Les 35 heures posent la question de la France dans la mondialisation
La faute aux 35 heures. Manuel Valls a une nouvelle fois accusé les 35 heures d’être responsables de la perte de compétitivité de la France. Faut-il en conclure qu’il suffit de relever le temps de travail hebdomadaire pour disposer d’une parade efficace contre la mondialisation ? Pas si simple.
Le fiasco de la promesse du “travailler plus pour gagner plus” de Nicolas Sarkozy n’a rien à envier au “travailler moins pour vivre mieux” des 35 heures de Martine Aubry.
Les 35 heures sont à cet égard à la gauche ce que l’impôt de solidarité sur la fortune est à la droite, un marqueur idéologique dont les effets économiques n’ont jamais fait l’objet d’un bilan objectif partagé. On sait en revanche que les multiples mesures prises depuis 2002 pour vider de sa substance les 35 heures ont depuis 2007 un coût de quatre milliards d’euros par an correspondant à la défiscalisation des heures supplémentaires. Autant dire qu’on continue de marcher sur la tête et que les entêtements dogmatiques sont communs à la droite et à la gauche.
Un des défauts génétiques des 35 heures réside assurément dans les exonérations de cotisations sociales accordées aux entreprises. Mais la faute morale est d’avoir créée une société duale dans laquelle cohabitent ceux qui bénéficient des 35 heures (fonctionnaires, grandes entreprises) et ceux qui en sont exclus : travailleurs indépendants, PME, la fonction hospitalière pour le secteur public. Reste la question centrale : les 35 heures sont-elles comme en fût accusé le Front populaire en son temps responsables du décrochage économique et notamment industriel de la France au cours de la décennie précédente ?
Le magazine Alternatives économiques s’est penché sur la question et apporte des réponses qui contredisent les idées reçues. Tout d’abord, le dispositif a répondu à son premier objectif : créer des emplois. Selon l’Insee et la Dares (le service statistique du ministère du Travail), les 35 heures sont responsables d’environ 350 000 emplois supplémentaires sur l’ensemble de la période 1998-2002. Elles ont donc concouru à un partage du travail et non du chômage comme on a pu le lire ou l’entendre.
Deuxième information, les entreprises n’ont pas souffert des 35 heures mais, c’est en raison de la mise en place d’une réduction des cotisations patronales de façon dégressive jusqu’à 1,7 fois le Smic et d’une aide forfaitaire (environ 600 euros) par emploi rémunéré à partir de ce seuil. C’est aussi parce que les 35 heures s’appliquent à un “temps de travail effectif” qui exclut notamment les pauses.
Enfin, les accords d’entreprises ont permis un lissage sur l’année du temps de travail en fonction des plans de charge qui ont accessoirement eu l’effet positif de permettre une meilleure utilisation des équipements.
Les 35 heures ont en fait profondément modifié le système de production et induit des effets pervers qu’on n’attendaient pas. Outre la perte des heures supplémentaires remplacées par des RTT, les allégements de cotisations sociales ont certes permis de réduire le coût salarial mais les embauches rendues nécessaires par la RTT ont été effectuées à des tarifs horaires bas, “indispensables” pour éviter une augmentation globale du coût salarial.
Alternatives économiques reconnaît surtout que les 35 heures sont responsables de la stagnation des salaires mensuels, dont les hausses sont restées durablement limitées. Le magazine classé à gauche évalue à 8 milliards annuels le coût des allégements pour les entreprises mais n’hésite pas à parler d’effet “contestable” dans la fonction publique où l’on a appliqué une réduction mécanique des horaires sans prendre la peine de réfléchir à une optimisation du fonctionnement de l’action publique. Un bilan somme toute mi- chèvre mi- chou.
Cette semaine sur France Info, Jean Arthuis, président de la commission des finances du Sénat, rappelait qu’au départ les 35 heures étaient prévues pour la sphère privée dans le cadre d’accords d’entreprises mais pas pour la fonction publique dont les effectifs ont beaucoup progressé ces dernières années.
La droite libérale incarnée par Jean Arthuis mise surtout sur la création d’une TVA sociale pour transférer une partie du coût de la protection sociale des salaires vers la consommation des ménages et notamment les produits importés, condition essentielle pour retrouver de la compétitivité. Manuel Valls, sans surprise, est également sur cette ligne. Il est vrai qu’augmenter la TVA pour financer les régimes sociaux est une vieille idée, déjà mise en pratique chez certains de nos voisins européens. Son handicap majeur est de frapper indifféremment les ménages, sans considération de leur revenu et donc de pénaliser prioritairement les plus modestes.
Si Manuel Valls a réalisé un bon coup médiatique, il a fait un hors sujet idéologique en étant incapable, en mauvais serrurier, de donner des clés pour ne pas continuer à subir la mondialisation. Sa seule recette, un quasi-retour à la semaine des 39 heures, a le ton munichois d’un alignement vers le bas. Poussé à l’absurde pourquoi ne pas revenir aux 40 heures, la grande avancée sociale de 1936 ?
Rompant avec le concept des lendemains qui chantent, le député-maire d’Evry est dans l’air du temps qui veut que demain soit moins bien qu’aujourd’hui, que l’alignement de notre modèle social vers le bas, que le déclassement du pays et la paupérisation des classes moyennes soient inexorables. A cet égard Manuel Valls fait sienne la doctrine de rupture de Nicolas Sarkozy. Adieu le volontarisme de François Mitterrand selon lequel, “là où il y a une volonté, il y a un chemin“, bonjour le poids de la fatalité. Baissez la tête, le temps serait aux échines souples.
Il est certes plus facile de foncer tel un sanglier dans un champ de blé que de dégager des réponses innovantes permettant de concilier maintien de la compétitivité et préservation du tissu social. Mais la principale erreur de Manuel Valls est selon Daniel Schneidermann, d’être l’inventeur de cette idée révolutionnaire qui consisterait pour faire élire un président de gauche, à le doter résolument d’un programme de droite.
On notera à l’inverse le correctif aux 35 heures proposé par François Hollande, autre leader de l’aile droite du PS. Le député de Corrèze propose de remettre à plat les allègements de cotisations sociales par la création de contrats de génération (si une entreprise embauche un jeune et maintient son emploi, elle est exonérée de cotisations sociales pendant 5 ans). La mesure qui coûterait 7 milliards d’euros serait financée avec les 4,5 milliards d’euros que coûte actuellement la défiscalisation des heures supplémentaires. Le reste proviendrait d’un redéploiement des 25 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, par exemple dans des secteurs dont les entreprises ne sont pas tant exposées à la concurrence internationale. François Hollande propose également d’assouplir la question de la durée du temps de travail en l’organisant sur la durée de carrière.
Le vrai débat est bien là. La droite ne s’y est pas trompée. François Baroin ne veut pas revenir sur la réforme emblématique de Martine Aubry : “Nous avons corrigé la plupart des effets pervers des 35 heures. La question est derrière nous, pas devant“. Ce n’est pas l’avis de l’ultra-libéral Gérard Longuet, président du groupe UMP au Sénat, qui estime que les 22 milliards d’euros de compensations touchés chaque année par le patronat au titre des 35 heurs coûtent cher et que la seule solution consiste à faire travailler les salariés “plus pour le même prix “.
Un propos électoralement indécent aussitôt corrigé par Xavier Bertrand, ministre du Travail et de l’Emploi : “Si sortir des 35 heures, c’est enlever les exonérations de charges des entreprises, c’est nuire à leur compétitivité. On aura de vrais problèmes”.
A droite comme à gauche les 35 heures n’ont pas fini de semer la pagaille. Mais, l’important est de refuser la culpabilisation des salariés. L’Insee confirmait dans une étude rendue publique il y a un an que les Français ne sont pas moins travailleurs que leurs voisins mais qu’ils se situent dans la moyenne européenne en temps de travail hebdomadaire moyen (39,4 heures). Un niveau certes en dessous de l’Allemagne (40, 6) mais au-dessus des Pays-Bas (38,9), du Danemark (37,7), de l’Italie (39) de la Belgique (39,1) et de l’Irlande (38,3).
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