Pas de 1929 en vue ! Mais une crise sociale assortie de mensonges
Ce billet tente de répondre à une question posée précédemment, puis expose la thèse d’une crise qui doit se penser plus sociale qu’économique, tout en dénonçant les mensonges des dirigeants et des intellectuels d’Etat.
POURQUOI IL N’Y AURA PAS DE CRISE COMME CELLE DE 1929
Le spectre de 1929 semble installé dans nombre d’esprits. Faut-il craindre le pire ? Rien ne permet de le penser et de le dire, car l’économie étant devenu mondialisée, complexe, interconnectée, et riche de toutes ses liquidités circulantes ; et donc on peut raisonnablement miser sur une masse inertielle tellement puissante que rien ne peut la dévier, du moins pour les cinq, voire dix, prochaines années ; car il faudra bien nous préparer à l’après-pétrole et revoir nos modes de consommation, nos choix, notre style de vie, du moins pour les classes moyennes. Pour l’instant, quelques-uns, et G. W. Bush en tête, disent que l’économie américaine se porte bien, d’autres, comme ici en France Jacques Attali, s’improvisent en Cassandre et nous la jouent crise de 29 avec, à l’appui, des chiffres faramineux censés terrasser nos défenses psychologiques et nous plonger dans l’inquiétude, tels des vacanciers au bord de la plage lorgnant sur un mur d’eau voué à nous submerger. Quant aux analyses de l’OCDE, elles ne sont pas du tout alarmistes et semblent pour le moins réalistes. Que disent-elles ? Que l’endettement est important, que pour l’immobilier, des segments à risque élevé ne sont pas transparents, que la crise des subprimes est bien avérée, mais qu’en fin de compte ces « déficiences » financières interviennent dans une période où la croissance est soutenue, si bien que si quelques indices dévissent, le choc sera absorbé par l’imposante masse du système économique. Il en coûtera de la croissance certes, mais pas de quoi évoquer une récession durable.
Un seul bémol, l’envolée du prix des matières premières, une affaire qui mérite un regard affûté s’autant plus que les spéculateurs sont à l’affût, mais pas de quoi s’affoler, nous n’en sommes pas rendus là. Et donc, lorgner sur l’imposant endettement des ménages américains ainsi que les secousses bancaires liées aux subprimes ne doit pas susciter l’effroi. Tout semble relever d’une cuisine bancaire bien ordinaire, avec des établissements qui ont pris plus de risques et une bonne dose d’opacité quant aux produits financiers qui se sont refilés tels des livres de compte licencieux, sous le manteau, comme les romans libertins aux XVIIIe siècle.
Crise, krach, clash, ces mots n’ont qu’un pouvoir signifiant réduit, mais ils ont le don d’exciter les esprits et de jeter quelque trouble en jouant d’une subtilité sémantique que la médiarchie se fait un plaisir d’utiliser pour contrôler la pensée des masses citoyennes. Les crises financières sont diverses, tant dans les mécanismes qui les engendrent que leurs conséquences économiques (la production, la croissance) et leurs conséquences sociales (le chômage, l’inflation, la pauvreté). La crise la plus connue et, du reste, la plus importante dans ses conséquences est bien évidemment celle de 1929. Après 1945, des crises nationales puis internationales se sont produites, sans pour autant que les économies s’effondrent ni les sociétés d’ailleurs. Le niveau de développement des pays de l’OCDE a largement atténué les effets des « crises ». Doit-on alors parler de crise ou de secousse ? Le second terme convient mieux et, pour décrire la situation actuelle, il est approprié. Ainsi, on devrait redouter des secousses prochainement, des sortes de trou d’air déstabilisant quelques établissements, quelques zones économiques, mais pas un effondrement comme en 1929.
Les Cassandre jouent sur les chiffres sans aucune analyse de fond. Ah, cette fameuse dette publique et privée des Américains, elle atteint 250 % du PIB, alors qu’elle n’était que de 150 % en 1929. C’est le seul chiffre à retenir, quant aux secousses des subprimes, elles ne sont qu’un phénomène de surface liée à la découverte de segments financiers douteux, un peu comme si on apprenait que quelques champs pétrolifères étaient épuisés avant la date estimée par les géophysiciens. Ce serait un élément suscitant la panique. C’est ce chiffre mis en avant par les Cassandre, mais n’y a-t-il pas tromperie à parler d’un remake de 29 ?
La situation n’avait rien de comparable car tous les fondamentaux de l’économie avant 1929 étaient bien différents de la situation actuelle. Premier point, une économie des Etats-Unis en pleine effervescence, frénétique, mais pas consolidée, dans un contexte mondial décalé et une Europe pas encore remise de la déflagration achevée en 1918. Second point, les signes avant-coureurs étaient connus. Dès 1927, chute des productions immobilières alors qu’entre mars et septembre 1929, la production automobile baissait de 600 000 à 400 000 et qu’entre mai et octobre, la production industrielle chutait de 7 points. Bref, rien de commun avec la situation actuelle où la croissance mondiale est soutenue alors que trois économies de gros calibre sont en place et peuvent amortir les secousses, Etats-Unis, Europe, Asie. Troisième point, le système économique de 1929 était relativement jeune, dépourvu des mécanismes d’amortissement sophistiqués ou simples, dont on dispose actuellement. Et comme l’a analysé Galbraith, ce n’est pas seulement la spéculation boursière qui est responsable de cette crise, mais aussi la fragilité des entreprises et la mauvaise répartition de la richesse, tous ces facteurs faisant de l’ensemble un système vermoulu, vicié, tel une poutre de bois à l’apparence convenable, mais rongée par les termites à l’intérieur. La charpente finit par s’écrouler. En 1932, Le Cac 40 avait chuté de 80 % et le PIB des Etats-Unis avait diminué presque de moitié. Ce n’est qu’avec la guerre que l’économie va vraiment redémarrer alors que l’indice boursier mettra vingt-cinq ans à rejoindre son niveau de 1929. Epoque où les banques prêtaient pour acheter des actions alors que les entreprises ne pouvaient pas suivre en versant des dividendes. Actuellement, le cours des actions est dans les normes du raisonnable. Pas comme en 1929.
Juste une parenthèse sur le krach de 1987. Rien de commun avec 1929. 20 %, ce fut le dévissage du Cac 40. On a craint le pire or, l’année suivante, la croissance a redémarré. Rien de paradoxal. L’argent placé dans l’économie spéculative s’est déplacé vers l’économie immédiate via divers mécanismes de transferts, notamment la consommation. Dans un contexte où les capacités productives suivent. Et les banques centrales de jouer aussi les parachutes, comme maintenant du reste, pour palier un problème similaire (refinancement des établissements financiers)
CRISE SOCIALE ET MENSONGE DES DIRIGEANTS
Il semble donc avéré que le spectre de 1929 a été brandi un peu hâtivement. Ce qui ne veut pas dire que tout tourne rond. Loin s’en faut. La crise des subprimes et l’endettement américain auront des conséquences sur l’économie de ce grand pays. C’est normal, tout comme un ménage endetté doit se serrer la ceinture, régler ses créanciers, et repartir d’un bon pied. Les Américains ont consommé plus que leurs moyens. Il y a eu une croissance anticipée. Il est logique qu’elle se dégonfle. Quitte à devenir nulle une année ou deux. Et alors, ce n’est pas un drame. Les Chinois vont se décider à consommer plus. L’histoire économique sait que les croissances ne sont pas identiques d’une zone à une autre et que des rattrapages existent. Ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses, la France avait 3 points de plus que les States et le Japon 6.
Mais l’essentiel à retenir, c’est qu’il n’y a pas grosse menace sur l’économie mondiale et que ces spectres sont brandis par les intellectuels d’Etat, Attali, Rocard, etc., comme pour excuser les politiques de leur incapacité à régler des problèmes de fond qui ne sont pas tant économiques que sociaux. Si crise il y a, elle est sociale. C’est alors pratique d’aller chercher les fautifs outre-atlantique ou près de la Chine, afin de justifier la conjoncture actuelle faisant que l’économie profite à une large minorité (entre 20 et 30 %) de Français, laissant sur le carreau une autre minorité, au lieu que le système soit équitable et qu’une grosse majorité, disons les deux tiers, puisse voir son niveau s’améliorer alors que les restants aient une possibilité de mise à l’étrier.
Nos gouvernants peinent à rendre équitable la distribution des richesses, tout autant qu’à gérer les dépenses publiques. Dans ce contexte, soulignons également la désignation de boucs émissaires censés expliquer le malaise du pouvoir d’achat et l’ampleur des prélèvements. Un coup, on brandit le RMIste qui se la coule douce et refuse de travailler (c’est faux, les études montrant que 90 % d’entre eux accepteraient un job à temps plein), ou alors le RMIste rentier qui touche l’allocation en masquant ses revenus. Une autre fois, un sénateur s’en prend aux héritiers pressés de toucher le pognon de la succession après avoir bénéficié de l’APA pour leur mère. Encore des boucs émissaires accusés de grever les budgets départementaux, mais aucun regard sur la manière dont les dépenses sont gérées par les élus locaux. Des tas de demandes pour un logement HLM restent lettre morte. On n’ira pas regarder la politique du logement depuis dix ans, mais on pointera le coupable, ce ménage à hauts revenus qui occupe un HLM de manière jugée illégitime. On en ferait presque un hors-la-loi alors que ces gens payent chaque mois leur loyer. Parfois, la hauteur des revenus s’explique par le fait que Madame s’est remise à travailler alors que Monsieur est monté en responsabilité dans sa boîte. Bref, des gens qui réussissent, travaillent et qu’on désigne presque comme voyous. C’est d’ailleurs Jean-Paul Bolufer, dircab de la ministre Boutin, qui est le plus sévère sur ce point, alors qu’on vient d’apprendre qu’il loue un cossu appart HLM, géré par la ville de Paris, dans le 5e, au quart du tarif pratiqué par le marché.
En conclusion, le spectre de la crise économique paraît tel un écran de fumée jeté dans les médias pour masquer l’impuissance des politiques à gérer la crise sociale qui perdure depuis des décennies. Mais ce n’est pas le seul artifice, puisqu’il y a la menace du réchauffement et autres gadgets médiatiques liés aux facettes d’un développement durable... de la société... ou bien du mensonge... La crise est sociale. Les saillies contre les boucs émissaires ont pour cible l’indignation populaire, les spéculations sur une crise flattent les citoyens qui se croient éclairés alors qu’ils sont désinformés, ce qui fait le fonds de commerce des mouvances antilibérales souvent stériles dans leurs attaques. Sur ce fonds indélicat pousse la mise en scène de la rupture qui ne changera rien, juste quelques détails, car les fondations de l’édifice économique, anthropologique, et politique, n’auront pas été inspectées et jaugées.
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