comme des moyens d'échange. Ceci jusqu'à ce qu'un seul bien subsiste, qui est alors universellement utilisé comme moyen d'échange ; en définitive, comme
monnaie. [
4]
L'outil monétaire, dont le rôle principal est à l'origine de faciliter l'échange de biens et services entre les individus et entre les sociétés dépassa rapidement ce cadre et vint tout naturellement assurer des fonctions secondaires, à savoir, l'accumulation du travail sous forme de capital, la transmission de ce capital à travers le temps et l'espace, le crédit et enfin, la mesure de la "valeur". À ce sujet, à force de mesurer la valeur en termes de prix, exprimés en unités monétaires, une certaine confusion a fini par s'installer. Nous identifions à présent automatiquement la "valeur" des biens à leur équivalent en monnaie, ce qui nous conduit à commettre des erreurs grossières. Par exemple, un paquet de cigarettes coûte environ 6 euros, qui permettent d'acheter à peu près 3kg de patates au supermarché du coin ou un livre format poche. Doit-on en conclure pour autant que la "valeur" de ces produits est identique ou du moins équivalente ?
Non, évidemment. De multiples théories de la valeur ont été produites par la science dite "économique", dont la plupart sont fausses, incomplètes, ou insuffisantes. En termes clairs, il semblerait, en fin de compte, que la meilleure façon de la définir serait par la métaphore de listes hiérarchisées et comparatives de diverses choses, propres à chaque individu, et susceptibles d'évoluer à tout moment, au gré des circonstances, des échanges, des préférences, des objectifs finaux et des calculs de chacun pour les atteindre. La valeur est donc à la fois subjective et relative (je préfère 2 pommes à 1 banane), mais soumise également à l'état du marché (Paul préfère 1 banane à 4 pommes, je vais donc troquer mes poires contre des bananes à Jacques, puis échanger les bananes auprès de Paul contre des pommes).
Ce n'est que faute de mieux, pour ainsi dire par défaut, que la monnaie en est venue à nous servir d'étalon universel de valeur et faire office d'indice des prix (l'action de l'État y aussi très largement contribué, si il était encore nécessaire de le préciser). Citons de nouveau von Mises :
Ainsi, s'il veut obtenir l'utilité maximale de ses ressources, l'individu doit se familiariser avec tous les prix du marché.
Pour ce faire, cependant, il a besoin d'une aide pour trouver son chemin dans la forêt confuse des multiples rapports d'échange. La monnaie, le moyen d'échange commun, qui peut s'échanger contre tout bien, et qui permet de se procurer tout bien, est particulièrement adaptée pour cela. Il serait absolument impossible pour un individu, même si'il s'agissait d'un expert des affaires commerciales, de suivre les changements des conditions du marché et d'adapter son échelle de valeurs d'usage et d'échange, s'il ne choisissait pas un dénominateur commun dans lequel il traduirait tout rapport d'échange. Puisque le marché permet d'échanger tout bien en monnaie et la monnaie en tout bien, la valeur d'échange objective est exprimée en termes de monnaie. C'est ainsi que la monnaie devient un indice des prix, pour reprendre l'expression de Menger. La structure complète du calcul de l'entrepreneur et du consommateur repose sur le processus d'évaluation des biens en monnaie. La monnaie est donc devenue une aide dont l'esprit humain ne peut plus se passer pour faire des calculs économiques. Si l'on veut attribuer, en ce sens, un rôle de mesure des prix à la monnaie, il n'y a pas de raison de s'abstenir. Néanmoins, il vaut mieux éviter d'utiliser un terme qui peut être aussi aisément mal interprété. En tout cas, l'usage courant n'est pas correct - on ne décrit pas normalement la latitude et la longitude comme un "rôle des étoiles". [
5]
C'est on ne peut plus clair. Il faut avoir conscience, cependant, que nous ne vivons pas dans les conditions d'un marché totalement libre, où chacun pourrait à son gré troquer des pommes contre des poires et régler ses courses en or ou en perles, par exemple. Il existe une monnaie "légale", imposée par l'État, et que chacun est forcé d'accepter comme moyen de paiement, même si il ne s'agit pas à proprement parler d'une monnaie en termes économiques. En effet, une monnaie "viable" et "saine" doit répondre à un certain nombre de critères :
-
elle doit être un bien (votre monnaie de papier "légale" est-elle un "bien", au sens utilitaire ? que peut-on en faire, à part, éventuellement, démarrer un feu ? mystère...) ;
-
elle doit être facilement divisible et transportable (les moutons, c'est tout de même pas très pratique, même si il faut leur concéder qu'ils peuvent se transporter tout seuls...) ;
-
elle doit avoir une bonne capacité de conservation (logique : les patates pourrissent, au bout d'un moment...) ;
-
elle doit être hautement désirée (des petits bouts de papier avec de jolis dessins sont-ils "hautement désirés" ? on conviendra qu'on peut en douter...) ;
-
sa disponibilité (ou encore, sa "production") doit être difficile à manipuler (on verra plus loin pourquoi).
Notre "monnaie" légale, imposée par l'État, n'est donc pas une monnaie. C'est en fait une devise, un substitut de monnaie, un "moyen de paiement" en termes juridiques. Il ne s'agit même pas d'un bien, puisque l'euro (ou encore, le dollar ou n'importe quelle autre devise contemporaine) est de plus en plus dématérialisé, comme noté plus haut. Le pire, néanmoins, est que son émission est assurée par des acteurs tout à fait privés et fort mal connus du public, sous la supervision théorique de la Banque de France, elle même supervisée par une instance technocratique assez mal connue, elle aussi, qui se nomme la Banque Centrale Européenne (BCE), et soumise elle-même à la BRI, plus énigmatique encore. L'émission monétaire, autrefois connue comme étant le pouvoir de battre monnaie, et jadis considérée comme une prérogative exclusive du souverain (et donc, par extension, du peuple), représente un pouvoir colossal, plus grand, même, que celui des armes :
Je crois que les institutions bancaires sont plus dangereuses pour notre liberté qu'une armée debout. Celui qui contrôle l'argent de la nation contrôle la nation.
Thomas Jefferson
Or, voilà que ce pouvoir ultime se retrouve aux mains de banquiers privés, émettant de la "monnaie" à volonté, sous la supervision théorique de la BCE, présidée par un ancien banquier de Goldman Sachs, la plus puissante banque privée du monde. Le lecteur intéressé trouvera sans difficulté grâce au Web que ce cas est loin d'être unique, puisque les "anciens" de Goldman Sachs ou d'autres établissements similaires prolifèrent littéralement dans le système monétaire occidental (voire, mondial). Quelles sont les implications réelles de cette situation ? Quels sont les mécanismes mis en oeuvre pour exercer ce contrôle de la nation par l'argent que dénonçait Jefferson ?
Outre le risque, de plus en plus avéré, de la corruption totale de ce qu'il reste de l'appareil politique au moyen de prébendes et de récompenses distribuées aux hauts fonctionnaires en échange de "services" rendus, la politique d'investissement (c'est-à-dire, ce que le pays sera ou non capable de produire à terme et en quelles quantités) se retrouve ainsi soumise au bon vouloir de l'émetteur de monnaie, à savoir la Banque, dont on connaît les exigences de rendement du capital et le mode de gestion du risque : rendement maximal, risque minimal. Toute autre considération, comme l'utilité sociale du projet ou l'impact sur l'environnement est éliminée. Autant le dire tout net : l'investissement se fera indubitablement dans ce qui rapporte gros et vite, disons, la spéculation financière, qui tend en effet à devenir de plus en plus l'activité principale de nos amis banquiers, surtout depuis que la distinction obligatoire entre banque de dépôt et banque commerciale n'a plus lieu d'être (suite à l'abolition de ce qu'on appelle aux États-Unis le
Glass-Steagall Act) [
6]. De cette façon, on se retrouve inévitablement à produire surtout des instruments de plus en plus sophistiqués de spéculation sur les décombres de ce qui reste d'actifs réels. Mentionnons par ailleurs les mécanismes de l'inflation et du seigneuriage, dont la compréhension est indispensable pour bien comprendre à quelle sauce nous allons être mangés.
On sait plus ou moins comment fonctionne l'inflation. Elle se traduit invariablement par une hausse des prix, pas forcément de tous les prix, ni au même moment, mais c'est finalement bien le pouvoir d'achat des consommateurs (à savoir, vous et moi) qui est affecté, puisque les salaires, eux, restent inchangés. C'est bien ce que nous en dit l'INSEE, du moins, dans le premier alinéa de la définition qu'elle en donne :
L'inflation est la perte du pouvoir d'achat qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.
La suite, en revanche, est nettement plus obscure :
Elle [l'inflation] doit être distinguée de l'augmentation du coût de la vie. La perte de valeur des unités de monnaie est un phénomène qui frappe l'économie nationale dans son ensemble sans discrimination entre les catégories d'agents.
Pour évaluer le taux d'inflation on utilise l'indice des prix à la consommation (IPC). Cette mesure n'est pas complète, le phénomène inflationniste couvrant un champ plus large que celui de la consommation des ménages. [
7]
Rien n'est dit quant aux causes du phénomène. C'est à croire qu'il s'agit d'une contingence imprévisible qu'on peut mesurer dans une certaine mesure grâce à l' "indice des prix à la consommation", mais non anticiper ou contrer, un peu comme un typhon ou un tremblement de terre. Par ailleurs, l'INSEE considère que l'inflation doit être distinguée de l'augmentation du coût de la vie, ce qu'on pourrait comprendre comme une allégation affirmant qu'il n'existe pas de lien entre l'une et l'autre, puisqu'elles doivent être traitées séparément. En outre, l'inflation selon l'INSEE serait non discriminatoire : tout le monde est également touché. Tout cela est, naturellement, absurde. C'est d'ailleurs inquiétant que l'INSEE affiche ce genre d' "intox" sur son site web, eu égard au rôle qui est censé être le sien : "[...] l'INSEE a un rôle d'information et d'étude, aussi bien à l'égard des agents économiques du secteur privé que de la puissance publique" [
8]. Recourons une nouvelle fois à L. von Mises :
Lorsque, pour couvrir ses besoins accrus, l'État, devenu acheteur, jette sur le marché ses billets nouvellement imprimés, il fait monter les prix des biens et de main d'oeuvre dont il a besoin. Les prix de ces biens et de cette main d'oeuvre augmentent ; mais les prix des autres biens et de la main d'oeuvre non requis par l'État restent d'abord stationnaires. Ils ne commencent à monter que lorsque, eux aussi, voient la demande monter. Tous ceux dont les revenus augmentent du fait des commandes de l'État — en cas d'armements, les entreprises et les ouvriers des industries d'armement — font, à leur tour, monter les prix par la demande accrue des marchandises qu'ils désirent acheter. L'augmentation des prix se fait ainsi, de groupe en groupe, jusqu'à ce que, finalement, elle s'étende à tous les prix et tous les salaires.
Du fait que l'augmentation des prix résultant de l'inflation n'atteint pas du même coup toutes les marchandises et toutes les catégories de travailleurs, découlent toutes ses conséquences sociales, ainsi que les avantages qu'en retire le Trésor. Car, tant que cette hausse n'a pas accompli son périple complet à travers toute l'économie, elle nuit à tous ceux qui ne peuvent retirer que les prix anciens des marchandises qu'ils ont à offrir, cependant que, pour les marchandises et pour la main d'oeuvre dont ils ont besoin, ils ont à payer les nouveaux prix augmentés. Ce sont ces couches de la population qui paient l'écot : ce qu'ils consomment en moins ou distraient de leur fortune enrichit les autres.
L. von Mises (supposé),
Or et inflation [
9]
L'article d'où provient cet extrait a été publié en 1938 ; en ce temps-là, c'était en effet bel et bien l'État qui était encore l'émetteur de la monnaie dans la majorité des pays. Ainsi qu'on l'a fait remarquer précédemment, ce n'est plus le cas : désormais, c'est la Banque qui jouit de ce privilège (sauf dans quelques cas exceptionnels). Comme expliqué par von Mises, l'inflation n'est rien d'autre qu'un impôt direct et dissimulé (cf. la définition absconse de l'inflation proposée par l'INSEE) ; or, puisqu'elle est l'émettrice de monnaie, c'est encore la Banque qui le perçoit.
On pourrait éventuellement se consoler en se disant que l'inflation frappe davantage les riches que les pauvres, mais hélas ! rien de plus faux. L'impitoyable von Mises dissipe encore une fois nos vaines chimères, toujours dans le même papier :
L'inflation nuit au créancier et favorise le débiteur. Mais — chose surprenante — l'opinion publique croit y voir un avantage des classes pauvres au détriment des riches. Mais l'opinion que les riches sont les créanciers et les pauvres sont les débiteurs est démentie par les conditions sociales actuelles. Les grandes fortunes sont généralement investies en actions, entreprises, maisons ou terrains. Mais les modestes fortunes de la classe moyenne consistent généralement en créances. Les économies des ouvriers et des intellectuels sont déposées dans les banques et les caisses d'épargne, ou servent à l'achat d'obligations. Les moins favorisés deviennent ainsi les créanciers des plus riches, à qui appartiennent les entreprises, maisons et terrains endettés. La destruction de la valeur des créances n'est donc pas un avantage pour les pauvres, mais au contraire, un préjudice.
En fait, les plus touchés par l'inflation sont les petits rentiers, ceux qui possèdent un certain capital en monnaie, trop modeste pour qu'il fût rentable de le convertir en immobilier, mais trop conséquent pour qu'il fût raisonnable de le risquer. La plupart du temps, les capitaux de cette catégorie s'en vont fondre lentement dans un établissement bancaire quelconque, qui vous en consent à peine 2-3% d'intérêts dans le meilleur des cas. En apparence, votre capital augmente constamment. Néanmoins, le petit rentier est tout étonné (et tout malheureux) de s'apercevoir, au bout de quelques années (disons quinze), qu'il ne peut même plus s'acheter une automobile neuve avec, alors que quinze ans auparavant, il avait presque de quoi acquérir un F2. Et blâme le "marché de l'immobilier", qui serait, naturellement, le coupable.
Concrètement, comment tout cela marche ? Imaginons une île à peu près isolée, où l'or ferait office de monnaie. Il en circule une quantité fixe dans toute l'île, mettons 500 pièces. Supposons à présent qu'un insulaire chanceux venait soudainement à découvrir un coffret tout plein de pièces d'or, disons qu'il en contiendrait 500 pièces. Notre insulaire pourrait alors acheter toute la production disponible sur le marché avec ses 500 pièces tout juste découvertes, ce qui aurait un double effet : d'une part, celui, immédiat, de créer une situation de pénurie aigüe avec toutes les conséquences malheureuses prévisibles (famine, émeutes, spéculation, instabilité politique et sociale, etc.), et d'autre part, celui de générer dans un deuxième temps une forte instabilité des prix, qui tout d'abord exploseraient, puis finiraient par se stabiliser à hauteur du double de ce qu'ils étaient auparavant. C'est d'ailleurs bien pour provoquer précisément ce type de désordres que certaines organisations plus ou moins connues du public (MI6, CIA, Mossad, etc.) introduisent massivement de la fausse monnaie (ou vraie, peu importe) dans certaines régions où certaines puissances étrangères souhaitent créer des situations révolutionnaires. Mais revenons à notre île.
Si, en revanche, notre chanceux insulaire s'était contenté d'introduire seulement 50 pièces dans l'économie (soit 10% de la masse monétaire totale circulant dans l'île), on verrait exactement les mêmes mécanismes à l'oeuvre, toutefois, dans des proportions largement moindres, si bien que l'effet dans la réalité semblerait totalement différent. Au niveau de la dymanique des prix, on verrait une augmentation différée de 10%. Par contre, au niveau de la dynamique de production, en admettant que l'insulaire ait réellement acheté des produits avec ses 50 pièces, l'effet à moyen terme serait de stimuler l'activité économique globale. Les "agents économiques" (dans notre cas, les habitants de l'île) s'apercevront forcément que davantage de produits auront été consommés qu'habituellement ; ils auront donc tendance à augmenter leur production. Pour ce faire, ils travailleront davantage, embaucheront peut-être ou bienm, investiront dans de nouveaux moyens de production.
On se retrouve alors dans une situation intéressante : soit la consommation se maintient et la situation se stabilise, soit la consommation chute (exemple-type : les gens font des réserves, et achètent donc moins par la suite). On est alors confronté à une surproduction, ce qui peut à son tour entraîner une chute des prix, une baisse de la production, du chômage, etc. Par ailleurs, un autre facteur à prendre systématiquement en compte lorsqu'on réfléchit à ce genre de problématique, est la question des matières premières. On a vite fait de se créer des soucis potentiellement graves quand on cherche à "stimuler" l'économie en dopant le couple production / consommation. On est parfaitement capable, de nos jours, de manipuler à volonté la masse monétaire, et donc la production et la consommation. Fort bien. Est-on pour autant capable de créer à volonté des hectares de terres cultivables, du charbon, du pétrole, etc. ?
Notre insulaire aurait pu également, plutôt que de simplement tout rafler, se contenter d'acquérir les moyens de production existant sur l'île (les champs, le moulin et la forge), puis de les louer (ou encore, "recruter" des employés pour faire tourner les dits moyens de production) et ainsi se ménager une rente à vie. Enfin, il aurait pu s'instituer en établissement de crédit et prêter contre intérêts ; la masse monétaire sur l'île étant fixe, il n'aurait pas manqué, au bout d'un certain temps, de l'accaparer totalement grâce à la tendance naturelle du capital à se concentrer dans ces conditions (économie à masse monétaire fixe et crédit à intérêts). C'est mathématique : imaginons que notre nouveau banquier se mette à prêter à 10% ; comme il faut bien, pour rembourser le prêt, rendre 10% de plus, ces 10% seront soustraits à la masse monétaire circulant dans l'île. Ainsi, les coffres du banquier se rempliront au fur et à mesure que l'argent en circulation diminuera. Les conséquences prévisibles ne sont guère difficiles à imaginer : baisse de la consommation, puis baisse de la production, chute des prix, chômage, appauvrissement de la population, etc. Il y a même un effet kiss-cool supplémentaire à rajouter à la liste : l'augmentation du pouvoir d'achat de notre banquier, du fait que les prix baissent tandis que son coffre se remplit. Il est le seul à en bénéficier, puisque la masse monétaire dans l'île ayant diminué, la part de chacun a forcément diminué ; au mieux, certains parviendront tout juste à préserver leur pouvoir d'achat. Ainsi, notre insulaire se sera enrichi (non seulement en capital brut, mais aussi en pouvoir d'achat) dans une mesure bien supérieure à celle où il aura arnaqué ses co-résidents.
Dans cette situation particulière, il faut bien réaliser que les insulaires ignorent que l'un des leurs dispose d'un capital aussi énorme. Ils ne peuvent donc réagir qu'après coup, ni prendre les dispositions appropriées (par exemple, décréter la nationalisation de tous les outils de production et l'interdiction du crédit à intérêt). En revanche, le chanceux trouveur (autrement dit, l'émetteur de monnaie) a l'initiative, ce qui constitue dans le domaine de l'action économique un avantage énorme. L'avantage devient colossal, si l'argent lui permet d'acquérir tout ce qu'il voudra sans limitation, en toute légalité. Au pire, si le jeu en vaut la chandelle, on peut aussi fort bien s'accomoder de l'illégalité...
Il est temps à présent de mentionner un dernier paramètre que nous avions négligé jusqu'ici : la vitesse de circulation de la monnaie [
10]. C'est le nombre de fois où l'argent change de mains dans une période de temps définie. On constate en effet que le PIB est supérieur à la masse monétaire totale, ce qui s'explique justement par le fait que l'argent circule entre divers agents. Cette circulation se fait à vitesse variable ; en effet, en période d'inflation, les gens ont tendance à se débarrasser plus rapidement de leur argent que de coutume, sachant que les prix vont de toute façon augmenter, ce qui accentue l'inflation d'autant plus (qu'on se souvienne de l'inflation qui régnait en Allemagne dans les années 1920 : des queues énormes se formaient en fin de matinée pour acheter au plus vite, parce que tout le monde savait qu'un zéro allait être ajouté au prix après le déjeuner). C'est l'inverse qui se produit en période de baisse des prix : il vaut mieux garder son argent pour pouvoir acheter davantage plus tard. C'est pourquoi une très forte inflation se termine toujours par le remplacement de la monnaie par une autre (d'où le "nouveau franc" de 1958) — quel gouvernement serait assez imbécile pour laisser la nation entière devenir millionnaire ? Aussitôt que la situation serait plus ou moins stabilisée, les magasins seraient pris d'assaut et on se retrouverait dans un autre genre de crise, aux conséquences pires encore qu'une hyper-inflation. Ainsi, la question de savoir si il va y avoir un dollar "nouveau" est non avenue ; la bonne question, ce n'est pas "si", mais "quand". D'où l'intérêt de convertir ses économies en autre chose que des monnaies de singe manipulables à volonté par la Banque, l'État ou Dieu sait qui encore.
Ce facteur permet d'expliquer également pourquoi les prix grimpent démésurément au moment où la production s'effondre, faute d'acheteurs en nombre suffisants. Il existe une formule assez ancienne qui postule que la masse monétaire (M), multipliée par la vitesse de circulation de la monnaie (V) égale le niveu général des prix (P) multiplié par la quantité des biens produite (Q) :
M x V = P x Q.
Or, P x Q, c'est justement le PIB [
11]. Dès que la production commence à baisser, avec la même quantité d'argent en circulation, la variable d'ajustement devient le prix...
Ainsi, tout l'édifice économique repose sur ces quatre piliers fondamentaux : le couple offre / demande (ou encore, production / consommation), les matières premières, le travail et la monnaie. Pour être tout à fait précis, le travail se cristallise sous forme de capital, dont la forme la plus liquide est la forme monétaire. Tous ces facteurs sont interdépendants, et peuvent aussi bien agir dans le même sens (effet de synergie), ou bien, au contraire, s'opposer. On n'y comprend rien si on ne tient pas compte de tous ces facteurs à la fois. Jouer sur l'un peut, à tout moment, compromettre tout l'édifice. La plupart du temps, les conséquences sociales sont accablantes.
Par exemple, et c'est assez fréquent, on peut essayer de manipuler le coût du travail à la baisse, afin de générer un surcroît de rentabilité pour les entreprises (on pourrait dire cela sous une forme beaucoup moins policée). Pour ce faire, on adoptera typiquement une politique consistant à réduire la masse monétaire (on appelle cela la déflation), ce qui va entraîner une concurrence accrue entre les agents économiques (c'est à dire à peu près tout le monde) pour capter de la monnaie. Du chômage va forcément en résulter, ainsi que des faillites, ce qui poussera ceux qui auront la chance de conserver leur emploi à se montrer plus conciliant quant au salaire ou vis à vis des conditions de travail. L'employeur (le producteur) aura alors tout le loisir d'offrir un salaire moindre tout en augmentant par ailleurs ses marges, pour peu qu'il reste raisonnable, puisque la demande globale ne descendra pas facilement au-delà d'un certain seuil : on accepte bien plus volontiers de gagner moins que de manger moins (à ce sujet, voir le concept de l'élasticité de la demande [
12]). On arrivera alors à une situation paradoxale où, bien que vendant moins de produits, le producteur pourra en tirer davantage de profit. Attention, toutefois : cela n'est vrai que pour les biens à forte demande (dont l'élasticité se rapproche de zéro, typiquement : nourriture, biens de première nécessité, énergie, télécommunications, loyers, etc.), ce qui signifie que tous les producteurs ne peuvent se permettre de jouer à ce jeu-là. Les industries les plus vulnérables en période de consommation réduite sont typiquement les industries de loisir grand public (élasticité négative). Paradoxalement, il existe des biens dits "de Veblen" pour lesquels la demande augmente en même temps que leur prix, mais, vous l'aurez compris, cela ne concerne qu'une toute petite partie des consommateurs : les gros rupins amateurs de cosmétiques de luxe et de Ferrari.
Malheureusement, quand bien même on se placerait du point de vue du producteur / employeur, ce genre de manège n'a pas que des conséquences heureuses. On arrive très vite à un cercle vicieux : les gros rupins sont rares et n'achètent pas n'importe quoi, tandis que pour consommer, les gens "normaux" doivent avoir des revenus ; or, lorsque sévit le chômage, la consommation globale s'effondre sur le long terme et l'employeur / producteur finit par mettre la clef sous la porte faute de clients en nombre suffisant. Le dumping social, technique éculée du Grand Capital, consiste à délocaliser de plus en plus la production vers des pays à faible revenu (et donc, à conditions de vie précaires), pour la revendre ensuite là où il y a encore de l'argent afin de profiter à fond de ce différentiel. Mais, encore une fois, cela ne dure qu'un temps : la capacité de consommation des pays naguère "développés" (c'est à dire, autrefois industrialisés) finit par chuter et le Grand Capital se retrouve Gros-Jean comme devant, avec sur les bras des stocks énormes que nul n'a les moyens d'acheter.
Concédons, toutefois que ceci est atténué dans une certaine mesure par la gestion des stocks et de la production en "flux tendus" (ou encore le "Juste-à-Temps") [
13]. Cependant, cette technique de gestion ne s'applique bien qu'aux industries où la fréquence d'achat est assez faible — comme, par exemple, la construction automobile (elle serait justement issue des méthodes de gestion mises au point par le constructeur
Toyota), nécessite une logistique infaillible et s'avère pour cette raison même plutôt coûteuse en énergie (les moyens de transport sont en effet extrêmement énergivores, sans parler de l'impact sur l'environnement). En outre, elle impose de disposer de capacités de production assez considérables, puisqu'il s'agit de travailler à la demande ; pour cette raison, la gestion en "juste-à-temps" n'est réellement possible que pour les très grandes entreprises, disposant d'un capital industriel plutôt conséquent. Cette méthode a aussi d'autres défauts, dont celui, notamment, de précariser démesurément la main d'oeuvre, tout en lui infligeant une pression extrême par la perpétuation de l'urgence qui la caractérise. En gros, il ne s'agit tout bêtement que de "déplacer" les coûts de stockage vers la logistique, l'environnement, les salariés et la gestion du risque, qui croît de façon disproportionnée : un client non livré à temps est un client perdu...
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Tout comme le capital financier, le capital industriel tend à se concentrer. Dans une économie fortement liquide, le bénéficiaire final de ce processus est nécessairement la finance, ne serait-ce que parce que le financier crée — ou émet — de l'argent à partir de rien, tandis que l'industriel fabrique des objets à partir de matières premières qu'il faut extraire, traiter, et transformer. On voit alors inévitablement des pans entiers du tissu industriel passer aux mains de la Banque, qui a beau jeu de manipuler non seulement l'argent (c'est à dire, la consommation, autrement dit la demande) mais aussi la production industrielle (l'offre), l'investissement et même le marché des matières premières.
L'objet ici n'est pas de traiter de l'influence de la Banque et du Grand Capital en général sur la politique, mais tout semble indiquer que cette influence est énorme. Il est de notoriété publique que les congressmen états-uniens sont ouvertement "approchés" par divers lobbies représentant les intérêts de diverses entreprises (généralement, celles installées dans l'État que le congressman entend "représenter" au Congrès), si bien qu'on pourrait se demander pour qui travaille réellement le congressman : ceux qui votent pour lui, ou ceux qui l'invitent au restaurant ? La même pratique se répand de plus en plus à Bruxelles, siège des principales administrations de l'UE. Mario Draghi, président de la BCE, ainsi que déjà mentionné, est un ancien collaborateur de la la pachydermique banque Goldman Sachs. On se souvient encore d'un certain Dick Cheney, un des plus féroces "faucons" de l'équipe Bush Jr., actionnaire et ex-patron de l'entreprise Halliburton... qui se trouve être l'un des principaux fournisseurs de l'US Army. Or, Mr. Cheney était, semble-t-il, très engagé sur la question de la guerre en Irak numéro 2. Sans avoir forcément besoin de basculer dans la "théorie du complot", on peut tout de même soupçonner un léger risque de conflit d'intérêts, et ce d'autant plus que Mr. Cheney est retourné exercer ses talents chez Halliburton aussitôt qu'il fut libéré de ses fonctions "politiques".
Il n'est pas nécessaire de dresser un inventaire précis ni de faire un examen clinique de toutes ces pratiques pour se rendre compte qu'elles puent. Il ne s'agit nullement de cas exceptionnels. Bien au contraire, la tendance serait plutôt à l'institutionnalisation de ce cirque en norme. À chacun de tirer ses conclusions...
Petrovitch