Endettez-vous, qu’ils disaient...
Pour l’UMP comme pour le PS, il faut faire venir la croissance afin d’obtenir le plein emploi. Depuis plus de vingt ans, quelle que soit la majorité, nos politiques justifient la casse sociale par ce credo. Et pour avoir la croissance, il faut être flexible, travailler plus, oublier les retraites, oublier les services publics, oublier notre pouvoir d’achat, mais surtout il faut s’endetter. Sarko l’a dit : les Etats-Unis sont un exemple, eux qui ont 5 % de croissance. Mais à quel prix, au juste ?
La
tendance
sur une éventuelle baisse
des salaires de 3,7 % pour gagner 1 point de croissance dans la zone euro,
on comprend que les réformes vont avoir un goût amer. C’est logique : le
prix du baril flambe (on est autour de 115 $), les matières premières et
l’énergie aussi. Alors, il faut baisser les salaires pour limiter l’inflation.
Il
y a deux types d’inflation : par les prix (les prix augmentent donc
tout augmente, y compris les salaires en principe) ou par les salaires (c’est
ce qu’avait fait le Front populaire en augmentant les salaires et, donc, les
prix augmentent). Là, on a l’inflation des prix, et on veut contrebalancer cette
inflation en diminuant les salaires pour que les gens consomment moins, et que
les prix ne montent pas trop. Super, ce sont donc les gens qui vont faire le
tampon pour faire plaisir à la BCE.
Pour
DSK, ex-ministre
(socialiste n’est-ce pas) de l’Economie aujourd’hui patron du FMI, grande
institution sociale, la mondialisation est une très bonne chose
et pour la « réussir » il a fixé des objectifs : « J’en
distinguerai quatre. Trois sont classiques : les échanges, les financements,
les changes. J’en ajouterai un quatrième, qui l’est moins : la gestion de
l’environnement global. »
DSK,
on le sait, est libéral et atlantiste, il vient d’ailleurs de monter un European Council on Foreign
Relations, à l’image du CFR américain, plus ou moins piloté
par Georges Soros. Et c’est lui qui va incarner l’orthodoxie libérale.
Je
ne vais pas énumérer les sorties ultralibérales de nos
« socialistes » nationaux, ni les lois anti-sociales qu’ils nous ont
fait passer, du « tournant libéral » de Fabius en 83 au traité de
Lisbonne en passant par l’AMI
(Accord multilatéral sur l’investissement) ou l’AGCS (Accord général sur le
commerce des services) qu’on doit à Jospin, une des taupes infiltrées au PS.
Mais il faut comprendre que, à droite comme « à gauche », le parti
pris est résolument libéral. On ne remet surtout pas en cause le credo plus que
périmé de Bretton Woods, défini par des ultralibéraux du genre de Milton
Friedmann, au contraire, on prône d’aller vers toujours moins de droits sociaux,
et toujours
plus de « compétitivité ».
La
tendance, donc, c’est « faire des sacrifices », dixit Balladur à
l’époque, ou subir des politiques de rigueur pour nous rendre
« compétitifs ».
Pourtant,
depuis toutes ces années de politiques allant toujours dans le même sens, on se
retrouve presque en récession, du moins en stagflation (stagnation
de la croissance et inflation), comme dans les années 30. De très
mauvaises langues parlent même d’un risque de "récessflation".
Les
conséquences de ces politiques sont donc claires :
-
en vingt-cinq ans, la part des salaires dans le PIB (les richesses produites dans l’année)
a baissé de 12 %
(de presque 70 % en 1975 à 58 % aujourd’hui, soit près de 200 milliards
d’euros qui sont passés directement au capital au lieu d’aller dans la
poche des salariés. Avec ça, on aurait aussi comblé depuis longtemps le
"trou de la Sécu"). C’est énorme. En France, comme partout dans le
monde. Michel Rocard pourtant de tendance libérale, explique que cette nouvelle répartition du PIB "ne permet plus à la consommation de soutenir la croissance".
D’où quelques problèmes à venir, car il serait plus logique de
renforcer les salaires si l’on voulait une croissance par la consommation
(eh oui, force est de constater que ce ne sont pas les entreprises,
malgré les exonérations et autres avantages, qui tirent la croissance
vers le haut. Il faut donc se rabattre sur la consommation et, pour des
libéraux, ça fait mal...). Tout cela en grande partie parce que les
fonds de pension et autres spéculateurs réclament leurs 15 % de bénefs
chaque année quand le PIB mondial, lui, n’augmente que de 5 % ;
-
on exige de plus en plus de flexibilité des salariés, ça implique une augmentation des emplois précaires au détriment des emplois stables et convenablement rémunérés ;
- la dette du pays augmente beaucoup plus vite que le PIB ;
-
le Cac 40 augmente ses bénéfices de plus de 50 % chaque année ;
- les salaires augmentent moins vite que l’inflation des prix, malgré une forte augmentation de la productivité horaire (qui contrebalance largement le fait qu’on travaille un peu moins chaque semaine en France qu’ailleurs). Certains expliquent même que le salaire réel (qui prend en compte le pouvoir d’achat du salarié, lié au salaire) a diminué dans tous les pays européens depuis le début des années 80. Les Irlandais auraient même perdu 2 % par an en moyenne.
Le
modèle américain :
On
entendait Sarko nous répéter que les Etats-Unis, avec leurs 5 % de croissance et
leur « plein emploi », (et une
dette
monstrueuse autour de 44 milliards de dollars) étaient un modèle à suivre,
y compris sur le plan « social ». La situation « sociale »
des Etats-Unis n’a pas de quoi rendre jaloux (par exemple, les dépenses en
soins de santé sont la 1re cause de faillite personnelle, aux Etats-Unis
en 2008), alors, si on doit s’aligner, il faut vraiment que le jeu en vaille la
chandelle et que la croissance
finisse par venir... Mais à quoi est due cette croissance américaine, au
juste ?
Dans
un pays où les emplois précaires, à temps partiel (un Américain travaille en moyenne
33 heures par semaine) et mal payés sont légion, un pays où l’épargne est à son
plus bas niveau historique, où les salaires augmentent moins que
l’inflation, où seuls les 5 % des ménages les plus riches se sont enrichis ces cinq
dernières années, où un habitant sur huit vit sous le seuil de pauvreté, comment
maintenir une consommation élevée ? Les gens ne gagnent plus assez pour
consommer et maintenir la croissance, alors on les pousse à s’endetter. En
2003, par exemple, on a inventé le crédit subprime pour ceux qui n’avaient
normalement pas accès au crédit faute d’être solvables. Crédits très risqués,
donc à taux élevés, mais très rentables pour les banques si les gens parviennent à rembourser ou la
banque à saisir la maison (et si les prix de l’immobilier continuent à grimper)...
Le
système est simple : la croissance américaine repose essentiellement sur la
consommation intérieure (70 % du PIB), qui a été boostée ces dernières années
par la bulle immobilière : comme les prix de l’immobilier augmentaient
beaucoup (15 % par an ces dernières années), les ménages qui faisaient une
hypothèque ne prenaient pas trop de risques et la banque qui prêtait non plus
(et les spéculateurs qui achetaient des actions portant sur ces hypothèques non
plus...). Mais la
bulle s’est dégonflée, les prix ont commencé à baisser mi-2007, les
hypothèques ont perdu leur valeur, les gens leur maison, et les banques, du
fric.
Aux
Etats-Unis, avant le krach de 1929, la dette représentait 140 % du PIB.
Aujourd’hui, c’est 220 %. Et la dette des ménages en représente une importante
partie (10,3 milliards de dollars en 2005). Cette dette est peu viable surtout depuis que la bulle immobilière a explosé et que les ménages se retrouvent souvent dans l’incapacité de rembourser.
Et les risques ? Comme le dit Isaac Josua dans Solidarités : "Si l’économie américaine entrait en récession, elle le ferait dans un contexte particulièrement délicat, car elle a vécu jusqu’ici au-dessus de ses moyens, à crédit, en s’endettant à tout-va. Le taux d’épargne des ménages américains est pratiquement nul (ce taux compare l’épargne des ménages à leur revenu disponible), alors que, par exemple, celui des ménages français s’élève à 15,5 % en 2006. Le taux d’endettement de ces ménages américains atteint en 2006 l’extraordinaire niveau de 140 % (ce taux compare leur endettement à leur revenu disponible). Quant au déficit extérieur (financé jour après jour par le reste du monde), devenu abyssal, il représente 6,5 % du PIB des Etats-Unis en 2006. Autant de traits qui sont plus ceux d’une puissance finissante, qui tente coûte que coûte de se maintenir, que ceux de l’hyperpuissance habituellement décrite."
Dans le même ordre d’idées, d’autres se demandent comment Sarko et autres atlantistes libéraux ont pu fermer les yeux sur l’état réel des
Etats-Unis, où les services publics sont bradés, entraînant une
dégradation du niveau de vie des plus pauvres. Alors qu’il suffit de se
promener dans le pays pour le savoir, comment ont-ils pu ignorer que
les Etats-Unis sont en état d’"appauvrissement généralisé" ?
Moralité : penser que l’endettement des ménages pourra indéfiniment tenir la croissance est complètement débile. Anton Brender, auteur avec Florence Pisani de Déséquilibres financiers internationaux explique que « l’endettement des ménages américains est arrivé au-delà des limites du raisonnable, et beaucoup ne vont plus pouvoir rembourser. C’est l’origine de la crise financière actuelle. Le risque est qu’elle débouche sur une récession aux États-Unis. »
Le grand ami de Sarkoléon, celui sur qui il voulait copier tellement la croissance américaine est géniale, j’ai nommé Bush junior, a un bilan
à la hauteur de la stupidité de ses réformes : le déficit s’est creusé
de près de 70 %, la balance commerciale est négative (comme en France
depuis Sarko), l’endettement des ménages a doublé pendant que leur
revenu moyen diminuait. La guerre en Irak est un fiasco qui a coûté
jusqu’à présent 2 000 milliards de dollars
(même s’il est difficile de faire une évaluation précise) selon
l’économiste Joseph Stiglitz. Le déficit budgétaire tourne déjà autour
de 500 milliards de
dollars (et, si Sarko continue, en France, on rentrera dans cette
compétition), et le déficit commercial, lui, ne serait que de 3 milliards.
En 2006, aux Etats-Unis, les
bénéfices des entreprises ont augmenté en moyenne de 40 %, quand les
salaires n’ont augmenté que de 0,3 %. Et voilà que la part des salaires
dans le PIB américain est au plus bas depuis... 1928.
Entre janvier et juillet 2007, un foyer sur 112 a perdu sa maison, et un "record historique"
d’expulsions a été atteint fin 2007, avec 0,8 % des hypothèques
saisies. 6 % des emprunteurs n’arrivaient plus à rembourser depuis au
moins trente jours. Et, en 2007, 1,3 million de logements ont été saisis, soit une augmentation de près de 80 % par rapport à 2006. Tout est normal...
Et,
pourtant, c’est le credo de Sarkoléon.
Et
puis, Sarko aime les hypothèques : aux Echos,
il a dit fin 2006 « Je veux développer le crédit hypothécaire en
France. C’est ce qui a permis de soutenir la croissance économique des
Etats-Unis ».
Sauf
qu’entre-temps, la bulle immobilière américaine a explosé, que les gens n’ont plus pu
rembourser, et que les banques qui avaient spéculé sur ces crédits
hypothécaires ont perdu des masses d’argent (du vrai, celui-là). C’est juste la
crise
subprime qui est passée par là. Mais soyons certains que s’il n’y avait pas
eu cette crise, le processus pour développer l’hypothèque et donc l’endettement
des ménages serait déjà bien enclenché.
Le
même Sarko, toujours très inspiré, a aussi dit pendant la campagne (alors que
la crise subprime avait commencé), que « Les ménages français sont
aujourd’hui les moins endettés d’Europe. Or, une économie qui ne s’endette pas
suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses
atouts, qui a peur du lendemain. C’est pour cette raison que je souhaite
développer le crédit hypothécaire pour les ménages et que l’Etat intervienne
pour garantir l’accès au crédit des personnes malades. Je propose que ceux qui
ont des rémunérations modestes puissent garantir leur emprunt par la valeur de
leur logement. »
Il
y a la dette publique, celle de l’Etat, qui est viable tant que l’Etat peut
rembourser. C’est sur cette dette-là que les libéraux crient haro, et qu’ils prônent
une politique de rigueur pour limiter la dépense.
Et
puis, il y a la dette privée. Dans le cas des Etats-Unis, avec la crise
subprime, cette dette pose un gros problème puisqu’elle pourrait ne jamais être
épongée. Les créanciers sont donc moins gentils, prêtent moins, et l’économie
se contracte. C’est cette dette-là que les libéraux veulent développer.
Ca
tombe bien, l’Europe aussi. D’ailleurs, la dette des ménages européens a
augmenté de moitié en neuf ans, pour arriver à 75 % environ.
En Angleterre, l’endettement des ménages représente 100
% du PIB, en France environ 45 %, en Espagne et au Portugal, près de 80 %.
En
fait, dans tous les pays européens le processus est le même : on pousse
les ménages à s’endetter toujours plus, pour tenir la consommation sans
augmenter les salaires. En Irlande et en Espagne, l’endettement des ménages
augmente de 25 % par an. En France, en Belgique,
en Finlande, aux Pays-Bas c’est autour de 10 %.
L’inflation
des prix de
l’immobilier est
pour beaucoup dans
cette augmentation de l’endettement, mais la multiplication des crédits
revolving et des cartes de crédits est la 1re cause du
surendettement. Depuis 2004, les ménages ont plus de crédits envers les banques
que de dépôts.
Pierre
Larrouturou, dans Le Livre noir du libéralisme, cite Patrick Artus,
économiste à IXIS et auteur du "Capitalisme est en train de s’autodétruire" : « dans la zone euro, sur les dix
dernières années, la dette privée est passée de 75 % à 145 % du PIB. Sans la
hausse de la dette des ménages, la croissance de la zone euro serait
nulle depuis 2002 ». En Angleterre, ce serait même la récession depuis 2002. Ca veut dire qu’on reproduit
exactement le même processus que les Etats-Unis depuis Reagan, comme le
rappelle l’auteur.
Evidemment, on évite de crier ce genre de vérités sur les toits aujourd’hui. Mais le Sénat a déjà fait un rapport sur la question. Car on avait remarqué qu’il y avait une certaine "déconnexion entre la forte croissance de la consommation des ménages américains et l’augmentation plus mesurée de leur revenu au cours du dernier ralentissement - qui s’est traduite par la chute du taux d’épargne des Américains", c’est-à-dire que les ménages américains consommaient plus quand leurs revenus augmentaient très peu (voire qu’ils diminuaient, pour la plupart) et qu’ils épargnaient moins (processus entamé depuis le début des années 80, en pleine période libérale avec Reagan). Paradoxal ?
Mais non : cet "endettement
des ménages américains, et tout particulièrement leur endettement hypothécaire,
a nettement augmenté favorisant ainsi la dynamique de leur consommation" et ce depuis 1996. Voilà la réponse. Ca explique donc la croissance américaine malgré une précarisation croissante des salariés.
Qu’on se rassure : la Fed (l’équivalent de la Banque centrale) a dit que seulement un quart de ces crédits hypothécaires a servi à la consommation, ça ne joue donc presque pas dans l’augmentation de la croissance qui est soutenue à 70 % par la consommation des ménages c’est-à-dire leur endettement (endettement favorisé par une politique de taux d’intérêts bas qui incite à emprunter). Seulement voilà : avec la crise subprime qui déferle d’Ouest en Est, cette consommation est fortement menacée. C’est pour cela que certains, à l’instar du FMI ou du président de la Fed, parlent de récession aux Etats-Unis. C’est donc cela que Sarko veut pour la France ?
Et, en Europe, c’est pareil : c’est encore le Sénat qui constate la "forte contribution du crédit aux ménages" dans la "croissance économique de quelques pays étrangers" (l’Angleterre et les Etats-Unis
sont cités en exemple, comme par hasard). Entre 2001 et 2002, les
crédits des ménages espagnols ont augmenté de 18,2 %, ceux des Portugais de 12 %, ceux des Anglais de 11,8 %, ceux des Néerlandais de
11,2 %, ceux des Suédois et des Finlandais de presque 10 %, ceux des Français de 6,4 %. Est-ce qu’aujourd’hui, alors que l’on sait les
conséquence de ce processus pour les Etats-Unis et bientôt pour le
monde, le Sénat ressortirait ce rapport ?
Eh bien, probablement pas, car en fait ce rapport est destiné à assouplir l’octroi de crédits, dénonçant l’exagération à propos du surendettement et affirmant que "toute phase d’augmentation de l’endettement ne débouche pas systématiquement sur une crise macro-économique". En effet, pour le Sénat, "les risques de l’endettement sont souvent exagérés tandis que ses avantages ne doivent pas être minimisés", d’ailleurs on utilise "trop peu" ce levier pour stimuler la croissance dans notre pays sclérosé et frileux (comparé à nos voisins, bien évidemment). No comment...
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