Dette de la France et budget d’un ménage : halte la comparaison !
Comme un ménage, un Etat ne peut pas être éternellement en déficit. Cet argument, simpliste, a servit de justification à la « règle d’or ». On y ajoute quelques chiffres censés effrayer : La dette de la France s’élève à 1 650 milliards d’euros, soit 85% du PIB. Ainsi, chaque nouveau bébé naîtra avec une dette de 25 000 euros.
Mais la comparaison ne vaut pas. Un Etat n’est pas un ménage. Regardons-y de plus prêt.
Poids de la dette et PIB
Le rapport poids de la dette / PIB sert à comparer la dette d’Etats ayant des niveaux de richesses différents. Mais ce rapport n’a pas de valeur absolue. La Grèce était au bord de la faillite, nous a-t-on dit, avec un endettement de 125% du PIB. Le Japon est endetté à hauteur de 200% du PIB sans connaître pareille crise de
Mais revenons à la comparaison avec un ménage. Pour un Etat, on compare donc le montant total de sa dette à la richesse annuelle produite par le pays. Si on maintient la comparaison avec un ménage, il faudrait comparer le montant total des emprunts d’un ménage à ses revenus annuels. Dans mon cas, avec un revenu global de mon couple de 4 500 € / mois, je me suis endetté à hauteur de 150 000 € sur 20 ans pour acheter un logement. Rien d’exceptionnel, si ce n’est un revenu plutôt confortable. Je suis néanmoins endetté à 2 777 % de mon revenu annuel, soit 32 fois plus que l’Etat français ! Et je suis très loin d’être en surendettement.
Pour un ménage, on utiliserait plutôt le ratio mensualités / salaire mensuel. Les mensualités de remboursements de mes prêts sont de 22%, très loin des 33%, taux maximum légal pour un prêt. Pour l’Etat, la charge de la dette n’est que de 14.5%. Au petit jeu de la comparaison, si elle avait un sens, l’Etat français serait un ménage relativement peu endetté.
Enfin, rappelons que la moyenne des titres de la dette française est d’un peu plus de 7 ans. Pour avoir une idée de ce que pèse la dette par rapport à la vitalité de l’économie française, et non pour la comparer à la dette d’autres Etats, on pourrait comparer le montant de la dette à la richesse produite sur la durée où celle-ci court. On aurait alors une dette de 12% du PIB durant la période moyenne (7 ans) où court la dette.
Ainsi, le poids de la dette est donc de 12% du PIB produit durant la période où court la dette et la charge de la dette est de 14% du budget de l’Etat. Pas de quoi s’affoler pour la France, donc !
Le fardeau aux générations futures
Chaque nouveau bébé naît avec une part de la dette de 25 000 € (Les 1 650 milliards d’euros de dettes divisés par les 65 millions de français). Horreur ! Sauf que si la France a un passif, les dettes, elle a aussi des actifs. Chaque bébé français naît propriétaire d’une partie du TGV, des centrales nucléaires, des hôpitaux, des musées, des commissariats de polices, des écoles, lycées, collèges, écoles, crèches et universités… Chaque bébé aurait également pu naître propriétaire d’une part des autoroutes ou des avions d’Air France, de France Telecom si tout cela n’avait pas été privatisé. En termes de legs aux générations futures, les privatisations pèsent lourd.
Donc, nous ne léguons pas que des dettes à nos enfants. Nous leurs léguons aussi ce que l’emprunt a permis de construire. Si une nouvelle ligne de TGV bénéficie à tous ceux qui naîtront pendant les 50 prochaines années, n’est-il pas légitime qu’ils en payent également une partie – par l’emprunt qui leur est « légué ».
C’est légitime, mais aussi indispensable. Sans emprunt, nous ne pourrions pas construire les investissements nécessaires pour l’avenir.
Pour reprendre la comparaison avec un ménage, difficile à l’immense majorité de la population d’acheter un logement sans emprunter (quand emprunter est possible). Sans emprunt, nous serions tous locataires, et nous ne pourrions pas avoir l’espoir de transmettre un héritage à nos enfants.
Il en va de même pour l’emprunt de l’Etat : L’emprunt permet de financer les investissements que nous léguerons collectivement à nos enfants. En ce sens, il est légitime pour construire et préparer l’avenir.
La dette perpétuelle
Aucun ménage ne devrait être en déficit permanent. Pourquoi un Etat pourrait-il l’être, nous dit-on ? Rappelons le encore une fois, l’Etat n’est pas un ménage.
Un Etat ne fait pas faillite
Une entreprise peut faire « faillite », un ménage peut être en « faillite personnelle ». Après tous les recours épuisés, une décision de justice peut permettre de saisir les biens pour payer les créanciers, imposer un prélèvement à la source des revenus pour un ménage.
Mais si un Etat n’est plus en mesure de rembourser ses dettes ? Aucune instance supranationale, type ONU, OMC, FMI ou autre n’a le pouvoir d’envoyer les « huissiers » privatiser de force les biens d’un état souverain. L’UE n’a pas plus ce pouvoir. : avec toutes les pressions qui ont pu s’exercer sur le 1er ministre grec, tous les plans de rigueurs ont dû être avalisés par le Parlement grec pour avoir force de loi. Et même dans le carcan du traité de Lisbonne, un Etat a toujours la possibilité de retirer sa signature des traités internationaux et de recouvrer sa pleine souveraineté.
Ainsi, dans les 15 dernières années, de nombreux pays ont « fait défaut » : la Russie, l’Argentine, l’Islande… Ces pays existent toujours. Ils ont connu une période de difficulté économique, mais ils remontent où ont remonté la pente.
Enfin, il est préférable qu’un être vivant rembourse ses dettes avant de mourir. Mais un Etat est éternel. Où du moins, il n’a pas d’espérance de vie perceptible et n’a pas à se soucier de ce qui arrivera s’il venait un jour à être emporter par une révolution où une guerre. Il n’y a aucune échéance à laquelle il doive avoir remboursé la totalité de ses dettes.
Le déficit et la croissance
Par ailleurs, le salaire d’un ménage ne croît pas de manière régulière. Certes, un salarié négocie avec son employeur. Mais le résultat est, au mieux, incertain. Pour un Etat, il y’a
Pour l’expliquer, passons par un exemple :Imaginons un pays qui a des recettes à l’année N de 100, des dépenses de 101, un PIB de 1000 et une dette de 500 et une croissance de 3%. Avec un taux d’intérêt de 3%, les intérêts de la dette sont de 15, soit 15% du budget de l’Etat. Le budget réellement disponible après paiement des intérêts est donc de 85. L’Etat a un déficit de 1% par an, et un taux d’endettement de 50% du PIB.
A l’année N+1, le PIB est de 1030, les recettes sont de 103. Le montant de la dette est désormais de 501 et les intérêts sont de 15.03.
Le budget réellement disponible après paiement des intérêts est donc de 87.97, le taux d’endettement est désormais 48.6%.
Avec un budget en déficit de 1%, mais une croissance de 3%, le budget disponible pour l’Etat a donc augmenté de 2.97% et le taux d’endettement a diminué de 1.4% du PIB.
Cette rapide démonstration prouve qu’un léger déficit, inférieur à la croissance ne pose pas de risque économique majeur – du moins tant qu’un Etat reste globalement en croissance.
Ce phénomène a eu lieu en France, dans les années Jospin. Bien qu’avec un déficit de 1.5%, la France a vu son taux d’endettement diminuer de 59 % du PIB en 1999 à 57.1% du PIB en 2001.
Les revenus d’un ménage et les revenus de l’Etat.
Un Etat se devrait de gérer ses revenus comme un ménage. Mais il n’y a aucune comparaison possible. Les revenus d’un ménage, ce sont les salaires ; ces dépenses, ce qui est nécessaire à sa vie et à son bien être. Les revenus d’un Etat, ce sont le produit des impôt ; les dépenses, ce qui est nécessaire à l’activité économique et à l’intérêt général.
Les mêmes exigences ne peuvent s’appliquer.
Par contre, pour un ménage comme pour un Etat, un déficit peut se résorber de deux manières : réduire les dépenses, ou augmenter les recettes.
Diminuer les recettes :
Un ménage peut décider de réduire ces dépenses, gérer son budget « avec rigueur ». Un ménage peut toucher à ce qui est nécessaire à son bien être, tant qu’il n’atteindra pas le minimum nécessaire pour vivre. La qualité de sa vie s’en ressentira. Mais ses revenus resteront inchangé, quoi qu’il arrive.
Un Etat peut appliquer une politique de rigueur, diminuer ses dépenses. Mais un grand nombre des dépenses d’un Etat sont nécessaires, directement ou indirectement, à l’activité économique. Et donc, la conséquence d’une politique de rigueur peut être dans bien des cas de réduire l’activité économique, et donc de réduire les recettes de l’Etat et donc d’aggraver au contraire son déficit. A l’inverse d’un ménage, une politique de rigueur peut diminuer les revenus d’un Etat.
Ainsi, une réduction des dépenses type « gel ou réduction du salaire des fonctionnaires » va directement réduire le pouvoir d’achat de la population, ce qui va diminuer la consommation et faire baisser les revenus de la TVA.
Ainsi une réduction des dépenses type « économie dans le secteur hospitalier » pourrait avoir des répercussions sur la santé publique, avec augmentation des arrêts maladies, diminution de la productivité dans les entreprises et donc là encore, réduction des revenus de l’Etat. Il en va de même pour l’éducation nationale ou la recherche.
Diminuer les dépenses est une solution pour un ménage à la limite du surendettement. Pour un Etat victime d’une dette importante, cela peut au contraire agraver
Augmenter les recettes.
Un salarié ne peut pas aller voir son employeur en lui disant : « Je suis en déficit, donc je veux que vous augmentiez mon salaire ». L’argument risque de ne pas particulièrement émouvoir l’employeur.
Un Etat peut décider d’augmenter ses revenus. Il ne le demande à personne, il lui suffit de l’imposer par la loi.
· Un Etat peut lever des impôts nouveaux,
· Un Etat peut créer de la monnaie (« faire tourner la planche à billet » ). Certes, les traités européens l’interdisent pour les pays de la zone euro. Mais ce sont des traités librement consentis par les Etats Membres. Ils ont ensemble le pouvoir de signer un nouveau traité autorisant la BCE à recourir à la création monétaire, où individuellement de quitter la zone euro pour recouvrer cette capacité via les banques centrales.
· Un Etat peut mener des politiques améliorant la croissance (notamment via des investissements financés par l’emprunt). Un emprunt à un moment donné permet de générer un surplus de croissance et donc des recettes nouvelles qui permettront d’amortir l’emprunt et plus.
Bien sûr, tout n’est pas simple. Certains nouveaux impôts peuvent avoir un impact négatif sur la croissance, tout comme certaines réductions de dépenses. Battre monnaie peut créer de l’inflation… Mais les possibilités existent.
Si un salarié ne peut pas augmenter ses recettes, un Etat peut s’en donner les moye
A tous les niveaux, la comparaison entre le budget d’un Etat et celui d’un ménage est donc sans objet.
- Quel endettement permet au final de favoriser la croissance, de dynamiser l’économie et est donc productif et positif ?
- Quelles dépenses n’ont aucune efficacité ni économique ni conforme à l’intérêt général ?
- Quelles recettes nouvelles peuvent être mobilisées sans péjorer l’activité économique ni nuire à l’intérêt général ?
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