La décroissance n’est pas un drame dans une société raisonnable
Après le chiffre catastrophique de 80 000 chômeurs en février, l’addition pour mars sera mauvaise mais pas catastrophique, selon les bons mots de la ministre Lagarde qui comme ses consoeurs et confrère, fait dans la communication. Avons-nous le souvenir d’une telle profusion de communications, annonces, mises en scène et petites polémiques ? Non, mais sans doute y verra-t-on une manière de déminer au sens psychologique du terme les âmes citoyennes par temps de crise. Il n’y a pas de mines antipersonnelles sur le territoire française mais des foules émotives au sein desquelles les âmes minées par le marasme risquent d’exploser. En langage courant, ça s’appelle péter un câble. Mais soyons rassurés, madame la ministre nous l’a annoncé, les chiffres de mars sont mauvais mais pas catastrophiques. Entre 60 000 et 70 000. Mais il faudra attendre lundi soir pour disposer du chiffre exact. Soyons patient, les statisticiens n’ont pas encore fini de compter et de dépouiller les bulletins d’inscription à l’ANPE.

Ce chômage est l’effet de la récession, nul n’en doute. Autre effet, la sollicitation de la société HP, adressée en recommandé à leurs cadres, pour qu’ils acceptent une baisse de salaire de 10 points. Rien de scandaleux, cette invitation est conforme au droit français. Aux Etats-Unis, la réduction de salaire aurait été imposée unilatéralement aux travailleurs. Sans même jouer les avocats du diable il devient concevable de suggérer des baisses de salaires comme étant légitimes par ces temps de crise. Les esprits ne sont pas prêts pour une bonne raison. Que les hauts revenus commencent en premier. Et pour une mauvaise raison, la méconnaissance de l’économie et la représentation quasi-délirante d’un système qui doit produire plus d’année en année.
Les travailleurs vivant au rythme des saisons, pêcheur, employés de station de ski, naguère les paysans, mais aussi beaucoup d’artisans et d’autres professionnels étaient habitués au bonnes et mauvaise saisons. Depuis quelques décennies, les économistes officiels et les gouvernants ont fait de la croissance un chiffre fétiche alors que l’opinion syndicale a emboîté le pas en décrétant que les salaires devaient augmenter eux aussi d’année en année. Une fois l’inflation stabilisée, les capitaux investis par les riches ont décidé d’obtenir des rendements sans cesse croissants. Et donc, pour satisfaire cette population de morts de faims du revenu comptable, les pays avancés ont tout fait pour soutenir la croissance, notamment le pape de la finance fédérale, un certain Alan Greenspan qui connut quatre présidents américains au cours de son règne à la FED entre 1986 et 2005.
Le processus lancé par Greenspan depuis 2001 aurait dû se crasher rapidement. Quand on joue sur la dette, il faut qu’il y ait une contrepartie productive. Justement, c’est la Chine (plus les pays émergents) qui a produit pour les américains à leur place, ce qui a permis de "manger la dette". Mais le système s’est révélé dans ses limites, tel un moteur en surchauffe obligé de baisser son régime pour ne pas se flinguer. La croissance durable était une illusion. L’économie à partir de 2009 reprend ses marques, se réajuste, pour un cycle dont la croissance ne peut être prévue mais la plupart des analystes jugent possible une croissance molle pendant une dizaine d’années. Bref, un scénario en L, à la japonaise et pour les pays de l’OCDE, la croissance risque d’être nulle.
Mais est-ce grave docteur ? Admettons qu’en 2009 le PIB chute de 3 points. Cela nous ramènerait à l’année 2006, voire 2005. Personne ne parlait de crise à cette époque, sauf bien évidemment de crise sociale, laquelle dure en fait depuis deux décennies au moins. Rappelons que la croissance qui compte, et se traduit concrètement, doit prendre en compte la soustraction de l’inflation, puis doit être rapportée au nombre d’habitants, et enfin, notons que le PIB n’est qu’un indicateur global, ne mesurant pas les disparités de revenus. En fait, il y a largement de quoi satisfaire les besoins essentiels et culturels d’une société si le PIB est équitablement réparti, ce qui ne veut pas dire égalitairement mais justement. Et ce n’est pas le cas si bien que le scénario de 1993 risque de se reproduire, avec du chômage important et surtout, une ambiance sociale assez morose, plombée, pour ne pas dire tendue. En 1993, nous avons semble-t-il le souvenir d’une censure des médias pratiquée dans les rédactions, avec le spectre de Le Pen, et si l’on en croit Patrick Sébastien, notre « imitateur du terroir ami de Jacques » aurait reçu des menaces à cette époque, pour se calmer et censurer certains sujets sensibles. En 2009, le contrôle paraît illusoire parce qu’il y a le Net et ô miracle, les médias officiels ne semblent pas si coincés. Il faut dire qu’avec la concurrence du Net, si les médias autorisés s’amusaient à trop jouer de l’auto-censure, ils seraient vite ridiculisés par le journalisme numérique et citoyen.
La France est un pays riche. Le PIB reste à un niveau conséquent. Si problème il y a, c’est au niveau social et politique. Les Français devront apprendre la sagesse des saisons, les plus riches accepter une fiscalité adaptée, les classes moyennes convenir qu’il n’est pas scandaleux de voir stagner sa fiche de paye. Il n’y a pas de drame dans la décroissance, puis la croissance molle. Le drame, c’est que pour maintenir un semblant de progrès matériel assuré aux citoyens « protégés » on sacrifie une proportion importante de Français, les jeunes, les chômeurs, les précaires, les déclassés, les reclassés… Et c’est bien là le drame social qui se dessine. Parce que les esprits ont été façonnés par la culture du toujours plus, le président en tête dans cette croissance du gagner plus, promoteur d’une loi sur les heures sup complètement décalée par rapport aux finalités et nécessités de changement que requiert notre époque. Avec cette loi, une proportion de salariés a pu augmenter ses revenus mais à l’inverse, les patrons ont réduit leur perspective d’embauche.
La décroissance n’est pas un drame dans une société raisonnable mais nos gouvernants et nos citoyens le sont-ils, raisonnables. L’augmentation généralisée des revenus n’est plus possible. L’équité impose une baisse généralisée des « bons revenus » au profit d’une politique d’insertion sociale se traduisant par une augmentation généralisée des très bas revenus. Le miracle de la croissance ne pourra pas renflouer les zones de précarités. La croissance verte n’est qu’une lubie bureaucratique mâtinée d’auto-flagellation d’un Occident qui voit dans l’écologie quelque repentance vis-à-vis de la planète. La devise de Christian Blanc sur un choix entre la « croissance ou le chaos » n’est pas sérieuse. La seule alternative, c’est de réinventer la société avec le potentiel de richesse considérable dont nous disposons, quitte à exiger des concessions d’ordre matériel auprès des mieux favorisés, faute de quoi, la société pourrait basculer dans un état de déclin, d’incivilité, de marasme avec ses petits drames et ses violences quotidiennes à répétition. Nous sommes tous dans le même bateau, même si quelques-uns croient disposer d’un canot de sauvetage les préservant d’un éventuel collapse de civilisation.
Conclusion, le sort des pays avancés et du monde n’est pas dans l’économie mais le politique, la citoyenneté, la morale, l’éthique, les valeurs. La solution n’est pas de continuer dans une illusoire croissance indéfinie mais d’inventer une société qui par la force des choses et non pas un décret de Rome, doit faire avec une croissance nulle, ce qui n’est pas rien parce que ce qui compte, c’est le PIB. Un PIB stable peut être parfaitement synonyme de dynamisme économique et de prospérité sociale !
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