La monnaie, premier enjeu stratégique mondial
La crise des subprimes et les récentes actions concertées entre banques centrales occupent une place euphémisée dans l’actualité : la situation est beaucoup plus grave qu’on veut bien nous le dire. Il est stupéfiant qu’aucune analyse ne porte sur notre système monétaire international qui ne date pas de 1944 (Bretton Woods) mais de 1976 (accords de la Jamaïque).
Introduction
Ne sachant pas de quelle place exactement je dispose (la longueur des articles étant un motif de rejet), je vais m’efforcer d’être succinct. Je m’excuse à l’avance auprès des lecteurs qui trouveront que mon article manque d’explications. S’il est jugé intéressant, je pourrai le compléter.
1922, date de la création des "monnaies de réserve"
Pour s’échanger des biens et des services à l’échelle internationale, il est nécessaire de disposer d’un système permettant de comparer ce avec quoi sont comptabilisées les richesses et écrites les transactions : les monnaies. Après un système "bimétallique", reposant sur la référence à deux étalons-valeurs qu’étaient l’or et l’argent, on est passé à un système reposant sur "l’étalon-or" : l’or était la richesse de référence, dans laquelle toute monnaie prétendant pouvoir être échangée à l’international devait pouvoir être convertie.
En 1922, lors de la Conférence de Gênes, une décision radicale fut prise : celle de l’abrogation des lois qui obligeaient les banques centrales à libeller un pourcentage minimum de leurs réserves en or. Pour expliquer ce qu’est une banque centrale, il faudrait écrire un article sur ce seul sujet et remonter à Locke et à 1694, date de la création de la première banque centrale, celle d’Angleterre. Pour cet article, il suffit de savoir qu’une banque centrale est en quelque sorte la banque des banques : c’est "le prêteur en dernier ressort", l’institution qui prête aux prêteurs et qui, surtout, décide de la quantité de monnaie qui est mise en circulation.
Cette décision eut comme conséquence le fait que, très vite, la plupart des banques centrales ne libellèrent plus leurs actifs qu’en dollars, principale monnaie échangée à l’international.
1944 : Bretton Woods
Après la crise de 1929 et la Première Guerre mondiale, les accords de Bretton Woods consistèrent à créer les quatre institutions mondiales que l’on connaît aujourd’hui : l’Onu (pour anticiper, prévenir ou circonscrire les conflits entre nations), le couple FMI - Banque mondiale (pour prévenir toute crise financière internationale du type de celle de 1929, en établissant un dispositif d’accès au crédit réservé aux Etats leur permettant de surmonter une crise conjoncturelle ou de corriger des défauts structurels de leur économie) et le Gatt, devenu l’OMC (sorte de secrétariat mondial destiné à négocier, de façon multilatérale, des baisses de tarifs douaniers, de façon à étendre la sphère marchande internationale).
Dans les statuts du FMI lors de sa création, le dollar était toujours la référence mondiale, mais il prit une dimension qu’il n’avait pas jusque-là : il devenait une monnaie de réserve, de droit. En d’autres termes, les banques centrales des Etats signataires des statuts du FMI s’engageaient à soutenir le dollar en cas d’attaque spéculative (à en acheter en cas de vente massive). Le dollar était en quelque sorte devenu "réputé convertible" en or.
Des années 60 à 1973, l’agonie et la mort de Bretton Woods
En 1959, la totalité des actifs des banques centrales fédérales américaines était convertible en or : on dit que le "taux de couverture des liquidités" était de 100%.
Or, début des années 60, le dollar se mit à dévisser sévèrement : il fallait financer les efforts de guerre (de Corée, du Viêtnam) et le programme dispendieux de Kennedy, pour l’essentiel appliqué par son successeur, Johnson. En d’autres termes, il fut émis beaucoup de dollars. Trop, par rapport aux réserves d’or : le taux de couverture des liquidités, en 1973, était tombé à moins de 15%.
En 1965, de Gaulle fit même une conférence de presse fracassante dans laquelle il dénonça les déficits de la balance des paiements et du budget américains, et exigea que les Etats-Unis dévaluent le dollar en faisant passer l’once dor de 35 dollars (sa valeur depuis 1934) à 70 dollars.
A partir de 1971, les banques centrales des Etats membres du FMI jetèrent l’éponge et cessèrent d’acheter du dollar (il se mit même en place deux systèmes dollars). Nixon dévalua deux fois de suite, mais en faisant passer l’once d’or à 38 dollars puis à 42, ce qui ne découragea nullement les spéculateurs.
En 1973, la convertibilité or du dollar fut officiellement suspendue. Bretton Woods, qui entra en vigueur progressivement entre 1944 et la fin des années 50, avait vécu.
1976, date de la création du SMI actuel
En 1975, Giscard convoque une réunion de chefs d’Etat en n’y faisant participer qu’un minimum de fonctionnaires et de conseillers, pour parler de façon informelle des enjeux d’actualité internationale. C’est le G6, qui deviendra le G7 puis le G8 : la formule connaîtra du succès.
Au cours de ce sommet, il est mis un terme au différend qui oppose les Etats-Unis et la France sur la question monétaire internationale.
En 1976, les accords de la Jamaïque sont signés : c’est une réforme des statuts du FMI dont l’essentiel réside dans la suppression de la référence à l’or ("On ne peut pas vous rembourser en or ? On n’a qu’à dire que l’or, on s’en fout" est substantiellement ce qu’ont proposé les Américains à leurs alliés), la liberté totale des mouvements de capitaux et les taux de change flottants ("On verra bien dans quelle monnaie se font les échanges, les monnaies ne font jamais que refléter la valeur de nos économies, que le meilleur gagne" est en substance ce que se sont dits les chefs d’Etat).
Les accords de la Jamaïque entreront progressivement en vigueur à partir de 1978.
Le programme commun de la gauche et le virage de la rigueur
En 1981, Mitterrand démarre l’application du programme commun. En matière de politique économique, il fait typiquement du keynésianisme : dévaluation du franc, investissements d’Etat, nationalisations, relèvement des minima sociaux. Hollande et Royal sont au secrétariat général de l’Elysée. Delors est ministre de l’Economie, Fabius ministre du Budget.
En moins d’un an, tout ce monde-là constate les dégâts : les capitaux fuient le territoire national, les caisses de l’Etat se vident. On décide du fameux "virage de la rigueur" : lutte contre l’inflation et pour la rentabilité des capitaux, coup d’arrêt aux nationalisations (avant privatisations sous Jospin après celles de Balladur), ceinture sur la politique sociale.
A noter : ce ne sont pas les crises pétrolières qui sont la cause de l’apparition du chômage et, surtout, de l’impossibilité de le réduire : la lutte contre l’inflation (à deux chiffres tout au long des Trente Glorieuses), et l’impossibilité de remédier au chômage par une politique keynésienne sont des constantes qui datent exactement de la fin des années 70, c’est-à-dire de l’entrée en vigueur du système monétaire international actuel.
Le PS n’a jamais pris la peine de faire un minimum de pédagogie autour de cette question. Le virage de la rigueur était-il une parenthèse, ou une conversion ? Question taboue qui risquerait de le faire exploser. Pour les dirigeants, qui ont soigneusement éviter de le dire, c’était une authentique conversion : on ne lutte pas contre le pouvoir monétaire, surtout quand on ne l’a plus. Mitterrand se convertit défintivement à l’Europe du marché commun. C’est l’Acte unique en 1986, avant le marché commun de 1992, conditions de création de l’euro. Création dont la préparation a été finalisée sous Juppé, et qui a profité à Jospin.
Conclusion
Dans le système monétaire international actuel, plus personne ne peut faire du keynésianisme, à part les Américains (ainsi que les Etats non membres du FMI, qui contrôlent les opérations de capitaux à leurs frontières et fixent leurs taux de change, comme l’Inde et la Chine, passées au travers de la tempête asiatique monétaire de 1997-2000 : cf. Stiglitz, vice-président de la Banque mondiale entre ces deux dates).
Avec son taux principal directeur (appliqué aux prêts de liquidités interbancaires à court terme, exactement ce qu’il s’agit de détendre en ce moment), la Fed pilote la politique monétaire américaine de manière à : 1. provoquer un apport de capitaux lorsqu’il s’agit de financer un gros effort budgétaire (exemple : guerre d’Irak, le principal taux de la Fed étant passé de quelque 0,5 points à 5,75 entre 2000 et 2006) ou 2. faciliter l’accès au crédit afin de relancer la consommation et l’investissement qui se font essentiellement à crédit (cf. Larrouturou ; le principal taux de la Fed est en baisse constante depuis la crise des subprimes).
Tout repose sur la capacité du territoire américain à attirer des capitaux du monde entier, pour y financer consommation et investissement à crédit. Du jour où cet afflux de capitaux s’inverse, le dollar peut perdre 30 à 50% de sa valeur en quelques mois, et c’est une avalanche de dépôts de bilan en Europe, en Chine et au Moyen-Orient qui en découlera. La crise est inimaginable.
Que faire ?
Cela ne peut faire l’objet que d’un autre article : à terme bien sûr, réformer le FMI dans le sens de ce qu’avait préconisé Keynes en 1944 et Triffin après lui. Mais d’ici là, sans attendre, créer un deuxième FMI, un FMI agricole et alimentaire, pour traiter du deuxième enjeu stratégique mondial : celui de l’alimentation.
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