La faillite touche la France : une maladie dont la cause est la relation au travail
Pourquoi la France va mal et comment sortir les entreprises de la spirale désastreuse de la pression et de la peur sur le lieu de travail ?
Tout le monde l’a entendu dans la bouche du Premier ministre, M. Fillon, et ce au-delà des frontières françaises : « Je suis à la tête d’un Etat qui est en situation de faillite sur le plan financier ». Si ces propos ont été contestés ou atténués par des hommes politiques et des économistes, l’idée que transmet M. Fillon est claire : il y a un malaise dans notre société. Peut-on et doit-on le nier plus longtemps ?
Des statistiques et des faits appuient ce constat : dans le magazine Capital de janvier 2003 - il y a donc plus de quatre ans de cela ! - une enquête, qui a par ailleurs suscité à l’époque de vives réactions, établissait que 3 % seulement des cadres français se disent prêts à « s’engager » dans leur travail (enquête Gallup). Les 97 % restants accomplissent un travail honnête sans plus d’intérêt pour leur employeur. Chez Renault puis chez Peugeot-Citroën, des employés n’ont pas trouvé d’autres possibilités que le suicide pour se libérer de leur mal-être au travail !
En Autriche, on entend souvent les paroles suivantes : « choisis un travail où tu te sens bien, c’est important, étant donné que tu y restes toute la journée et que c’est une longue partie de ta vie ». Ce conseil, éclatant par son authenticité, je le formule à l’attention de tous les actifs ! Combien de personnes voudraient quitter leur emploi, mais ne le font pas, étant données les difficultés lorsqu’on se retrouve « outsider » ? Certains chefs d’entreprise ne profitent-ils pas du déséquilibre sur le marché du travail pour instaurer un climat tendu dans l’entreprise, cherchant à faire avancer leurs employés par la peur ? Cela marche peut-être à court terme, mais peut-on encore bâtir le futur d’une entreprise sur la peur ?
Cela ne peut pas durer : on sait que la motivation est ce qui fait réussir les organisations. De surcroît, la motivation est ce qui gouverne le comportement en entreprise (et le comportement civique si on se place à l’échelle de la nation). Le comportement est visible : il s’agit du symptôme de la maladie. La motivation en est sa source, la cause de la maladie. Des employés non motivés aujourd’hui, ce sont de mauvais résultats demain. Des employés travaillant dans d’épouvantables conditions mentales aujourd’hui, c’est la faillite de l’Etat demain. Pourquoi : d’où vient la richesse d’un pays, si ce n’est pas du travail de ses actifs ? Il faut donc sérieusement s’intéresser aux liens
entre bien-être dans le travail, motivation et objectif de l’entreprise, mis en évidence par les récentes études de l’organisation.
Premier résultat : notre système de gestion a instauré une vision à court terme qui méprise le management des hommes.
Les indicateurs permettant de suivre l’état de l’entreprise sont utilisés pour fixer les objectifs, alors qu’ils ne devraient servir qu’à relever les symptômes. Par exemple, un fort taux d’absentéisme est traité par plus de contrôle de présence. Pourquoi ne se préoccupe-t-on pas des causes de cet absentéisme ? Pourquoi les causes aux symptômes n’intéressent-elles pas ? La réponse à cette question est accablante : la réflexion des managers est détournée vers une autre problématique, celle d’atteindre un indicateur, éventuellement coûte que coûte. Ils ne disposent par ailleurs d’aucun outil synthétique : les grands groupes comme McKinsey proposent des analyses multidimensionnelles qui ne délivrent pas de message précis et restreignent la prise de décision, étant donné la lourdeur des résultats.
Ainsi, on mutile l’organisation de toute construction de solution utile, de toute innovation et on la condamne à subir l’éthique du pire. Aucune surprise donc qu’un tel fonctionnement commence par démotiver les personnes les plus exposées, les directions générales, acteurs et témoins de l’application de décisions aberrantes, puis progressivement les couches managériales intermédiaires. Ils voient, au nom de la perfection mathématique et contre leur sentiment, se prendre des décisions qu’ils ressentent comme mauvaises, mais dont les conséquences apparaissent plus tard et sont donc impossibles à intégrer dans la vision à court terme. L’ensemble des employés souffre naturellement de ce climat dans l’entreprise et perd goût au travail.
Second résultat : on ne tient pas compte de l’état d’esprit au travail et cela coûte cher.
Seules à être analysées, les catastrophes font apparaître l’importance de l’état d’esprit pour la sécurité et la performance. Pourtant on s’en détourne. Devant agir sur le comportement des leurs, parents, managers et gouvernants prennent leurs décisions comme si le comportement était la cible. Erreur, la cible est leur source, l’état d’esprit. À leur décharge, les outils actuels les poussent à l’erreur : les sondages visant la satisfaction, la motivation, le climat de travail fournissent une statistique des symptômes. Objectifs d’amélioration, progrès et récompenses sont bâtis sur ces mêmes symptômes, ce qui enferme les managers, même les plus lucides, dans la logique erronée consistant à combattre directement le symptôme. Ne pas prendre en compte l’état d’esprit, c’est ne pas reconnaître l’humanité de l’individu et la réalité de notre contexte.
La situation des entreprises est délicate : elles perdent de l’argent à travers la démotivation des employés ou le désintérêt caché pour leur emploi. Ces sommes, qu’aucun indicateur usuel ne sait estimer, sont énormes et correspondent à des coûts cachés de fonctionnement liés à la culture d’entreprise.
Malgré tous les attributs ésotériques qu’elle peut comporter, la notion d’état d’esprit est essentielle pour comprendre l’organisation. Un groupe de travail à l’université de Lausanne poursuit des recherches dans ce domaine. La mise au point d’une méthode de calcul précise de l’état d’esprit constitue une découverte majeure qui va révolutionner le management organisationnel en ce début de siècle. Elle est déjà utilisée dans certaines banques suisses. Prendre en compte et agir sur l’état d’esprit dans les organisations permet d’instaurer ou de changer la culture d’entreprise. Un diagnostic organisationnel et des méthodes de « change management » permettent de créer, rétablir ou conforter un équilibre entre style de management et degré d’influence des employés sur le processus de production.
Au niveau de l’individu, une mutation s’opère dans la conception qu’il a du travail. Au cours des dernières décennies, le travail a perdu les attributs que sont l’épanouissement ou le plaisir. N’est-ce finalement pas ce que chacun est en droit d’exiger ? C’est en tout cas ce à quoi il faut s’attacher si l’on veut éviter une « faillite généralisée ».
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