L’économie en URSS
Au-delà des discours idéologiques, l’URSS est le seul pays à avoir essayer de mettre en place pendant plus d’un demi-siècle une économie de type communiste à l’échelle d’un grand pays. Si nous connaissons plutôt bien le fonctionnement d’une économie capitaliste (et ses travers), il est intéressant de regarder le fonctionnement d’une économique communiste confrontée à la réalité.
Voyons donc ce qu’il en est avec ce « court » résumé de l’histoire économique de l’URSS et des tentatives des dirigeants successifs d’améliorer ses performances.
L’Etat organise et dirige toute l’économie, il contrôle donc l’ensemble de la production et de la distribution et fixe les objectifs à atteindre dans les différents secteurs d’activité. La planification de l’économie est administrée depuis Moscou par le Gosplan et les ministères, elle se fait sous la forme de plans quinquennaux. Les régions ainsi que les entreprises n’ont donc aucun pouvoir.
Les activités de base (industries lourdes) reçoivent la majorité des investissements au détriment des biens de consommation et de l’agriculture.
Ce mode de gestion centralisé et ne tenant aucun compte des réalités du marché est responsable des dysfonctionnements profonds de l’économie soviétique.
"Le Gosplan planifie environ 6 000 groupes de produits. Cela correspond au 4/5 des productions totales. Les ministères à leur tour détaillent ces plans pour 40 à 50 000 positions. Le Gossnab répartissant la production des entreprises envers leurs clients, attribue des bons pour 1 million d’articles (nombre d’articles produits dans le pays : environ 25 millions). Il est illusoire de supposer une informatisation convenable du processus de planification qui puisse englober un jour l’ensemble des productions. Un mathématicien soviétique a calculé que le plus puissant des ordinateurs mettrait 30 000 ans à résoudre un modèle de planification impliquant la production de cette masse de biens." M.Lavigne, Les Soviétiques des années 80.
- La banque d’Etat (Gossbank) reçoit tous les profits réalisés et est le seul dispensateur de crédit aux entreprises agricoles et industrielles.
Les prix sont fixés par l’Etat qui ne tient pas compte du fonctionnement des entreprises. Les moins productives sont autorisées à travailler à perte.
- Les approvisionnements sont assurés de manière centralisée par le Gossnab ce qui était à l’origine de très fréquentes pertes de temps et erreurs de livraisons.
- La production n’a pas de relation avec la demande du marché, les entreprises fabriquent des produits invendables ou de mauvaises qualités car elles se contentent d’entrer dans les objectifs fixées par le Gosplan à partir d’indicateur physiques comme le tonnage. Ainsi Iman Kirtowsky nous donne l’exemple d’une entreprise en règle avec le Plan, mais ne produisant qu’un modèle unique de casseroles de dix litres. Sans compter le fait qu’un tiers des contrats signés par les entreprises n’étaient pas honorés.
- Les industries du groupe B (biens de consommation) reçoivent moins de 10 % des investissements ce qui provoque une pénurie permanente de voitures, d’appareils électroménagers... Une voiture moyenne coûte 36 mois du salaire moyen, un canapé presque un mois de salaire... Ainsi, en 1982, il y avait une voiture particulière sur 33 en URSS contre 1 sur 2 aux Etats-Unis.
- De même que les biens de consommation, l’agriculture a été sacrifiée (à la mort de Staline le niveau de production est à peine supérieur à celui de 1913). Les paysans ayant au départ soutenu la révolution sont hostiles au régime et consacrent la plupart de leur temps et de leurs efforts à leurs lopins privés (dvors) accordés par Staline en 1935 afin d’éviter de plus graves pénuries alimentaires. Les paysans peuvent vendre la production de ces lopins sur le marché kolkhozien (marché libre). Cette production représente en 1937 25 % de la production agricole nationale alors que les lopins privés ne représentent que 4 % des superficies cultivées.
- Le manque de motivation est aussi criant dans l’industrie où les faibles rémunérations et l’impossibilité d’initiatives privées provoquent une sorte de "droit à la paresse". Ce manque de motivation se manifeste par l’instabilité (20 % des actifs changent chaque année d’emploi et la durée de séjour d’un travailleur dans une même entreprise n’excède pas 3 ans), l’absentéisme et l’alcoolisme. Ainsi selon le journal Les Izvestia, l’absentéisme fait perdre 125 milliards de journées de travail en 1982, ie l’équivalent du travail annuel de 60 millions d’ouvriers, soit près de la moitié de la population active en URSS. De même il suffirait d’arrêter de boire sur le lieu de travail pour que la production industrielle augmente de 10 %.
- Le complexe militaro-industriel est le seul secteur de l’économie qui se porte bien car il subit la concurrence internationale et est donc toujours poussé à s’améliorer. Le retard technique devient de plus en plus criant au fur et à mesure des années dans les autres secteurs. A la mort de Brejnev à peine 14 % des machines outils correspondent aux normes de qualité occidentale et le stock d’ordinateur est évalué à 8 000 machines contre 24 millions aux Etats-Unis.
- L’économie parallèle faite de tricheries administratives, de marché et de travail au noir, de corruption était très développée. Elle concernait aussi bien les citoyens ordinaires (chabachniki, ie travailleurs du dimanche) qui réalisaient au noir des travaux d’entretien et de réparation avec du matériel volé à l’Etat, que les membres de la nomenklatura (la mafia ouzbek par exemple). Elle représente à peu près le quart du PNB de l’URSS. Certaines entreprises allant même jusqu’à acheter au marché noir les produits qu’elles ne pouvaient obtenir auprès du Gossnab.
Face à ces problèmes, les dirigeants successifs ont tenté de réformer le système.
Khrouchtchev :
Sous le Ve plan, les charges pesant sur les kolkhozes sont allégées et les taxes sur la production des lopins de terre est supprimée. Dans le domaine industriel les objectifs du groupe B (biens de consommations) sont revus à la hausse qui a davantage progressé en 1954 et 1955 que ce qui était prévu, mais l’écart reste très très grand avec le groupe A.
Le VIe plan est abandonnée à cause de la réforme de la planification décidée en 1957.
Elle s’oriente vers une décentralisation de la gestion au profit des régions. La planification demeure centralisée, car le Gosplan reste l’unique responsable, mais le nombre de ministères est réduit et leurs pouvoirs en matière d’investissement et d’approvisionnement des entreprises est transféré à des Sovnarkhozes (Conseil de l’économie nationale).
La réforme est un echec. Le secteur industriel connaît la plus forte croissance mondiale derrière seule du Japon (+ 84 % en 7ans). En revanche, l’agriculture continue de stagner, voir régresse : en 1965, la production céréalière est inférieure de 10 % à celle de 1958. On a même recréé des comités d’Etat spécialisés ressemblant à s’y méprendre aux anciens ministères à partir de 1963 alors que dans le même temps le nombre de régions passaient de 105 à 47.
Brejnev :
Abandon de la réforme de 1957 au profit d’une nouvelle s’articulant sur 3 axes.
- On retourne à une planification concentrée (suppression des sovnharkhozes et reconstitution des anciens ministères).
- Suivant les idées d’économistes soviétiques comme Liberman, les nouveaux indicateurs des entreprises deviennent la rentabilité et la production vendue. Les entreprises deviennent à même de financer par elles-mêmes une partie de leurs investissements grâce à leurs profits. C’est dans ce but qu’elles sont regroupées de manière à constituer des unités plus grandes capables de s’autofinancer.
- Les ouvriers et les employés sont intéressés aux résultats de l’entreprise de façon individuelle par la distribution de primes et collectivement par l’amélioration des équipements sociaux.
- On tente d’introduire des méthodes modernes de gestion => informatisation et automatisation encouragées.
7000 SAG (système automatisé de gestion) sont mis en place de 1966 à 1982.
Le IXe plan annonce la création d’un système national automatisé (SNA) pour la collecte et le traitement des informations. On tente de recourir à l’informatique pour renforcer la concentration et établir une meilleure planification.
Pourtant la période brejnevienne a été marquée par un ralentissement continue de la croissance, les efforts pour passer d’une économie de type "extensive" héritée de la période stalinienne à une économie de type "intensive" ont été vains.
En réalité, le ralentissement de la croissance est lié aux difficultés de gestion d’une économie de plus en plus complexe dans le cadre d’un système de plus en plus inadapté.
L’appareil du Parti multiplie les obstacles pour éviter que ses privilèges ne soient sacrifiés au profit de l’efficacité économique. La réforme n’a jamais été appliquée, elle a simplement concerné quelques entreprises pilotes de 1967 à 1970. Par ailleurs le retard de l’URSS dans le domaine informatique et le manque de personnel qualifié n’ont pas permis l’informatisation de la planification.
A la mort de Brejnev en 1982, l’économie soviétique est plus que jamais dans l’impasse.
Andropov :
- Des mesures sont prises pour rétablir la discipline du travail (contrôles d’identités, sanctions pour les ouvriers et employés en retard, en état d’ébriété, coupables d’absence injustifiée). Les ouvriers et employés ont désormais le droit de donner leur avis sur les objectifs du Plan et les méthodes de travail.
- Une nouvelle expérience de décentralisation économique est tentée en 1984 (l’Experiment) dans 700 entreprises pilotes. Elles déterminent elles-mêmes un certain nombre d’indicateurs, gèrent leurs effectifs et disposent d’une autonomie financière plus grande. Les profits réalisés sont laissés à leur libre utilisation afin d’intéresser les travailleurs aux résultats.
Tchernenko :
- L’experiment est étendu à 6 000 entreprises et les travailleurs sont autorisés à avoir deux emplois afin de lutter contre le travail au noir.
Mais le Parti continue à faire obstacle en empêchant le fonctionnement autonome des entreprises. En fait, il n’y a pas de volonté réelle de changement.
- On renoue avec les grands projets irréalistes. Ex : projet d’extension de la surface agricole de 40 à 50 millions d’hectares en 2000 + grands travaux d’irrigation de 17 millions d’hectares en détournant une partie des eaux de l’Ob et de Lynch vers la mer d’Aral.
Gorbatchev : La perestroïka
- En 1989, les ministères centraux sont supprimés dans l’agriculture, on renforce ainsi l’autonomie des unités de production. La tutelle administrative n’est plus nationale.
L’arrêté de mars 1986 prévoit que les rémunérations ne doivent pas progresser plus rapidement que les gains de productivité et on instaure un système de prime et de pénalités pour sanctionner les gaspillages et intéresser les agriculteurs à produire plus. En 1989, le gouvernement décide de payer en devise étrangère les productions céréalières supérieures à la moyenne afin que l’argent servent à l’achat d’équipements occidentaux nécessaires à la modernisation de l’appareil de production.
- En janvier 1988, 60 % des entreprises doivent fonctionner sur la base de l’autofinancement et de l’autonomie comptable. Celles continuant à enregistrer des pertes peuvent être fermées. (En 1986, l’Etat subventionnait les entreprises en déficit à hauteur de 70 milliards de roubles).
Parallèlement, un système de replacement et de renforcement des garanties sociales des travailleurs est créé afin de faire face à la montée du chômage provoquée par le besoin de rentabilité des entreprises.
Les salaires sont revalorisés de 30 % et hiérarchisés, car le nivellement démotive les travailleurs.
- La Banque d’Etat (Gosbank) perd ses fonctions commerciales qui sont transférées à cinq banques spécialisées chargées du financement de l’économie.
- Le 28 février 1990, la propriété privée est légalisée.
Dans le secteur agricole, l’Etat peut, à partir de 1989, louer des terres aux paysans pour une période de 50 ans. Ainsi de nouvelles formes d’exploitations privées de la terre se mettent en place comme la ferme familiale (seulement 29 000 en 1990) et la coopérative (5 % de la main-d’oeuvre agricole en 1990).
- On a recourt aux capitaux occidentaux. Le décret de janvier 1987 autorise la création de sociétés mixtes dans lesquelles la part du capital national doit être au moins de 51 %. Le peu de succès de cette formule a conduit les dirigeants à autoriser les entreprises occidentales à détenir la majorité du capital du l’entreprise puis, à partir de juillet 1991, à investir directement en URSS.
- Le commerce extérieur se libéralise afin d’entrer dans le marché mondial. A partir d’avril 1989, toutes les entreprises soviétiques peuvent commercer librement avec leurs partenaires étrangers.
L’URSS est admise au FMI au rang d’observateur et le rouble touristique est dévalué de 90 %.
- La Glasnot <=> rendre publique quelque chose de connu
On recherche la transparence du régime. Ainsi Gorbatchev fustige publiquement l’ivrognerie et l’indiscipline.
On réécrit l’histoire officielle et on condamne publiquement l’immobilisme de Brejnev et les crimes de Staline dont les victimes sont réhabilitées.
Il y a une volonté de démocratisation du régime, les exilés peuvent revenir, les dissidents sont libérés, la culture occidentale n’est plus interdite. On cherche à transformer l’URSS en un "Etat socialiste de droit", l’action du Parti s’inscrit désormais dans "le cadre du processus démocratique en renonçant à tout avantage politique ou juridique".
Le droit de grève est reconnu en 1989 sauf dans les secteurs-clés de l’administration (énergie, hôpitaux, transports...).
Mais comme toutes les précédentes tentatives de réformes, la Perestroïka est un échec.
Les défauts de fonctionnement du système n’ont pas disparu et se sont même aggravés. L’Etat reste le principal client des entreprises (80 %) et la qualité des produits est toujours aussi médiocre (15 % étaient carrément envoyés au rebut).
La demande n’est toujours pas satisfaite, les Soviétiques gagnent plus d’argent, mais ne peuvent pas le dépenser et doivent faire la queue devant les magasins.
Les raisons de l’échec sont à rechercher dans la résistance de la nomenklatura menacée dans ses pouvoirs et ses privilèges, par l’hostilité de la population face aux mesures de Gorbatchev dont les mesures ont détruit un ordre économique sans le remplacer, et la montée des revendications nationalistes.
La Perestroïka ne remet pas en cause la nature communiste du système économique ce qui est incompatible avec la volonté de modernisation de l’économie soviétique.
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