De la déréglementation des taxis...
"Attali est le seul à avoir cent idées par jour. Je suis le seul à savoir laquelle est la bonne..."
François Mitterand
L’idée maîtresse du rapport Attali étant de libérer la croissance pourquoi ne pas le faire avec l’argent des autres ? C’est facile, il suffit de déréglementer.
Déshabillons PIERRE (les taxis) de la valeur cumulée de leurs licences (5 milliards d’euros) afin d’habiller Paul (les chômeurs) et ainsi alléger les statistiques du chômage en France de 50 à 100 000 personnes.
Cela tout en satisfaisant à la demande du consommateur-électeur (qui ne parvient jamais à trouver un taxi lorsqu’il en a besoin) et... du contribuable puisque cette réforme a l’énorme avantage de pouvoir être mise en place sans bourse délier pour l’Etat mais simplement en spoliant purement et simplement les artisans taxis de leur patrimoine. Ceux-ci ont en effet eu l’idée saugrenue de s’endetter afin de financer leur outil de travail !
Le résultat sera le suivant : des jeunes qui viennent d’arriver sur le marché et ont emprunté jusqu’à 400 000 € pour travailler vont se retrouver en concurrence avec d’autres jeunes, qui eux n’ayant rien emprunté, pourront se livrer à une concurrence sauvage et une guerre des prix en toute impunité. Ce qui aura pour effet immédiat de couler financièrement les premiers d’où un nombre de faillites incalculable avec les retombées imaginables sur l’économie.
Dans un second temps les derniers arrivés s’apercevront vite que ce secteur d’activité, une fois livré à une concurrence sauvage, n’est plus viable. Ils se réorienteront alors vers d’autres activités moins astreignantes en termes de temps et plus lucratives.
Cela avant même de déposer le bilan car, puisqu’ils auront eu leur licence gratuitement, ils n’auront même pas à se donner la peine de liquider un éventuel actif (contrairement à leurs prédécesseurs). Et nous entrerons alors dans une spirale sans fin.
Est-ce là l’avantage du consommateur ? Ne nous leurrons pas car, à terme, dans ce contexte, le nombre de taxis sera inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. En effet c’est le grand nombre qui causera la paupérisation de cette profession et entraînera son désintérêt d’où une nouvelle carence. On est en train de reproduire le shéma de la déréglementation de 1931 qui a entraîné la remise sous réglementation de 1937, cela au prix d’une grave crise sociale qu’a connue la profession de taxi à cette époque (faillites et suicides en série).
De la même manière les vieux artisans arrivant au terme de leur carrière et comptant sur la revente de leur affaire pour vivre une retraite décente (comme tous les autres entrepreneurs) devront se satisfaire de leur retraite artisan (aux environs de 500 € en moyenne) et tracer purement et simplement un trait sur leur patrimoine chèrement acquis durant 20 ou 30 ans à une moyenne de 70 heures par semaine. C’est priver un grand nombre de gens de leur pouvoir d’achat et donc de leur capacité à consommer. Quel sera l’avantage pour l’économie ?
Il est en France question de relancer le pouvoir d’achat, la consommation et donc la croissance. Pense-t-on raisonnablement y parvenir en appauvrissant des tranches entières de la population ?
Les arguments énoncés pour justifier cette déréglementation défient toute logique et ne tiennent pas un seul instant à l’analyse.
En effet vouloir lier les croissances des trafics aériens et ferroviaires ainsi que les augmentations démographiques des villes françaises directement au nombre de taxis en fonction est un exercice complètement dénué de sens.
Ce serait négliger l’explosion qu’ont subi les transports en commun et le nombre de voitures particulières dans le même temps !
Le problème de la disponibilité des taxis n’est pas dû au manque de taxis mais à la difficulté qu’ils ont à se déplacer.
De même que l’idée de développer de nouvelles offres de transport de type véhicule de petite remise (VPR) parce qu’il n’y en a que 100 officiellement dénombrés à Paris contre 50 000 à Londres et 42 000 à New York serait faire peu de cas de l’existence des véhicules en licence DDE ou LOTI (Loi d’orientation du transport intérieur) qui bizarrement ne sont pas pris en compte dans la rédaction du rapport... !
Or il faut savoir que selon la réglementation en vigueur chaque taxi détient le droit d’exploiter en activité annexe un véhicule non équipé taxi en plus de son activité taxi proprement dite. Peu le font, pourquoi ?
Soit ils sont stupides, soit il n’ont pas envie de gagner plus d’argent ou peut-être encore plus simplement parce que le marché n’existe pas.
En effet les flux ponctuels de demandes correspondent à des laps de temps très courts sur une période de 24 heures. Or le fait d’utiliser des VPR ou LOTI dans le cadre de la réglementation actuelle du travail ne permet pas d’amortir les salaires et charges en proportion du temps passé en attente (10 heures en moyenne) par rapport au temps effectivement passé en conduite en charge (5 heures en moyenne).
La « cerise sur le gâteau » est l’assimilation que se hasardent à faire les technocrates signataires du rapport entre le nombre d’emplois qui ont pu être créés en Irlande à la suite de la libéralisation du marché et ce que cela pourrait être en France ! L’Irlande est un pays de seulement 4 millions d’habitants où la fiscalité et les charges des entrepreneurs n’arrivent pas à la moitié de ce que doivent acquitter les entrepreneurs français !
Mais le fin du fin c’est l’idée de développer conjointement déréglementation des taxis et libéralisation des VPR. En effet, comment peut-on imaginer que des travailleurs indépendants vont continuer à s’investir dans le domaine du taxi avec une tarification plafonnée, des équipements de métrologie et des contrôles périodiques coûteux et astreignants alors que les VPR pourront exercer en toute impunité des tarifs de gré à gré avec un simple véhicule non équipé et de ce fait complètement incontrôlable.
Il est intéressant d’autre part, en dehors de l’aspect économique, de prendre connaissance des dérives qu’a occasionné en Grande-Bretagne le développement des VPR (escroqueries tarifaires, abus, agressions sexuelles, etc.). Il faut savoir que les taxis en France sont soumis à un examen professionnel très sélectif après une étude approfondie du casier judiciaire et qu’ils dépendent de pas moins de quatre ministères (Intérieur, Budget, Transports, Commerce et artisanat) et qu’ils sont donc sous la surveillance constante de la Police, de la Gendarmerie, des Douanes, et de la DGCCRF. Cela implique une conduite irréprochable dont la résultante est que l’on trouve beaucoup plus de taxis agressés que de taxis agresseurs... qu’en sera-t-il demain ? Les Français auront-ils vraiment envie de mettre leur sécurité entre les mains d’un inconnu au pedigree incertain ? Il est complètement illusoire de croire que dans un tel contexte la qualité du service rendu au consommateur sera maintenue.
Jacques DELPLA l’économiste qui a siégé au sein de la Commission ATTALI et qui est à l’origine de cette idée de déréglementation pense que c’est une rente et qu’il est anormal de payer pour travailler. Mais peut-il expliquer dans ce cas pourquoi le restaurateur, le boucher, le boulanger et toutes les autres catégories de commerçants sont obligés d’acheter un fonds de commerce afin de pouvoir pratiquer leur activité ? Ne payent-ils pas pour travailler eux aussi ? Quelle est la différence quand on sait que depuis la loi de 1995 les licences taxis sont assimilées à un fonds de commerce ?
Si on tenait le même langage au sujet des autres corporations cela reviendrait à dire que si Jacques ATTALI faisait la queue pour acheter sa baguette il proposerait aussitôt de doubler le nombre de boulangeries. La différence c’est que lorsqu’on fait la queue à la boulangerie, c’est uniquement aux heures de sorties d’école ou de sortie des bureaux. En dehors de ces moments de pointe, la boulangère a le temps de faire le ménage.
Eh bien pour les taxis c’est pareil. Il y a des heures de pointe durant lesquelles il est difficile de satisfaire à la demande et qui représentent 20% de la journée de travail d’un taxi et il y a les heures d’attente qui représentent les autres 80%. Mais il subsiste une inconnue : la valeur de temps représentée par les embouteillages selon la densité de la circulation. Car si la demande de clients en attente de taxis est plus importante aux heures de pointe... la circulation automobile aussi !
La solution cependant existe d’ores et déjà ! Et elle est beaucoup plus simple que ce que proposent les technocrates. Comme il l’a été dit plus haut, chaque taxi dispose d’un droit d’obtention à titre accessoire d’une licence dans le cadre de la LOTI ; il suffit de libérer ces licences en autorisant les taxis à les transformer en VPR et en leur laissant la possibilité de les exploiter, de les louer, de les affecter à des salariés ou encore de les céder à titre onéreux. Cela aurait le double avantage de servir d’observatoire afin de quantifier sur le vif la capacité de ces nouvelles licences à être rentables sans spolier les détenteurs de licence taxi puisque cela ne ferait que valoriser davantage leur affaire et de plus, comme il est impossible de conduire deux véhicules à la fois, cela créerait des emplois tout en mettant plus de véhicules à la disposition du consommateur.
Mais cette solution ne sera jamais adoptée car ce que nos gouvernants souhaitent en réalité c’est résorber ce qu’ils pensent être la dernière niche fiscale et permettre aux grands groupes de mettre la main sur ce secteur d’activité afin de créer une génération de chauffeurs smicards bien dociles et par là même cerner la fiscalité de ce secteur qui souffre encore de son image sulfureuse d’après-guerre.
Que le consommateur soit prudent car il est mal informé ! La dérégulation aura exactement les mêmes conséquences que la privatisation des grands groupes comme France Télécom par exemple ; essayez aujourd’hui d’abord de parvenir à avoir un interlocuteur si votre ligne téléphonique tombe en panne... Si par miracle vous y parvenez, essayez d’avoir une réponse à la question que vous posez... et lorsque vous aurez été baladé de messageries vocales en réponses ineptes... vous regretterez l’époque des PTT.
Si on n’y prend pas garde il en sera de même demain avec les taxis.
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